Fariba Adelkhah – Enfin, me voici dans le quartier des femmes (2/3)

Fariba Adelkhah relate ici son arrivée au quartier des femmes de la Prison d’Evin, puis sa grève de la faim, mais aussi la période entre son arrestation et son incarcération.

A Mashhad le vendredi, les bouquinistes du centre-ville, accordent une remise sur les livres qu’ils vendent. Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – Au dixième jour de ma grève de la faim, alors que je suis à nouveau seule dans ma cellule, la porte s’ouvre soudain : « Rangez vos affaires, on va vous transférer. ». On me donne des sacs en plastique : « Mettez tout dedans ». La prison d’Evin est à elle seule, un vrai danger pour l’environnement. Nous y vivons presque en sacs de plastique ! D’autres me sont apportés, qui contiennent les affaires qui m’avaient été confisquées lors de mon arrivée à Evin le 6 juin, je dis bien le 6 juin et non le 5, comme l’assure la date officielle sur les documents administratifs.

En effet, le jour de mon arrestation à l’aéroport, le 5 juin, j’ai été enfermée dans un autre local que je ne peux localiser, puisque j’avais les yeux bandés lorsque j’y fus conduite puis transférée à Evin. Je sais seulement que la pièce, tout en longueur, d’environ 1 mètre sur 2,5 dans laquelle j’ai dormi, était mitoyenne des toilettes. La femme qui m’y mena, me conseilla gentiment de me coucher sur les couvertures, car le sol était froid. Je me souviens aussi de la séance de photo, le lendemain, avant mon transfert à Evin, au 2Alef, le lieu de ma détention provisoire. Je devais tenir sur ma poitrine, un carton d’immatriculation à plusieurs chiffres. Un vieux monsieur, un peu voûté, qui avait l’air de traîner sur les lieux et n’était pas en costume de travail mais plutôt en pantoufles, comme chez lui – je ne sais pourquoi, cela m’a fait penser à une image de maison close, dans certains films ! – ne cessait de me présenter ses excuses, ou plutôt ses regrets alors qu’il ajustait mon numéro d’immatriculation pour qu’il soit bien cadré sur la photo. Il espérait que celle-ci n’allait pas servir in fine, et qu’elle serait vite jetée à la poubelle, lorsque serait annoncée ma libération. Ses phrases de compassion me dérangeaient beaucoup. Comme si une photo et une immatriculation pouvaient en soi changer ma vie !

Je me souviens aussi que deux femmes et un homme m’ont ensuite accompagnée chez le procureur, qui allait m’annoncer la nécessité de ma détention pour quelques jours. J’ai attendu dans la salle de prière du personnel, une pièce très ensoleillée. J’ai piqué du nez, et l’une des femmes qui m’escortaient m’a apporté un coussin, pour y déposer ma tête qui ne tenait plus droit, en attendant l’appel du procureur ou de son représentant. Je n’ai aucune idée du temps qui s’est ainsi écoulé. Quand j’ai été appelée, je me suis réveillée comme d’une longue nuit, dans la brume. J’étais ailleurs, ni effrayée ni inquiète, ni dedans ni dehors, sans attente aucune de la part de qui que ce soit – dans une espèce de no man’s land, dont je continue parfois à vouloir recueillir la moindre donnée, qui pourrait me permettre de saisir le sens de ce monde dans lequel je me trouvais.

Le jeune homme qui m’escortait avec les deux femmes était d’une grande attention à mon égard. Debout dans le bureau du procureur, attendant mon tour, il m’a apporté une chaise, puis il m’a demandé si j’allais bien, puis il m’a apporté de l’eau en me demandant de la boire : « Cela vous fera du bien. ». Je me souviens aussi de n’avoir pas su écrire de ma propre main, ce que le procureur voulait que je fasse. Je me suis contentée de dire que je signerai ce qu’il voulait, ce que j’ai fait sans même prendre la peine de lire le document, ni même de l’écouter quand il me le lisait. Je lui ai dit tout simplement que j’étais d’accord ! J’avais sommeil et je voulais en finir, pour aller me reposer, fût-ce en prison. « Ce que j’aime dans la vie, c’est dormir. », dit le Petit Prince. Et enfin je me souviens du temps magnifique, ensoleillé, qui me ramenait loin dans ma jeunesse. Le soleil de ce quartier d’Evin, lieu de mes promenades adolescentes, quartier résidentiel habité par des gens riches, est un soleil d’une nature particulière, au dernier mois du printemps !

La suite, dès demain…

Kommentar hinterlassen

E-Mail Adresse wird nicht veröffentlicht.

*



Copyright © Eurojournaliste