Fédéralisme avec autonomisme : une spécialité alsacienne ?

En Alsace, c’est la réforme territoriale contestée qui accouche de ce monstre hybride, le fédéralautonomisme. Un néologisme aussi audacieux que la posture est surréaliste. On pourrait l’appeler «Unser Land im Europabund», soit «notre pays dans la fédération européenne».

Un drôle d'alliance s'est crée entre les autonomistes et les fédéralistes - qui ensemble, ne font pas vraiment bouger les masses... Foto: Claude Truong-Ngoc / Eurojournalist(e)

(Par Antoine Spohr) – Les adeptes affirment haut et fort qu’ils militent pour une Europe Fédérale des Etats et des Nations, une vraie Europe, comme un immense Etat-Nation ou pour le moins, des Etats-Unis d’Europe, cela tout en réclamant une autonomie interne, dans le pays ou hors d’ici on trouve preneur. Outre-Rhin par exemple ? Ou dans l’Europe des régions ?

Antinomique ? Pour le sens commun sans doute mais pas dans l’ambition politique électoraliste. Carpe et lapin, choucroute avec Kougelhopf ou encore Wädele (jarret) avec Bredele (petits gâteaux) : nouvelles spécialités dans une région prisée pour sa gastronomie !

Heureusement, ils ne sont pas légion. Comme aurait chanté Léo Ferré après mai 68 «Il n’y en a pas un sur cent et pourtant ils existent». Il s’agissait là des anarchistes qui eux au moins, ont une logique. 1% serait un score inattendu mais qui ne prendrait pas en compte tout le malaise alsacien.

Au départ étaient les régionalistes puis les autonomistes. – Régionaliste ou autonomiste, il n’y a aucun mal à l’accepter en démocratie et surtout dans un contexte historique complexe qui explique qu’on puisse l’être et même qu’en certaines circonstances, on doive l’être comme en Alsace depuis 1870. Certains peuvent même en tirer quelque fierté. Le mouvement répond alors à l’annexion par la Prusse après la défaite française de Sedan. Les Alsaciens et Mosellans, candidats aux élections législatives, réclament un traitement d’Etat allemand (ein Staat) et non celui de Reichsland Elsass-Lothringen (Alsace-Moselle), soit une Terre d’Empire sous tutelle de Berlin, dans un Reich qui se méfie d’eux tout en accordant en 1911 un Landtag, i.e une Assemblée Législative Régionale. L’exécutif reste à l’empereur via son représentant à Strasbourg.

Puis vint la guerre, la Grande. – Les Alsaciens avec leurs voisins mosellans peuvent chanter avec l’auteur–compositeur alsacianophone, le talentueux poète René Eglès «Zwische zwei Stehl bin ich gebore», (je suis né entre deux chaises) et il ajoute que personne ne lui a jamais demandé son avis). Les voilà donc coincés et traités en «occupés» par le maître. Les hommes de 17 à 45 ans sont incorporés comme tous les Allemands, cette fois sans discrimination. Sur les 380 000 mobilisés, on pleurera 50 000 morts et 150 000 blessés. Dur, dur… pour le sentiment national. Lequel au fait?

Pour«refranciser» la région, la France envoie des fonctionnaires, instituteurs et professeurs venus de «l’Innere Frankreich» i.e la France de l’Intérieur. Cette formulation traduit tout de même l’acceptation de l’appartenance à la France mais sur la périphérie, avec des spécificités qu’il faudra défendre. On s’y emploiera avec ténacité jusqu’à ce jour. Qu’il y ait aujourd’hui des dispositions particulières et une certaine réticence devant le jacobinisme franco-francais centralisateur est compréhensible. De là à réclamer l’autonomie, voire l’Indépendance à l’heure des regroupements géopolitiques que la mondialisation impose, il y a une imposture insupportable car cela ne peut mener qu’à un isolement sur tous les plans. «Ohne Frankrich in der Zükunft» soit«Sans la France dans l’avenir», c’est dit dans l’entête du site «Unsri Heimet» soit «Notre patrie». C’est fort tout de même.

Y ajouter le fédéralisme européen est la touche finale, totalement antinomique, surtout quand, en outre, on tient à sauvegarder une langue qui n’est qu’un dialecte savoureux mais à vocabulaire et prononciation, grammaire et syntaxe, très variables dans le Ländel. Elle n’est pas davantage menacée aujourd’hui qu’elle ne le fut hier. De plus, rares sont les élus qui la pratiquent. Ils ne savent pas ce qu’ils auront perdu si on interdit «in der Zükunft» la langue française, comme jadis l’allemand.

Le Parti Fédéraliste Européen (PFE), un allié en opportunisme électoral. – Des liaisons dangereuses. L’Alsace ne peut en aucun cas se comparer à l’Ecosse ou à la Catalogne ou d’autres mouvements autonomistes qui voudraient retrouver une indépendance établie et perdue il y a longtemps sans pour autant renoncer pour cette entité territoriale à son intégration européenne. A moins qu’on en revienne au Reichsland qui était en voie de devenir un Land allemand. Il faudrait alors le dire clairement. Ou peut-être, l’Alsace des traités de Westphalie, sans Strasbourg ni Mulhouse ?

En attendant avec le PFE, «Prenons le pouvoir à Bruxelles» : le trône du roi des Belges vacille. Ou alors Junker et ses sbires de la Commission tremblent, terrifiés. C’est pourtant le slogan énigmatique de parti sur son site.

«Combien de divisions» comme disait Staline, un autre conquérant, à propos du pape ? Le sait-on à la vérité pour le PFE. Pour sa branche Grand-Est français, on sait bien entendu à peu près. On sait en tout cas qu’elle est divisée. Des fédéralistes sincères ont claqué la porte, désemparés par ces alliances contre nature avec des micro-souverainistes régionaux. Dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, on trouve cet appel révélateur :

«Unser Land cherche candidates à l’Ouest.
La liste de Jean-Georges Trouillet manque de femmes en Champagne–Ardenne et en Lorraine si l’on en croit l’appel qui a été fait au parti fédéraliste européen du Grand-Est. Une réunion jeudi dernier devait en parler : les femmes fédéralistes étaient invitées à compléter les listes de l’alliance autour de «Unser Land» dans les départements champardennais ou lorrains» (les chuchotements du lundi).

Comme le proclamait Aragon : «la femme est l’avenir de l’homme». Nous verrons donc si le compte y est. On remarquera néanmoins que, hormis les souverainistes des deux extrêmes de l’échiquier politique, les partis traditionnels LRPS et autres, sont tous un tant soit peu fédéralistes, plus ou moins pressés.

Le FN, de son côté, cherche des dialectophones. A chacun, ses problèmes.

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