Et que devient le franco-allemand ?

Interview avec Christophe Arend, député de Forbach et membre du Parlement Franco-Allemand, sur l’évolution des relations franco-allemandes.

Pour Christophe Arend, le franco-allemand et la coopération transfrontalière sont une évidence. Foto: Sstortum / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(KL) – Si Eurojournalist(e) a fait le choix de ne pas présenter les candidats aux élections législatives en Alsace, on ne peut pas pour autant fermer les yeux sur les questions qui concernent les relations entre la France et l’Allemagne. Ainsi, nous avons posé nos questions à l’un des acteurs avertis du franco-allemand et qui n’est pas candidat dans une circonscription alsacienne. Interview avec Christophe Arend.

Christophe Arend, vous vous êtes investi à fond dans les relations franco-allemandes, ce qui n’est pas surprenant considérant la situation frontalière de votre circonscription. Pendant ce mandat, d’énormes progrès ont été réalisés, comme la signature du Traité d’Aix-la-Chapelle. Pourtant, on a actuellement l’impression que « le transfrontalier » ne se porte pas très bien entre Paris et Berlin. Vous partagez cette lecture et avez-vous une explication ?

Christophe Arend : Le transfrontalier devrait être l’un des premiers sujets de préoccupation de nos gouvernants nationaux et européens : 140 millions de citoyens européens, soit un Européen sur trois, vivent dans des bassins de vie transfrontaliers. Le transfrontalier est donc un combat de tous les instants. Malheureusement, les décisions qui sont prises au sein des administrations centrales ont tendance à négliger la situation des populations vivant dans des régions frontalières. C’est ainsi que ces populations doivent parfois faire face à des situations particulièrement difficiles, comme en 2020, lorsque l’Allemagne a réagi à la crise sanitaire en fermant ses frontières ou aujourd’hui avec la double-imposition, qui touche des milliers de travailleurs de ma circonscription.

De tous les présidents français, Angela Merkel avait le moins d’affinités avec Emmanuel Macron. Toujours est-il qu’on n’a jamais fait autant de progrès dans l’élaboration d’instruments facilitant la coopération transfrontalière. Comment expliquez-vous ces progrès, malgré une relation assez froide entre Angela Merkel et Emmanuel Macron ?

CA: Après les élections législatives de 2017, aucun parti n’a obtenu la majorité au Bundestag et l’Allemagne a tardé à former un gouvernement, mettant en suspens les ambitions européennes d’Emmanuel Macron. Cette situation s’est étirée sur plusieurs mois, ce qui a potentiellement contribué à détériorer les relations. Alors que les choses n’avançaient pas au niveau gouvernemental, d’importantes avancées ont pourtant eu lieu au niveau parlementaire, notamment avec l’accord parlementaire franco-allemand, signé en novembre 2018, qui a donné naissance à l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA).

Le Comité de coopération transfrontalière (CCT) a également été institué par le Traité d’Aix-la-Chapelle. Le CCT, dont la réunion de lancement s’est tenue le 22 janvier 2020, est aujourd’hui chargé de définir une stratégie commune, d’assurer le suivi des difficultés rencontrées dans les territoires frontaliers et d’émettre des propositions en vue d’y remédier.

En parallèle, le Traité d’Aix-la-Chapelle, signé en 2019 par Emmanuel Macron et Angela Merkel a également créé le Forum pour l’Avenir franco-allemand, lequel a pour but de renforcer la coopération et l’intégration franco-allemande en favorisant une meilleure compréhension mutuelle entre nos deux sociétés. Le 12 mai dernier, celui-ci a publié sept recommandations de politique publique portant sur la transition écologique et sur la résilience économique et sociale de nos territoires.

Généralement, la coopération transfrontalière fonctionne bien, lorsque des acteurs locaux et régionaux travaillent ensemble. Est-ce que dans la « grande politique », les intérêts sont moins convergents qu’au niveau local et régional ?

