Europe : comment –et quand- sortir de l’impasse actuelle ?

Alain Howiller sur le rôle de l’Europe institutionnelle pendant cette crise pandémique. Les constats sont assez tristes…

Si déjà les pays en vert n'arrivent pas à se concerter, comment pourra-t-on combattre cette pandémie au niveau mondial ? Foto: S. Solberg J. / SirWeltschmerz7 / Wikimedia Commons / CC-BY 3.0

(Alain Howiller) – Après le sommet européen en visioconférence des 25 et 26 Mars qui, il faut bien le dire -même s’ils étaient rares, ceux qui l’ont souligné (!)-, a peiné à placer des « mots » sur les « maux » nés de la pandémie, les regards des observateurs de la politique européenne se sont tournés vers deux rendez-vous dont on attend beaucoup (trop ?) : le « sommet informel » qui devrait avoir lieu à Porto le 8 Mai, et la réunion du Conseil Européen des 24 et 25 Juin. Espérons que l’évolution de la lutte contre la Covid-19 permettra que ces rencontres puissent se tenir en « présentiel », car visiblement, les visioconférences accouchent de conclusions assez générales et sans doute faussement consensuelles.

Il manque aux dirigeants, ces adjuvants traditionnels qui alimentent le souffle européen : les tractations de couloirs, les petits déjeuners, les déjeuners, les rencontres en comités restreints qui facilitent les rapprochements. Sans doute manque-t-il, aussi, ce moteur franco-allemand sans lequel les choses n’avancent pas. Noyé dans une crise sanitaire compliquée par des échéances électorales qui se rapprochent, il patine : reprendra-t-il du ressort à l’heure où les « états désunis d’Europe » s’enfièvrent, au contact d’un virus mortifère.

Du vent pour les moulins nationalistes ! – Les ratées dans la mise à disposition des vaccins dont la Commission Européenne de Bruxelles a accepté de se charger à la demande des états (1), ont, paradoxalement, apporté de l’eau aux moulins nationalistes. L’indifférence de Joe Biden, le cynisme narquois de Boris Johnson, producteurs de vaccins, face aux demandes européennes de partage des livraisons d’une ressource devenue rare, ont fait émerger une nouveauté : le « nationalisme vaccinal ». L’extrême-droite s’en est emparée immédiatement pour mettre en évidence que si les états de l’Union Européenne (UE) avaient privilégié les achats état par état, au lieu de jouer la carte de la solidarité, ils auraient pu, en matière de vaccination, se targuer de résultats identiques à ceux obtenus Outre-Manche et Outre-Atlantique.

Vive donc le « Brexit » qui aurait démontré l’efficacité de l’état-nation. Vive aussi le « built back better » (reconstruit en mieux) du nouveau locataire de la Maison Blanche ! C’est oublier un peu vite que sans la mutualisation des achats, certains pays n’auraient sans doute pas été livrés aussi rapidement et avec des coûts supérieurs, c’est oublier aussi que les ratées auraient pu être évitées si les états-nation n’avaient pas exigé dans les Traités que la santé continue de relever de leur seule souveraineté nationale : je n’y reviens pas ici(1). Les eurosceptiques de tous poils se sont glissés, sans vergogne, dans l’espace que le Premier Ministre britannique et le Président américain leur ouvrait. Le tout au moment où les états de l’Union Européenne, paniqués par la pandémie, ont fermé leurs frontières nationales par peur d’une contagion venue du voisin.

Menaces sur 140 millions de frontaliers ! – 140 millions d’Européens -dans le couloir rhénan les travailleurs frontaliers ont chèrement payé le prix des restrictions- habitant des zones frontalières, ont vu s’élever des murs devant leurs yeux : ils avaient célébré la chute du Mur de Berlin, ils se retrouvent, pandémie oblige(!), aujourd’hui face à des entraves dont ils avaient oublié jusqu’au souvenir ! Quel poids aura, dans ce contexte, la lettre de mise en garde contre le retour des frontières que la Commission de Bruxelles a envoyé à l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la Suède et la Hongrie ?

