Faut-il fermer les universités ?

Le débat sociétal qui a été déclenché par les « gilets jaunes » est important. Mais ce n'est pas une raison de niveler tout vers le bas.

Rouge. Jaune. Rouge. Jaune. Il ne faut quand même pas en arriver là... Foto: Pat Loika / Wikimedia Commons / CC-BY 2.0

(KL) – Est-ce que nous sommes en train de tomber dans le piège dans lequel tombait déjà Montaigne au XVIe siècle en faisant l’éloge du « bon sauvage » ? Dans les débats actuels, on est déjà suspect de faire partie de la « macronie » lorsque le nombre de fautes d’orthographes ou de français reste limité. Autrement dit – plus on s’exprime mal, plus on est authentique. Mais Montaigne, et bien plus encore, les bobos 2019 ont-ils vraiment raison de promouvoir ce nivellement vers le bas ? Pour Montaigne, le « bon sauvage » était un individu à l’état de nature, innocent et donc, remarquable par ses qualités morales.

Ni les « gilets jaunes », ni les « foulards rouges » ne sont des « bons sauvages », et l’expression truffée de fautes de part et d’autre n’est pas un signe d’authenticité et de « qualités morales ». Bien sûr, dans un débat sociétal, tout le monde doit pouvoir s’exprimer, mais ce n’est pas une raison de le faire de manière vulgaire, agressive et irrespectueuse.

La France ne sortira pas de la crise vers le bas, mais elle ne peut en sortir que vers le haut. Il faut arrêter avec ce mythe de « l’intelligence collective » : elle n’existe pas. On ne va pas fermer les universités et les filières de Science Po en arguant que désormais, la politique de la nation sera décidée sur les ronds-points. On ne va pas commencer la « chasse aux intellectuels » parce qu’ils ont le malheur de s’exprimer correctement. On ne va pas non plus exclure quelqu’un du débat parce qu’il n’a pas eu la chance de suivre une bonne scolarité. Mais il faut faire attention de ne pas tomber dans les travers de la Révolution Culturelle en Chine où justement, écrire sans commettre de fautes pouvait valoir la peine de mort.

La France, comme tous les pays, a besoin d’une élite qui tire le pays vers le haut. Ce sont les philosophes, les ingénieurs, les chercheurs et les scientifiques qui font progresser le pays. Le « mépris de classes », actuellement reproché à tout un chacun capable d’écrire deux lignes sans confondre infinitif et participe passé, est beaucoup plus marqué dans l’autre sens. Le raisonnement et la réflexion n’ont plus cours, on entre dans l’ère du slogan. Et plus les slogans sont plats et dépourvus de sens, plus ils marchent bien. Mettre les « élites » du pays en quarantaine pénalisera toute la France.

Qui crée les entreprises, les projets, les structures qui génèrent de l’emploi ? Qui peut inventer les systèmes de société de demain ? Où est-ce que l’on forme ceux qui demain, peuvent apporter ce petit plus à la France qui permet de défendre sa place dans le concert mondial ?

La « lutte des classes » actuellement plébiscitée est un concept d’avant-hier. Aujourd’hui, il convient que toutes les forces vives de la société se mobilisent et surtout, qu’elles travaillent ensemble. Donc, si effectivement, il n’y a pas lieu de se moquer de ceux qui font des fautes, il n’y a pas non plus lieu de condamner tous ceux qui ont fait des études, qui inventent, qui gèrent. Le « mépris des classes » va aujourd’hui dans les deux sens, et il faut cesser de l’alimenter.

Non, on ne remplacera pas les universités par des « Actes », on ne créera pas de l’emploi en paralysant l’économie, on n’apaisera pas la société en tirant les uns sur les autres. La violence de rue s’est installée et elle n’est pas justifiée. Oui, tout le monde cite aujourd’hui le bon vieux Helder Camara avec ses trois piliers de la violence, indiquant que le premier pilier est la violence de l’Etat envers les pauvres. Mais ceux qui le citent à tort et à travers oublient qu’il a écrit ce texte en 1964, lors de la dictature militaire au Brésil. Comparer la situation en 1964 au Brésil à la situation 2019 en France…

La société française est largement divisée sur la question des gilets jaunes et de cette violence dans la rue. Si une vaste majorité des Français est favorable au progrès social, ce ne sera pas en détruisant le pays et son économie qu’on y arrivera. Et il serait temps d’élever le niveau de ces débats – mais actuellement, tout le monde ne fait que verser de l’huile sur le feu, avec des insultes réciproques et un niveau des échanges dont la vulgarité devient insupportable. S’exprimer avec une telle vulgarité, et ceci est valable autant pour les « gilets jaunes » que pour ceux qui n’approuvent pas leur façon de faire, n’ouvrira en aucun cas la voie vers une solution. Il serait temps que le respect et l’argument reviennent dans ce débat qui autrement, risque de dégénérer encore davantage.

Non, on ne va pas fermer les universités. Non, on ne va pas chasser « les élites » pour qu’ils fassent le bonheur des économies américaine, allemande ou chinoise. Il est temps qu’on discute ensemble, « gilets jaunes », « foulards rouges », ouvriers et intellectuels, et ce, dans un respect mutuel. Et chacun doit faire un effort pour trouver une tonalité permettant de mener un débat constructif. Des deux côtés.

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