CA : S’agissant de coopération transfrontalière, les acteurs locaux et régionaux peuvent agir sur des projets très concrets, qui ont un impact immédiat et visible sur la vie des habitants. Pour autant, la « grande politique », menée au niveau national, peut également faire avancer les choses dans le bon sens. C’est le cas notamment de la loi dite 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification), dans laquelle je me suis investi personnellement et qui augmente considérablement nos marges de manœuvres en matière de coopération sanitaire transfrontalière, puisqu’elle dispose d’un chapitre entier sur le transfrontalier, ce qui est inédit pour une loi française.

L’intérêt d’un organe tel que le CCT est justement de réunir des acteurs de différents échelons (municipal, local, régional, national) autour de la table. Au cours des réunions du CCT, les acteurs locaux peuvent alerter les responsables nationaux sur les difficultés et sur les enjeux de nos territoires frontaliers.

Quel est votre bilan personnel de cette dernière mandature concernant « le franco-allemand » ?

CA : Beaucoup a été fait et, de toute évidence, beaucoup reste encore à faire. Nous avons l’APFA, instituée par un accord parlementaire en 2018, qui vise aujourd’hui à contrôler l’application des traités signés entre la France et l’Allemagne. Nous avons le CCT, qui vise à faire avancer des projets transfrontaliers ayant un impact immédiat dans la vie des gens.

Le chapitre de la loi 3DS consacré à la coopération transfrontalière est également une avancée majeure, notamment en matière de coopération sanitaire. En vertu de ce texte, toutes les agences régionales de santé frontalières auront désormais l’obligation d’établir des schémas de santé transfrontaliers.

En matière de coopération sanitaire transfrontalière, nous avons également la convention MOSAR, dans laquelle je me suis investi personnellement, qui améliore grandement l’accès aux soins des populations vivant dans des territoires frontaliers en leur donnant accès au complexe médical le plus proche géographiquement. Cette convention permet également une prise en charge de qualité dans trois cas de figure : urgence cardiologique, urgence en cas de polytraumatisme, prise en charge neurochirurgicale.

On a l’impression que les positions françaises et allemandes intéressent de moins en moins dans les grands dossiers mondiaux de notre époque. Est-ce qu’à terme, le centre européen se décalera de plus en plus vers l’Est ?

CA : C’est surtout le centre de gravité mondial qui se déplace de l’océan Atlantique à l’océan Pacifique. En cause, l’ascension de la Chine et le redéploiement progressif des forces américaines dans cette région. Quoi qu’il en soit, si l’on reste sur notre continent, le centre de gravité européen reste l’axe franco-allemand, puisqu’il s’agit des deux premières économies de l’Union européenne.

Par ailleurs, le partenariat entre nos deux pays fonctionne de manière inclusive et non exclusive, c’est-à-dire que tous les pays qui souhaitent nous rejoindre dans nos projets et dans nos initiatives, sont les bienvenus. C’est ce qui s’est produit encore très récemment avec le Danemark, qui a voté pour rejoindre la politique de défense de l’Union européenne.

Quels sont les grands dossiers pour la prochaine mandature, concernant les relations franco-allemandes et européennes ?

CA : La Commission européenne prévoit un nouveau mécanisme de coopération transfrontalière dans son paquet de mesures législatives pour la politique de cohésion sur la période 2021-2027. Il s’agit du ECBM (European Cross-Border mechanism), qui devrait permettre de résoudre les obstacles légaux et administratifs à la coopération transfrontalière entre différentes régions.

Une autre avancée majeure réside dans la directive sur le salaire minimum européen, adoptée le 7 juin dernier. Il convient désormais d’aller plus loin en permettant l’adoption d’un salaire minimum qui s’appliquerait à un bassin de vie.

Nous devons également développer de nouveaux mécanismes permettant de lever des fonds européens propres. On pourrait imaginer des taxations aux frontières extérieures sur les marchandises dont les producteurs ne respectent pas les droits humains et les règles de préservation de l’environnement.

Christophe Arend, merci beaucoup pour cet échange !

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