Fariba Adelkhah – Oui, il y a une vie après la prison ! Mais laquelle ? (2/2)

La condition d’ex-détenue « politico-sécuritaire », comme l’explique Fariba Adelkhah, conduit, une fois revenue dans le monde dit libre, à subir des interrogatoires similaires à ceux vécus en prison. C’est proprement hallucinant !

Téhéran, quartier d’Abbasabad, en 2019. Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – Un soir, sur Club House, je rejoins un groupe – une « room » – qui tantôt fait le procès des autres, tantôt entend dévoiler le procès que d’autres sont en train d’intenter. Dans sa conflictualité, ce groupe me permet de mieux comprendre la complexité des liens entre les gestionnaires des « rooms » et d’obtenir des éléments dans la longue durée sur les enjeux et les implications des échanges. A peine arrivée dans cette « room », de façon inhabituelle, je me fais appeler. On me demande de monter sur le « stage », autrement dit sur le podium où se réunissent les intervenants. Comme cette « room » est restreinte et ne comprend qu’une centaine de personnes, je subodore que l’organisateur éprouve le besoin que je clarifie la raison de ma présence en son sein, chose qui ne se fait jamais en temps habituel. Mais, en chercheur, je pense toujours que toute question posée sur mon travail, pendant mon terrain, est légitime et qu’il est de mon devoir professionnel d’y répondre.

Je me présente donc et je salue la dizaine de participants montés sur le « stage ». Je me vois immédiatement confrontée à une kyrielle de questions d’ordre « politico-sécuritaire », tout à fait similaires à celles que me posaient mes interrogateurs d’Evin. La cohérence du groupe et des personnes qui questionnent tient à une forme particulière de raisonnement : « Si tu ne dis pas et ne penses pas la même chose que nous, c’est que tu es contre nous ». Toute autonomie de pensée ou d’objectif de l’interlocuteur – en l’occurrence interlocutrice – est refusée. A fortiori, quand il s’agit d’un chercheur, cette activité professionnelle ne faisant aucun sens dans certains cercles. La polarisation sur la scène politique, et même publique, est telle qu’il est difficile aujourd’hui d’établir un dialogue avec bien des groupes, et d’échanger ou de débattre à propos de questions de société.

Ce soir-là, je comprends très vite que je ne parviendrai pas à faire passer mon message ni à convaincre de mes intentions. Là où le bât blesse, c’est que, sous le prétexte du combat contre l’oppression, et au nom de la transparence, quelque cent personnes écoutent sans dire mot, sinon pour se joindre aux accusations à mon encontre. Tout argument différent des leurs est immédiatement interprété, comme un signe de complicité avec le régime et doit être dénoncé.

S’enclenche alors une vague d’injures et d’accusations visant à démontrer que je suis une agente de la République Islamique honnie, et que mon incarcération a permis de camoufler les vrais liens que j’entretiens avec celle-ci. A mon tour d’être une « hirondelle » ! Le « modérateur » (hum !) de la « room » pousse le bouchon un peu loin, en laissant entendre, en toute ignorance crasse du sujet, que ma libération a été négociée contre la remise aux autorités iraniennes, du journaliste en exil Rouholla Zam, qui a été exécuté à l’automne 2020 après son départ volontaire de France et son kidnapping en Irak par les Gardiens de la Révolution – il reprend une fake news qu’avait publiée Georges Malbrunot dans Le Figaro. L’attaque est d’autant plus ignoble, que j’ai refusé pendant toute ma détention, de tirer avantage de ma double citoyenneté franco-iranienne en acceptant des promesses d’échange ou des offres de collaboration que me faisaient miroiter mes geôliers.

Le « modérateur » et d’autres participants, me menacent alors explicitement d’une campagne de dénonciation sur les réseaux sociaux, afin d’obtenir mon renvoi de Sciences Po. La violence des propos se fait de plus en plus pressante, et ma parole de moins en moins audible. Je quitte alors la séance en pensant que j’aurais pu être attaquée, comme auparavant, en tant que chercheur – je l’ai été si souvent par la diaspora, avant d’être arrêtée ! – mais que je le suis désormais comme ancienne prisonnière, preuve s’il en est de ma compromission avec le régime. Le fait d’avoir fréquenté ses institutions carcérales, est un élément à charge pour les membres de cette « room ».

Mon casier judiciaire me poursuivra et permettra, ce sera selon, à un ami de s’écarter de moi, à un collègue de me mettre en cause, à l’opposition de nourrir la flamme de la révolution à venir. Ce n’est pas « Surveiller et punir », c’est « Surveiller les punies »… Il y a des libertés qui n’en sont pas une !

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