Fariba Adelkhah – Sacrées codétenues ! (1/3)

Fariba Adelkhah relate ici sa vie dans la terrible prison d’Evin en Iran, où elle était incarcérée après son arrestation arbitraire.

Téhéran, dans le métro en 2017. Sur l'affiche de la Mairie, on peut lire non pas un Hadis, mais un autre souci - courir sur les escalators met en péril le bien public... Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – En janvier 2020, lorsque j’ai été transféré du quartier des Gardiens de la Révolution à celui des femmes, celui-ci comprenait notamment trois grands dortoirs que j’appelais des lofts, quitte à faire rire mes nouvelles amies. Il s’agissait d’espaces ouverts, communiquant les uns avec les autres. Une autre salle, située à l’opposé de cette unité, au même étage, était occupée par les femmes kurdes, de 15 à 20 personnes que certaines qualifiaient de Daeshi – de militantes de Daesh. Des femmes sunnites dont les maris étaient supposés combattre en Irak, à moins qu’ils n’aient été tués sur le front. Néanmoins elles ne me semblaient pas être toutes mariées (ou veuves).

Elles vivaient à deux pas de nous, certaines avec leurs enfants, y compris des tout petits, qu’elles gardaient avec elles jusqu’à l’âge de l’école, et qu’elles confiaient alors à leur famille, à l’extérieur, sans que l’on sache où exactement. Les communications avec elles étaient interdites, et donc des plus limitées. Elles passaient devant nous pour aller dans la cour, deux fois par jour. Elles y restaient une heure pendant laquelle nous ne pouvions accéder à cette dernière. Par ailleurs, l’obstacle de la langue ne facilitait pas les choses. Je les voyais souvent à la clinique. Elles y venaient en groupe, enveloppées de leur tchador fleuri selon la tradition de leur région, et elles se montraient très respectueuses des normes religieuses.

Avant de rejoindre le quartier des femmes, quand j’étais encore en détention provisoire, je croyais qu’elles étaient Moudjahidines du Peuple. Je me faisais une idée bien traditionnelle des sympathisantes de cette organisation ! Certaines de mes codétenues choyaient leurs enfants, en particulier Gandom, une royaliste avec laquelle j’avais sympathisé. Elle les prenait souvent dans les bras, leur apportaient des friandises, leur offrait des cadeaux.

Et un beau jour, on les a vues partir. Un matin les gardes sont venues tôt pour fermer la porte vitrée de notre unité, composée des trois salles attenantes, et elles nous ont demandé d’y rester, le temps de l’évacuation des Kurdes. Celles-ci étaient déjà prêtes, avec leurs nombreux sacs en plastique noirs, sans doute averties de leur transfert, mais elles ne nous en avaient pas prévenues. On a assisté à leur départ, comme à un défilé. Elles passaient les unes derrière les autres, souriantes avec leurs enfants, la tête penchée vers nous, derrière la porte vitrée, se succédant, et nous regardant en agitant les mains, en envoyant des baisers. Certaines marquaient un bref temps d’arrêt derrière la porte, les larmes aux yeux. De notre côté, des détenues criaient de joie et leur envoyaient en retour des bises, parfois à peine réveillées, ébahies, un sourire énigmatique aux lèvres. D’habitude, personne n’avait le droit de faire du bruit avant 9h du matin. Mais l’horaire du départ d’Evin, pour qui que ce soit, n’est pas une heure comme les autres. Nous avons même entonné un hymne, comme le veut la tradition quand des femmes quittent le centre pénitentiaire. Il paraît que ces prisonnières y étaient restées trois ans. Nous n’avons plus jamais entendu parler d’elles. Sont-elles retournées au Kurdistan, dans l’anonymat le plus complet, comme elles étaient entrées à Evin ?

Revenons au jour de mon arrivée dans le quartier des femmes, en ce mois de janvier 2020. Sepideh s’est immédiatement occupée de moi, comme elle sait le faire, d’une main de maître. Nasrine Sotoudeh est également venue me saluer très chaleureusement. J’apprends de la bouche de Mme Berenji, la chef des gardiennes, qu’il y a une représentante des détenues (vakil band) qui fait le lien avec l’administration carcérale et s’occupe de la gestion de notre lieu de cohabitation forcé et qui, donc, va m’expliquer la réglementation intérieure qu’il convient de ne pas prendre à la légère. Une réglementation que je découvre, au fil des jours et de mes allers et venues, écrite sur des papiers aux formats divers, avec des feutres en couleur, ma foi souvent décolorés, et affichés un peu partout sur les lieux de passage et d’usage, tels que la bibliothèque, la cuisine, les sanitaires, la salle de gym. Une réglementation qui sera toujours l’objet de nos réunions et de nos concertations à ne pas en finir, parce que, comme toute réglementation destinée à réguler la coexistence des personnes concernées, celle-ci n’est pas toujours respectée. Elle suscite de nombreux désaccords entre elles et devient un motif de conflits. L’une des fonctions de la représentante, élue pour un trimestre, est d’arbitrer ceux-ci. Lors de mon arrivée, c’était Nasrine Sotoudeh qui avait cette responsabilité après avoir été élue, un peu auparavant, contre Nargues Mohammadi. Avocate (vakil) de profession, elle ne comptait jamais son temps pour rendre service à ses codétenues, les conseillant, écrivant pour elles des lettres.

La suite dès demain…

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