Facile, Monsieur Juncker !

Le discours de Jean-Claude Juncker devant le Parlement Européen a été célébré comme un point de départ pour une nouvelle Europe. Pourtant, les propositions de Juncker ne seront pas réalisées. A quoi bon, alors ?

Si Jean-Claude Juncker veut vraiment faire avancer l'Europe, il devrait commencer à faire le ménage au Luxembourg. Foto: EU2017EE Estionian Presidency / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(KL) – Il est facile de se présenter devant le Parlement Européen et de faire des propositions qui n’engagent personne à rien. Il est facile de critiquer les autres pour leur inefficacité et leur manque de motivation, surtout lorsque l’on fait partie de ceux qui ont conduit l’Europe dans sa crise actuelle. Il est facile de faire des propositions que d’autres devraient mettre en œuvre, surtout lorsque l’on sait que les autres ne le feront pas. Au moins, le discours du Président de la Commission Européenne aura permis à Jean-Claude Juncker de se présenter comme un « bon Européen ». Facile lorsque l’on prive les états-membres de l’Union des recettes fiscales des plus grandes entreprises mondiales qui elles, ont trouvé un abri fiscal efficace au Luxembourg, inventé et installé du temps du gouvernement de Jean-Claude Juncker.

Oui, Juncker a fait des propositions intéressantes, concertées avec personnes et en partie, dépourvu de tout réalisme. Première proposition : Juncker voudrait que l’ensemble des états-membres de l’Union adopte l’Euro. Donc, aussi les états-membres de l’Europe Centrale, comme la Pologne (qui ne veut en aucun cas remplacer le zloty par l’euro), ou la Bulgarie ou la Roumanie. Ainsi, Juncker se positionne à l’opposé d’Emmanuel Macron qui lui, souhaiterait mettre en œuvre une « Europe à deux vitesse » avec les pays qui ont l’euro et ceux qui ne l’ont pas. L’approche de Juncker n’avait visiblement pas non plus été discutée avec l’Allemagne – plusieurs eurodéputés allemands ont vivement critiqué ce plan, soulignant que l’Europe a déjà commis une grande erreur en acceptant la Grèce dans la zone euro, invitant Juncker à ne pas promouvoir la même erreur maintenant avec les pays de l’Europe Centrale. Partons du principe que cette proposition, rejetée par tous les partenaires impliqués, ne se réalisera pas.

Deuxième proposition : la création d’un poste d’un « ministre des finances européen ». Cette proposition, vieille comme la lune et formulée depuis des années même par des faucons comme le ministre des finances allemand Wolfgang Schäuble, semble sympathique, mais elle est assez irréaliste en l’état. Que ferait un « ministre des finances européen » sans budget, sans influence réelle sur les finances des états-membres ? Pour qu’un tel poste serve à plus que de la communication, il faudrait que ce ministre dispose d’un vrai budget, qu’il puisse prendre de vraies décisions, mais qui lui donnera ce budget ? Déjà, l’Union Européenne dispose d’une « ministre des affaires étrangères » en la personne de l’Italienne Federica Mogherini qui elle, ne peut rien représenter, car l’Union Européenne n’a pas de politique étrangère commune, comme on le voit actuellement dans tous les dossiers brûlants, comme la Corée du Nord, la situation autour de la Méditerranée ou encore les relations avec la Turquie. Donc, à quoi bon, un « ministre des finances » si ce dernier, n’aura rien à gérer ?

En troisième, la proposition de fusionner les postes du Président du Conseil Européen et de la Commission Européenne. En principe, l’idée de Juncker est bonne et vise à rendre les institutions un peu plus transparentes, un peu moins compliquées. Bien. S’il arrive à convaincre les technocrates bruxellois du bien-fondé de la démarche, excellent. Mais dans les couloirs dans la capitale belge, la résistance se forme déjà – il y a des fonctionnaires qui craignent pour leur poste. Toutefois, cette proposition est tout à fait sensée. Mais ce n’est pas demain la veille qu’on verra ces institutions s’auto-abolir en partie. A voir.

Quatrième proposition : Juncker veut mettre en œuvre une agence européenne qui contrôlerait les travailleurs détachés, puisque de nombreux pays se plaignent que ces travailleurs détachés, souvent venant des pays de l’Europe Centrale, favoriseraient le dumping social. En principe, une excellente idée, mais on a du mal à voir comment Juncker compte convaincre les pays concernés – les travailleurs détachés baissent le chômage dans ces pays et de nombreuses familles dans ces pays vivent sur les revenus de ces travailleurs.

La cinquième proposition n’est pas vraiment une proposition, mais un appel à la Turquie. D’une part, et comment on ne pourrait pas signer cette phrase, Juncker demande à la Turquie de cesser d’insulter les dirigeants européens et de ne plus les traiter de « nazis ». Et évidemment, toute l’Europe est d’accord avec Juncker lorsque ce dernier demande à ce que les journalistes européens et turcs emprisonnés en Turquie, soient libérés. Seulement, Recep Tayyip Erdogan risque de rester assez insensible à cet appel de Juncker – et on se souvient de la réunion des ministres des affaires étrangères européen à Tallinn où, à l’exception de l’Allemagne et de l’Autriche, aucun pays européen ne souhaitait mettre un terme aux négociations d’adhésion avec la Turquie ou au moins, envisager d’autres sanctions contre la Turquie. Face à ce manque de solidarité européenne, Erdogan ne sera pas trop impressionné par le discours de Juncker.

Sixième proposition : ouvrir les négociations pour d’autres traités de libres échanges avec d’autres régions du monde. Après le tollé provoqué par les négociations sur le TAFTA et le CETA, les traités sur les libres échanges avec les Etats-Unis et le Canada, il ne s’agit pas forcément d’un sujet pour mobiliser les citoyens et citoyennes européens en faveur de l’Europe. Si Juncker fait valoir que « un milliard d’exportations européennes supplémentaires équivaut à la création de 14000 emplois en Europe », il faudra trouver d’autres sujets pour faire aimer cette Europe.

Le discours de Juncker était donc un « discours de dimanche », l’un de ces innombrables discours marqués par des « il n’y a qu’à » et « il faudra qu’on… » – mais en attendant cette relance européenne souhaitée par les 500 millions Européens et Européennes, Juncker aurait mieux fait d’annoncer que son pays allait mettre un terme à cette pratique honteuse de faire des cadeaux fiscaux aux multinationales au Luxembourg, leur permettant de réduire leurs impôts dans les autres états-membres quasiment à zéro. Juncker n’est pas différent des autres leaders européens – il réclame des réformes, il pointe tout le monde du doigt, mais au niveau où il pourrait effectivement intervenir, il ne le fait pas. Donc, et contrairement à ce que pensent de nombreux observateurs, il ne s’agissait pas d’un « grand discours qui relance l’Europe », mais d’une belle communication politique qui ne sera suivie d’aucune action concrète. Circulez, il n’y a rien à voir…

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