Fariba Adelkhah – Enfin, me voici dans le quartier des femmes (1/3)
Fariba Adelkhah relate ici son arrivée au quartier des femmes de la Prison d’Evin, puis sa grève de la faim, mais aussi la période entre son arrestation et son incarcération.

(Fariba Adelkhah) – En ce mois de décembre 2019, je suis toujours au 2Alef, le quartier tenu par les Gardiens de la Révolution, à quelques jours de la célébration de la Nouvelle Année 2020. Sepideh était partie depuis deux mois, et Niloufar l’avait suivie le mois suivant. Je partageais ma cellule avec une activiste étudiante. Elle disait avoir été arrêtée, pour avoir soutenu les droits des étudiants, à commencer par un juste prix des tickets-restaurants. Elle était jeune et très brillante. Son militantisme l’avait condamnée à l’Université. Elle ne pouvait pas postuler pour un doctorat, alors même qu’elle avait réussi les examens de passage. Elle était fière de son autonomie car elle vivait seule, hors de l’emprise de sa famille, dès l’âge de 18 ans. Et elle avait raison de l’être, car en Iran, je ne connaissais pas d’autre cas que le sien. Elle n’aimait pas qu’on lui pose de questions. Elle ne s’intéressait guère à ma présence ou à mon parcours. Ce n’était pas sa première arrestation. Elle semblait connaître les rouages du système pénitentiaire. Elle attendait sa caution, qui devait lui permettre d’attendre libre sa sentence, et qui tardait à venir.
J’allais commencer ma grève de la faim avec Kylie Moor-Gilbert, pour rétablir l’honneur des universitaires accusés d’espionnage ou d’atteinte à la sécurité nationale et pour revendiquer l’autonomie de la recherche scientifique. Deux jours avant notre grève, Kylie m’avait envoyé des mets succulents, notamment une belle salade de fruits à l’européenne. Ce fut fameux, mais je ne puis vous dire comment ce genre de colis parvient à bon port, malgré les règles de la prison ! Sachez tout de même que les trois bouquets, ou mes trois voisines qui avaient subi deux ans de mise en isolement – dont environ un ensemble – avaient la possibilité de commander en toute légalité la nourriture qu’elles voulaient, pourvu que celle-ci n’ait pas à être cuisinée. Elles m’en faisaient généreusement profiter. J’ignore si Kylie, de son côté, put bénéficier de cette tradition carcérale après le départ de ses deux codétenues, Niloufar Bayani et Sepideh Kashani (lesquelles viennent d’être graciées.
Elles figurent sur la photo illustrant cet article prise le jour de leur libération, aux côtés de notre avocat commun Hojjat Kermani, et au milieu des autres membres de leur organisation de défense de l’environnement et de la vie sauvage. Manquent sur le cliché Morad Tahbaz, échangé contre des promesses américaines, vraisemblablement fallacieuses, de déblocage d’avoirs iraniens, et Said Emami, le fondateur de l’ONG, décédé dès le début de son incarcération au secret, sans que l’on connaisse les causes de sa mort, et dont la photo de son visage prise à la morgue était déposée en évidence sur le bureau des interrogateurs de Sepideh et Niloufar, laissées dans l’ignorance de la disparition de leur camarade.
Kylie et moi-même commençons notre grève de la faim le 24 décembre 2019. Kylie avait décidé de la faire « sèche », sans manger ni boire, ce qui la condamnait à mort à très brève échéance. Tel est souvent le choix des prisonniers, dans l’espoir d’obtenir le résultat escompté le plus rapidement possible et de mieux mobiliser l’opinion publique en faveur de leur cause. Tout est calcul en prison ! Quarante-huitheures plus tard, Kylie est emmenée à la clinique. Dans le couloir, elle me crie de rompre ma grève de la faim : « Nous avons atteint les gens qu’on voulait ! ». Ma codétenue, l’étudiante taciturne, me fait comprendre qu’une grève de la faim de deux jours n’aura aucun effet. Il faut des hospitalisations, des ambulances, bref faire du bruit si l’on veut avoir gain de cause. Continuant quant à moi à boire de l’eau, je poursuis seule ma grève de la faim. Privée de la présence de Kylie, Sepideh et Niloufar, un peu orpheline, je m’enfonce dans mes lectures.
La suite, dès demain…
Kommentar hinterlassen