Fariba Adelkhah – Lettre à mes anciennes codétenues d’Evin
La scientifique franco-iranienne Fariba Adelkhah était détenue arbitrairement pendant 5 ans en Iran, y compris plusieurs séjours à la tristement célèbre prison d'Evin.

(Fariba Adelkhah) – J’aimerais dire que je suis avec vous, mais je ne le suis pas (ou plus). J’aimerais dire que je vous comprends, mais avais-je vraiment compris ma propre situation quand j’ai été, moi, avec vous ! J’aimerais vous dire tout simplement que je me souviens de ces moments terribles que nous avons tout ensemble, mais séparément, vécues. Car, en prison on n’est jamais ensemble. Être emprisonnée, et dans son coin, c’est le plus triste de tout. Aussi c’est ce qu’il me semble aujourd’hui, en pensant à vous.
C’est dur de vivre ces moments de rébellion de la cité, « Femme, vie, liberté » – ou l’idée que l’on s’en fait, dans l’enfermement, privée de tous ses liens. Que se passe-t-il aujourd’hui, chez vous, réduites que vous êtes à la vie du quartier (band) des femmes, dans l’expectative, à Evin, perdues, au cœur des bombardements ?
Je ne vous oublie pas ces temps-ci. Pas une seconde sans penser à vous. Nous étions 60, ce jour où nous avons soudain compris que ce que nous entendions étaient des coups de feu. Les flammes, les fumées provenant de l’atelier de couture, qui nous faisaient tousser. Je me souviens encore des cris, des doutes, des idées troubles et confuses. Nous n’écoutions ni les unes ni les autres. Nous voulions juste savoir ce qu’il se passait dehors, hors de ce lieu qui nous avait coupées de nos proches, des nôtres, de la ville.
En prison, on n’est pas toujours consciente de l’enfermement. On vaque à nos occupations. Par moments seulement, moments de lucidité, ou par temps de crise, on réalise soudain qu’on ne peut accéder aux autres, les interroger, les accompagner, les consoler – ou se faire consoler, comme si cela était un tabou.
Je me souviens qu’on est réduite à rien, à Evin, sinon, à notre dépendance saugrenue. C’est elle, sans doute, cette dépendance, qui nous fait éclater, gémir, rugir en ces moments de crise qui nous rappellent notre incapacité à faire face à l’arbitraire. C’est bien cette fragilité que nous avons en commun avec les autres, avec nos amies et nos proches, avec le monde. Ces crises qui nous rappellent nos projets abandonnés, inachevés. Et pourtant, il faut continuer à espérer, à rester éveillée. Je l’ai appris de vous, et je reste à vos côtés, je suis de tout cœur avec vous.
Je sais aussi qu’il est dur de se savoir contrainte d’avoir à choisir entre des fous. Mais entre nous, il ne s’agit pas de cela. Si choix il doit y avoir, ce n’est pas entre des coups de feu. Le choix, c’est la liberté d’être libre « à la fois », un projet que l’on n’abandonne jamais quand on a la foi.
Je pense, encore et toujours, à vous.
Fariba Adelkhah
Pendant les 5 ans de sa détention arbitraire en Iran, Eurojournalist(e) avait publié chaque 16 du mois, un article soit sur les avancements du dossier de Fariba Adelkhah, soit un article sur l’Iran, ce grand pays qui ne se résume ni au régime du Shah, ni à celui des mollahs.
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