Fariba Adelkhah – Sacrées codétenues ! (2/3)
Fariba Adelkhah relate ici sa vie dans la terrible prison d’Evin en Iran, où elle était incarcérée après son arrestation arbitraire.
(Fariba Adelkhah) – Une fois achevées les formalités administratives, ayant reçu mon petit sac composé d’un dentifrice Pooneh, d’une brosse à dents verte, d’un peigne en plastique bleu, de pantoufles, elles aussi en plastique bleu, d’une trop petite serviette brune et d’un slip fleuri, je suis prête à suivre Sepideh pour monter à l’étage. On me demande si j’ai besoin de serviettes hygiéniques. Je réponds que pour moi, ce sera bientôt Easy Life ! Petit sourire de Mme Berenji, et un éclat de rire de Sepideh. Nous nous mettons en route. On longe un couloir de 10 mètres de long et de 1m80 de large, et on passe devant le dortoir des gardes. Nous tournons à droite avant que le couloir ne continue vers la salle de gym et la cour. Il me faut quitter mes chaussures et enfiler mes pantoufles bleues, celles que je viens de recevoir, les mêmes que nous savons mettre et retirer les yeux fermés et dont Roland avait tant de mal à venir à bout. J’obéis à l’ordre de Sepideh et soigneusement, je place mes chaussures sur l’étagère conçue à cet effet avant de monter les escaliers. Je ne les reprendrai qu’occasionnellement quand je quitterai le quartier des femmes pour me rendre au parloir rencontrer mon avocat – en fait, cela ne se produisit qu’une fois, avec l’un de ses confrères à qui il avait transmis mon dossier avant de quitter l’Iran, sans que celui-ci ne puisse véritablement le représenter devant la justice et me défendre devant le tribunal –, pour aller à la clinique de la prison ou chez le dentiste à l’extérieur de celle-ci, pour la visite hebdomadaire de ma famille, ou encore pour répondre aux convocations de l’administration pénitentiaire et judiciaire.
Sepideh est déjà dans ses pantoufles, mais elle, elle en a de belles, pas des pantoufles banales en plastique : des Birkenstock ! Oui, Evin est aussi ce lieu de distinction où l’on affiche ses modes de consommation. L’une de mes amies a attendu quelques mois et s’est retenue de commander une autre paire de chaussons adaptée à ses problèmes de dos pour ne porter que ses propres Birkenstock originales que sa fille allait lui envoyer en passant sous les fourches caudines de services d’inspection de tout genre.
Devant les escaliers, et avant de monter, je vois écrit sur ma droite : « Epicerie » (foroushgah), et un tableau sur lequel sont inscrits les prix de certains des aliments qu’on y trouve. Sepideh, me voyant regarder, me dit tout de suite que l’épicerie n’ouvre que demain, qu’il est déjà tard, qu’elle ferme à 16h. Nous montons les escaliers, et une fois à l’étage, il faudrait encore enfiler d’autres pantoufles pour entrer dans l’unité d’habitation. On fait à l’iranienne : l’espace d’habitation est sacré et on ne le souille pas avec des chaussures de l’extérieur. Mais je n’en ai pas d’autres. C’est Sepideh qui m’en donne une nouvelle paire, en me demandant de laisser les miennes sur l’étagère qui est disposée à l’entrée de la salle, en me conseillant d’y écrire plus tard mon nom ou mes initiales afin de ne pas les confondre avec celles des autres. Les pantoufles, c’est une obsession des prisonnières. On en trouve encore à l’entrée des sanitaires : les unes mises à la disposition de toute une chacune, les autres personnalisées par un nom ou des initiales. Une manie des détenues, que je découvrirai en arrivant, est de partager le moins possible, fût-ce avec ses amies : ni les chaussons ni la pince à épiler ou le coupe-ongles. On lave et désinfecte tout objet de ce genre.
Nous sommes enfin prêtes à franchir la porte vitrée sur la gauche, en face de la porte de la salle dédiée aux femmes kurdes. Derrière les rangements réservés aux pantoufles, se trouve l’espace de prière, de 2m30 sur 1m80 environ, avec tapis au sol et une table pour celles qui ne peuvent plier les genoux. Trois rangées de livres religieux sont disposées sur une étagère accrochée au mur. On y trouve le Coran, le Mafitih (un recueil de prières réservé aux chiites), le Sahifeh (le livre de méditation et de morale, sous forme de prières, du Sixième Imam), le Nahjol Balagheh (un recueil composé de lettres, de discours et de prêches de l’Imam Ali). En tant que responsable de la bibliothèque pendant un moment, j’y ai trouvé un jour, enfoui au milieu des autres ouvrages, deux petits livres destinés aux croyants bahaï. On m’a dit qu’on pouvait aussi trouver la traduction de la Bible, que certaines des converties s’accaparent pour la lire en cachette dans leur lit.
La suite dès demain…
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