Et paf, dans l’Pif !

L’iconique chien anthropomorphe reprend du service. Mais à qui rend-il service ?

Pif en campagne lors du tour de France de 1962. Foto: Eric Koch Anefo / Wikimedia Commons / CC0 1.0

(Jean-Marc Claus) – Voilà une semaine que le nouveau « Pif » est sorti. Contrairement à « Pif Gadget » (1969-1993), son prédécesseur, il ne paraîtra pas chaque semaine. « Pif le Mag » a opté pour la publication trimestrielle, comme… « La Revue de Neuropsychologie » ou « La Gazette du Nucléaire » ! Une comparaison pouvant sembler osée mais, né en 1948, « Pif le Chien » doit au moins bénéficier du respect dû, tant à son âge qu’au parcours de son créateur. Ce qui n’empêche pas ce vénérable d’avoir un compte Twitter et une page Facebook.

Apparu après-guerre dans les pages de « L’Humanité », quotidien créé par Jean Jaurès en 1904 et organe de presse du Parti Communiste Français (PCF) de 1920 à 1994, ce chien anthropomorphe eut en son temps un tel succès qu’il fit l’objet d’une publication spécifique. L’univers de « Pif le Chien » était aux antipodes du monde merveilleusement beau et formidablement cruel de Disney, qui en 1947 avait accouché d’un odieux milliardaire nommé Balthazar Picsou, véritable préfiguration d’un Mister President du siècle suivant.

A l’American Way of Life, ayant pour corollaires le culte de la réussite et la monomanie de l’enrichissement, Pif le Chien opposait avec quelques accents franchouillards sur toile de fond prolétarienne, des valeurs comme la franche camaraderie non dépourvue pour autant d’espièglerie. Espièglerie qui, entre autres, mettait du piment et du ciment dans la relation qu’il entretenait avec Hercule, le chat noir et blanc. Pif le Chien parlait aux enfants de la vie des vrais gens. Forcément, il tirait politiquement vers la gauche, alors que celui vêtu le plus souvent de rouge était Balthazar Picsou alias Uncle Scrooge !

Une propension à porter du rouge, couleur des Républicains aux USA et donc de la cravate du Mister President qu’il préfigurait, mais aussi de la parka un temps fièrement arborée par un actuel président de région dans la moitié sud de l’Hexagone. Président de région encarté « Les Républicains » (LR), donc de la même eau que le nouveau directeur de Pif le Mag, ancien porte-flingue d’un ex-président français grand amateur de nettoyeurs haute-pression et de selfies à Disneyland Paris. Et c’est là que Jean Ferrat dirait : « Faut-il pleurer, faut-il en rire ? »

Pour l’année du centième anniversaire du Parti Communiste Français (PCF), autant la résurrection de Pif le Chien a-t-elle un caractère sympathique, autant la prise en main du nouveau magazine par un homonyme du regretté comique ayant incarné brillamment le Gendarme Lucien Fougasse et le Soldat Pithivier, a-t-elle une dimension tragique ! Il en va maintenant de Pif le Chien comme de la célébrissime photo de Che Guevara, prise par Alberto Korda en 1960, et de nos jours merchandisée à outrance.

Car il ne faudrait tout de même pas oublier que José Cabrero Arnal (1909-1982) dit Arnal, le créateur de Pif le Chien, était un Républicain espagnol. Ce qui du temps de la Guerre d’Espagne, le plaçait politiquement à gauche, donc à l’opposé des actuel Républicains étasuniens et français. Fuyant le fascisme espagnol qui triomphait alors grâce au soutien de l’Allemagne nazie, il arriva au printemps 1939 dans le Sud de la France à l’issue de la terrible « Retirada ». Combattant inlassable José Cabrero Arnal (1909-1982) s’engageant sur la Ligne Maginot où il arriva la nuit de Noël de la même année, fut emprisonné au Stalag XI-B après la capitulation de la France, et ensuite déporté à Mauthausen en 1941. Il en revint quatre ans plus tard, pesant alors 42 kg et il faisait partie des 2.000 survivants sur les 9.000 « Rote Spanier » que comptait le camp.

L’ex-déporté au matricule 6299 tatoué sur son avant-bras gauche, ne méritait pas que sa création passe, 72 ans plus tard, aux mains de ceux pour qui l’économie prévaut sur l’humain, la croissance sur le progrès social. Mais attendu qu’à tout péché il y a miséricorde, il ne serait vraiment pas charitable de refuser à Pif le Mag, et surtout à son directeur de publication grand fan de Zadig & Voltaire, l’accès au chemin étroit de la rédemption. Ainsi nous pencherons-nous ici à nouveau sur leur cas dans un an…

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