Erdogan et sa politique économique

Détruire la Turquie ? Erdogan s’en charge

Erdogan et Poutine en 2015 Foto: DonkeyHotel / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 2.0Gen.

(MC) – Bien évidemment, quand la Turquie sera dans un état catastrophique, ce sera la faute de Trump, la faute des Américains, d’Israël… Une histoire bien souvent fausse qu’on nous a souvent racontée.

Cela fait en réalité plusieurs années que les économistes nous mettent en garde contre la politique économique d’Erdogan. On se risquera à retracer rapidement les grandes lignes de la trajectoire de la Turquie récente.

Quand l’AKP, en 2002, a emporté pour la première fois la majorité absolue dans le pays, le parti a mis en œuvre des réformes structurelles radicales, avec l’aide du FMI. Un crédit du FMI était alors indispensable pour sauver la Turquie de la banqueroute.

L’AKP était arrivé au pouvoir à cause de la politique économique désastreuse de ses prédécesseurs. La dette d’État et l’inflation avaient rompu toutes les digues. Erdogan a fait le nécessaire. Il a mis en œuvre une politique d’austérité, et le succès était au rendez-vous : le revenu par habitat a triplé dans ces premières années.

Mais ensuite, au lieu de poursuivre ses réformes structurelles, Erdogan a dévié de cette route. Le succès des années récentes n’était plus le fruit d’une sage politique de l’ AKP, mais le résultat d’une conjoncture favorable de l’économie mondiale. Les banques des grands pays industriels ont produit beaucoup de monnaie peu chère. En de telles quantités que cela a stimulé l’économie interne des pays industriels et beaucoup aussi celle des pays « émergents » comme la Turquie. Le prix du pétrole aussi était modéré, ce qui a beaucoup allégé le poids de la dépense turque.

A ce moment, la politique turque a connu un infléchissement problématique. Le coût modique de l’argent a permis à Erdogan de promouvoir de grands projets dans le bâtiment et les infrastructures. Le bâtiment devient alors le moteur de toute l’économie. A cette époque, au lieu de continuer ses réformes structurelles, Erdogan s’est assuré un entourage de confiance apte à solidifier son pouvoir, et par le même mouvement, une vaste clientèle. Quand l’économie s’est de plus en plus échauffée et que l’inflation a été de retour, Erdogan a pris une autre décision problématique : celle de faciliter les importations pour limiter la hausse des coûts.

Cette décision a eu des conséquences dévastatrices ces 2 dernières années : des pans entiers de l’économie turque ont été détruits. Des secteurs de l’industrie ont perdu leur compétitivité, les déficits atteignent des niveaux record. Le déficit n’a pu être financé que par l’appel à des capitaux à bref délai, ce qui devait être favorisé par les intérêts relativement élevés. Cet « argent chaud » a cependant l’inconvénient d’être farouche et fugitif : au moindre risque, il se retire et disparaît.

Il en est ainsi en Turquie : après la répression et les expropriations qui ont suivi la « tentative de putsch », les investisseurs se sont posé la question de la stabilité politique et de la légalité du régime Erdogan. Le régime, le système présidentiel et la suppression de la séparation des pouvoirs ont ruiné leur confiance . D’autant plus que l’hyper-centralisme turc a récemment été encore davantage hyper-centralisé…

Les entreprises privées, elles aussi, ont profité du prix peu élevé de l’argent produit grâce aux flots de liquidités. Elles contractaient des crédits à l’étranger, où ils étaient significativement moins chers que dans la monnaie et les banques turques. Aussi longtemps que les intérêts étaient peu élevés et la lira relativement stable, le refinancement de la dette extérieure (privée et d’État), qui s’élevait à 250 milliards de dollars, n’était pas un problème. Mais il l’est devenu quand la lira a été dévaluée et que nombre d’entreprises ont plié sous le poids des crédits…

La Turquie, et la conjoncture elle aussi ont changé, au moins depuis 2017. Le prix du pétrole a monté, le déficit a augmenté, les investissements extérieurs directs ont décru fortement, et l’inflation a été de retour. Mais la Banque centrale n’a pas augmenté les intérêts comme on eût du le faire dans ce pays devenant de plus en plus un pays à risque pour les investisseurs.

En cela, Erdogan porte une lourde responsabilité. Car il s’est dressé contre la hausse des taux d’intérêts, et a mis la Banque centrale (officiellement indépendante du pouvoir politique) directement sous pression, afin qu’elle n’augmente pas ces taux. Hélas, le dirigeant turc porte un dogme en bandoulière, allez savoir pourquoi (peut-être la crainte de son peuple ?) : personne n’a jamais pu le convaincre que les taux d’intérêt élevés ne sont pas une cause d’inflation et ne doivent donc pas être empêchés.

Ce qu’on constate en réalité, c’est bien que si les taux d’intérêt faibles permettent aux acteurs de l’économie d’emprunter plus facilement de l’argent, de consommer et d’investir davantage, l’une des conséquences en est bien évidemment l’augmentation de la croissance et donc, de l’inflation. Au contraire, si les taux d’intérêt sont plus forts, il y a tendance à épargner davantage pour profiter des rémunérations plus intéressantes de l’argent : ainsi, les revenus disponibles sont moins importants. L’économie tend ainsi à ralentir, et l’inflation, à diminuer. La Turquie devrait donc augmenter ses taux d’intérêt ; mais c’est tout le contraire que pratique l’AKP en ce moment.

Cette erreur assez grossière est très lourde de conséquences pour la vie quotidienne des gens. Point n’est besoin ici de faire intervenir le « lobby américano-sioniste » qui apparaît dans les discours d’ Erdogan ces derniers temps pour détourner l’attention de sa population. Mettre à bas l’économie de la Turquie ? Son dirigeant s’en acquitte très bien tout seul.

Qui aidera la Turquie ? Ni les Etats-Unis, ni sans doute la Chine, ni la Russie, ni le Qatar. Reste l’Europe ! Erdogan doit se rendre en Allemagne au mois de septembre prochain…

 

 

 

1 Kommentar zu Erdogan et sa politique économique

  1. Yveline MOEGLEN // 14. August 2018 um 0:49 // Antworten

    Et pourtant il semblerait que la Chine s’intéresse aux éventuels investissements à faire en remplaçant ainsi certains pays européens …. mais que la Russie qui pourtant apparaissait comme allié à la Turquie , hésite …
    l’Allemagne se sent très concernée par l’évolution politique turque ! il y a aussi l’affaire kurde sous-jacente qui rend le soutien de l’Europe difficile !

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