Fariba Adelkhah – Enfin, me voici dans le quartier des femmes (3/3)

Fariba Adelkhah relate ici son arrivée au quartier des femmes de la Prison d’Evin, puis sa grève de la faim, mais aussi la période entre son arrestation et son incarcération.

Qom 2017, il est presque impensable de voir une telle scène à Téhéran où les dignitaires ne se montrent pas souvent ainsi en public. Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – En ce début de janvier 2020, on vient donc de me demander de mettre mes propres habits, pour la deuxième fois depuis mon arrestation. La première fois, ce fut quatre jours après celle-ci. On m’avait amenée chez moi, en fait l’appartement où vivait ma mère, avant sa mort. Deux hommes attendaient devant l’immeuble. Cinq personnes m’accompagnent, dont la femme de l’aéroport, pour perquisitionner mon logement. Tout est inspecté et confisqué : ordinateur, téléphone portable, Ipad, enregistreur, disque dur, clefs USB, passeports iranien et français, livret de famille, cartes de visite, livres, clefs, etc. Ce jour-là, ils sont passés partout, y compris dans les appareils de climatisation sur le toit.

C’est long, une perquisition. Ils commandent un repas – du « jugeh kebab » – et ils m’en proposent. Je leur dis que j’ai déjà mangé. La dame se met à l’écart dans une chambre, les hommes s’installent dans le salon. Je vais m’asseoir avec la dame, je n’ai pas le droit de m’écarter d’eux. Elle ne mange pas son plat, elle n’en prend que quelques cuillères, puis elle emballe soigneusement les restes : « Je le mangerai ce soir, avec ma famille. », explique-t-elle.

Après le repas, ils continuent la fouille dans les bibliothèques, les armoires, les coins et les recoins de la cuisine, derrière la télé, dans tous les tiroirs. Ils mettent tout dans ma propre valise, celle avec laquelle je suis arrivée. Ils me tendent une feuille à signer : la liste des choses confisquées, car bien sûr, ils ne confisquent que dans le respect de la légalité et tout me sera restitué si je suis acquittée.

La valise est pleine et se ferme difficilement. Devant la porte, avant de la franchir, ils discutent entre eux sans que je les entende. Ils reviennent sur leurs pas et s’emparent de la dizaine de carnets de note qui sont sur mon bureau. Il s’agit de mes notes de terrain en Afghanistan, pour une recherche sur laquelle je travaillais depuis un an et demi et que j’étais en train de finir. « Cela ne concerne pas l’Iran ! », leur dis-je, presque en les suppliant ! « On vous les rendra si… » me répondent-ils. Je ne les ai toujours pas retrouvées !

La garde m’annonce mon transfert dans le quartier des femmes, dit Band-e Nesvan (le mot band renvoie au barrage, par exemple pour les barrages d’eau, et nesvan, en arabe, signifie femmes). Quelque temps avant ma grâce, le terme a été iranisé, sous la pression des détenues qui se sentaient offusquées de l’usage de la langue arabe ! Même en prison, les femmes gardent leur autonomie de pensée et s’attachent aux détails. On dit désormais Band-e Zanân.

Mes affaires se résumaient à quelques sachets de plastique, comprenant des tisanes, du curry dont on m’avait dit grand bien pour mon système digestif. Je demande à une garde, en catimini, la possibilité de dire adieu à Kylie. Elle me le refuse, alors qu’une autre vient me conduire à l’étage inférieur, côté administration, et non vers le côté où Roland était gardé dans le même bâtiment, que j’étais en train de quitter. Après avoir découvert qu’il y était détenu, je lui parlais souvent en français quand j’étais dans la cour, séparée par un mur du couloir qu’il empruntait pour aller aux interrogatoires. Dès que j’entendais la porte claquer, je parlais en français, bien que nombre de détenues empruntassent ce passage. Cela ne me décourageait pas. Et un jour il m’a répondu. Evin est aussi un univers magique ! Ce fut la dernière fois que je l’entendis, avant qu’il ne soit échangé.

Au bureau de l’administration de l’unité 2Alef, on fait encore tourner la caméra, en me demandant si j’ai été bien traitée. Je les rassure, et je signe, ainsi que d’autres papiers dont je n’ai aucun souvenir. Une voiture me conduit vers la dernière maison, en haut de la colline. On sonne à l’interphone de la porte, une porte ordinaire, comme si on allait rendre visite à la famille. La porte s’ouvre sur un rideau vert, bien épais, en plastique, derrière lequel se trouve une petite cour, avec une rangée de plantations sur la gauche, une fenêtre en face, et deux portes sur la droite. La première, qui communique avec le premier étage, est condamnée. La seconde mène au bureau du personnel auquel on accède en passant devant la cellule de quarantaine, toujours au rez-de-chaussée.

J’ai de la chance, mais je ne le comprendrai que plus tard : la garde de service est Mme Berenji, très patiente avec les détenues, gentille sans jamais être intime, distinguée et professionnelle, elle le restera jusqu’au bout, en dépit de l’impatience, voire de la condescendance ou de la violence verbale de certaines détenues. Une prisonnière moudjahid, mère de deux enfants, incarcérée depuis dix ans, ne manquait jamais de demander l’installation d’un ascenseur dans le quartier des femmes : « Il nous servira à nous aujourd’hui, Mme Berenji, mais à vous aussi, quand nous aurons pris le pouvoir et que vous serez à notre place ! ».

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