Ex -Yougoslavie : les vrais héros

Hommage à ceux qui ont lutté contre la guerre et l’aveuglement

PEACE, la PAIX Foto: Zainalee/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – Les Républiques qui composaient naguère la Yougoslavie ont le culte des héros. Mais les plus grands héros, on est en passe de les oublier. Ils ne figurent pas dans les manuels d’histoire. Mais on les retrouve dans le dernier ouvrage du journaliste Boris Pavelic, que nous sommes heureux de voir évoquer le côté lumineux des années 1990 – c’est le sous-titre de son livre intitulé Quand les têtes dansent (Kad Glave igraju).

« Nous avons essayé de sauver notre âme », dit Filip David, écrivain serbe. Et en exergue, l’auteur, Boris Pavelić, a placé cette citation d’une historienne serbe, Latinka Perović : «  Le courage, c’est ce dont témoignent les personnes qui font tout simplement quelque chose parce qu’elles ne peuvent pas faire autrement ». Tous deux sont repris dans un article que Mašenjka Bačić a publié sur le site croate (basé à Zagreb), Novosti. Dans cet ouvrage qui fait chaud au cœur et donne à l’esprit cette lumière dont il a besoin, l’auteur retrace l’itinéraire de personnes, au fond pas si rares que cela, qui ont résisté contre le prurit nationaliste et ses effets : la guerre, les crimes contre les civils et toutes les innombrables violences qu’a engendré cette régression communautaire de gens qui partagent les mêmes origines, parlent la même langue (avec des différences du même degré que celles qu’on entendait naguère entre les parlers des villages alsaciens), mais ne professent pas la même religion.

Cela vaut pour 1990 et les luttes contre le dictateur criminel de masse et génocidaire Miloševic, mais aussi encore aujourd‘hui. Ainsi, par exemple, l’auteur retrace l’action de Drago Hedl, journaliste, ou de la grande dramaturge Borka Pavićević, décédée il y a moins d’un an, le 30 juin 2019. Drago Hedl a très courageusement permis de faire la lumière sur les massacres de civils serbes à Osijek, perpétrés par l’armée croate. Justice a été partiellement faite grâce à ce journaliste, et deux reîtres de la droite croate, Glavaš et Šeks, ont été arrêtés.

Voici 27 ou 28 ans, à l’époque du dirigeant nationaliste Franjo Tuđman, fondateur du grand parti HDZ, Hedl a fait l’objet d’attaques d’une extrême violence, et entre 1993 et 2005, il apparaissait comme un « traître à la patrie ». L’attitude des officiels, de la grande majorité du peuple croate, c’était : non, il n’existe pas de crime croate, parce que les Croates n’ont fait que se défendre leur patrie. Il est vrai que dans toutes les guerres du monde et depuis tant de siècles, la justification officielle de toute guerre était la défense ; l‘agresseur, c’ est toujours l’autre. Hedl, « ennemi de l’Etat » croate, a donc fait l’objet de menaces de mort très précises émanant de Glavaš et d’une partie du HDZ. Hedl n’a été réhabilité -et décoré pour son courage civique ! – qu’en 2012.

Borka Pavlićević, elle, est une grande dramaturge née à Kotor, au Monténégro. Pacifiste, elle a lutté ardemment et avec un courage extraordinaire dès 1991 contre les fomenteurs de guerre et les criminels nationalistes. En 1994, elle avait fondé le « Centre de Décontamination Culturelle » à Belgrade, qui témoigne d’une admirable clairvoyance politique. Par voie de conséquence, tout récemment encore, elle était l’une des voix les plus fortes de la réconciliation serbo-albanaise et en ce sens, avait soutenu concrètement le Festival Mirëdita/dobar dan ! (« bonjour » en albanais et en serbe).

Il s’agit de choses très simples, et souvent difficiles à réaliser : de rester humain et de ne pas se laisser échauffer par la mauvaise fièvre nationaliste ; de ne pas se laisser entraîner et couler dans le conformisme et la peur. Ce qui reste largement vrai aujourd’hui, surtout dans certaines régions des trois pays en question, la Serbie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine. Les personnes, les héros pacifistes dont parle l’auteur, ont tous été menacés de mort, et beaucoup ont en effet payé de leur vie leur engagement. Beaucoup de héros, des centaines de héros modestes, dont on ne connaîtra pas nécessairement le nom…

Il faut préserver leur mémoire, le côté lumineux ; au moins celle de leur action. Elle a servi à préserver ce dont l’avenir aura grand besoin dans les Balkans : d’un humanisme concret, capable de dépasser et le cas échéant, de contrer les vérités officielles imposées au nom de ce particularisme communautaire responsable de tant de morts et de malheurs, dans ces pays et ailleurs.

L’ouvrage de Boris Pavelić, Quand les Têtes dansent, le côté lumière des années 1990 ( Maison des Droits de l’Homme, Zagreb, 2019)  n’est encore disponible qu’en e-book. On en espère une traduction imminente.

A voir : https://www.portalnovosti.com/
https://courrierdesbalkans.fr/

 

 

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