La situation a provoqué une salutaire prise de conscience de la dépendance de l’UE de fournisseurs extérieurs : du coup, certains fabricants ont décidé de revoir à la hausse leurs capacités de production : c’est ainsi que le laboratoire allemand « BioNTech » -qui fournit en vaccins Pfizer- va augmenter, en 2021, sa capacité de production de 25%. Et, surtout, Thierry Breton, ancien Ministre de l’Economie et aujourd’hui Commissaire Européen au Marché Intérieur, en démarchant personnellement aux producteurs, en provoquant une émulation entre eux a réussi à susciter un programme d’intensification des productions de vaccins qui sera étayé au niveau de la recherche par une partie des 750 milliards d’euros du « Plan de Relance » défini par l’UE. Si tant est, bien sûr, que ce « plan de mutualisation des dettes » qui permettrait un emprunt commun dont le montant serait injecté dans l’économie européenne pour financer avant tout des projets porteurs d’avenir, soit adopté par les parlements des pays membres de l’Union : c’est en cours (11 pays ont déjà voté pour). A condition aussi que le Plan franchisse deux obstacles qui symbolisent les divisions qui traversent l’Europe.

Premier obstacle : la Pologne et la Hongrie, nul n’en sera surpris, viennent de déposer un recours devant la « Cour de Justice de l’Union Européenne – CJUE » pour contester la clause, condition de l’adhésion au Plan de certains pays (Autriche, Pays-Bas, Danemark, Suède, ceux qu’on appelle les « frugaux » !) au Plan de Relance, qui lie l’octroi des aides européennes au respect des valeurs de l’UE. A noter que la Commission a déjà envoyé une mise en garde à la Hongrie contre les dispositions d’une nouvelle loi sur le financement d’ONG qui ne respecte pas non plus les valeurs de l’Union. Deuxième obstacle : la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, saisie pour inconstitutionnalité(!) par l’AfD, a demandé au Président allemand de ne pas promulguer la loi sur la mutualisation de la dette que le Parlement venait d’adopter ! Deux obstacles à dépasser qui risquent de retarder la mise en œuvre du Plan de Relance, alors que les « Verts » menacent à leur tour de saisir Karlsruhe, parce que… la mise en application du Plan tarde trop !

Obstacles pour le « Plan de Relance Européen ». – Les membres de l’Union Européenne se sont divisés autour de l’application du plan commun d’achat de vaccins : certains ont contesté (l’Autriche, la Slovénie, la République Tchèque) les clés de répartition des vaccins achetés et ont réclamé des rallonges ! D’autres ont voulu dépasser le plan, en achetant des vaccins russes ou chinois (voire les deux !), alors que les autorités sanitaires européennes ne les avaient pas validés !

Viktor Orban, le Premier Ministre hongrois (qui a aussi acheté un vaccin… indien !) a poussé la provocation jusqu’à se faire vacciner publiquement avec un vaccin chinois ! L’Autriche et le Danemark ont signé un accord avec Israël pour produire un vaccin ! Et Emmanuel Macron avec Angela Merkel ont engagé des discussions avec Vladimir Poutine (en personne) pour la livraison de « Spoutnik V » ! On va finir par actualiser ce propos (1970) de Henry Kissinger, l’ancien Secrétaire d’Etat US : « L’Europe c’est bien, mais c’est quel numéro de téléphone ? »

Dans une enquête menée par l’OTAN dans 30 pays membres de l’organisation de défense, plus de 60% des sondés ont placé les maladies contagieuses en tête des menaces qu’ils redoutent : la crise économique est classée comme deuxième peur, alors que ceux qui redoutent une guerre, ne sont que 17% en 2020 (contre 14% en 2019) !

A Strasbourg, le 19 Janvier 2022 ? – C’est dire l’angoisse que la crise sanitaire et ses effets génèrent. Pourtant, une nouvelle divergence est apparue : les pays dits « frugaux » (Autriche, Finlande, Suède, Danemark, Pays-Bas) voudraient être fixés rapidement sur le retour à la règle de l’équilibre budgétaire prévue par les Traités, mais suspendue jusqu’à fin 2022 ! Alors, la convergence retrouvée, c’est pour quand ? Pour les sommets des mois de Mai et Juin ? Ceux qui attendent… le 1er Janvier 2022, avec la présidence française (et une réunion du Parlement Européen à Strasbourg le 19 Janvier), pour vivre un « vrai rebond », oublient que jusqu’ici, c’était la pandémie qui était maîtresse du temps.

Il est urgent que cela change, que l’Union Européenne sorte de l’impasse dans laquelle elle s’est laissée entraîner au moment où -qui l’eût cru- s’esquisse un rapprochement Russo-Chinois et que s’affirme le leadership américain.

(1) Voir eurojournalist.eu du 24.03.2021.

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