Fee, fi, foe, fum

Donald Trump, here I come

George C. Marshall en 1953 Foto: Yousuf-Karsh / Wikimédia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(MC) – Comme on sait, Donald Trump a déclaré récemment que l’Union Européenne était son « foe », son ennemie. Qu’est-ce à dire ? Quelle est au juste la place de l’UE face aux Etats-Unis ?

Sans doute y a-t-il dans ces paroles une irritation de ce que l’UE défende principiellement – et pragmatiquement – son multilatéralisme : les Etats-Unis sont un ami, mais un ami parmi d’autres. Difficile à supporter pour la structure mentale infantile de Trump, qui ne supporte pas qu’on aime quelqu’un d’autre que lui-même. Le syndrome de l’enfant unique.

On assiste donc à un petit jeu paranoïde du style : «Mon p’tit coeur n’est pas fait pour toi ». Un jeu paranoïde des préférences : l’UE plus proche de la Russie que des Etats-Unis d’Amérique ? Les USA plus proches de Moscou que de l’UE ?

Poutine désire manifestement se rapprocher de l’Union Européenne : on l’a vu affectueux avec Emmanuel Macron et avec la présidente croate lors de la finale de la Coupe du Monde à Moscou dimanche dernier. Mais de graves différends séparent l’UE de la Russie : la nature dictatoriale du régime, bien sûr ; l’annexion de la Crimée et la guerre financée et soutenue logistiquement par Moscou, plus ou moins discrètement. L’imbroglio géorgien, aussi, de plus en plus complexe : la Russie et les services secrets russes y jouent bien évidemment un rôle important, bien que les Américains utilisent les premiers ministres successifs comme sur un stand de tir où les personnages de carton se succèdent, interchangeables, et sont à chaque fois présentés comme LE démocrate par excellence. Eh bien non, ce n’est certes pas le cas. Saakachvili est en train de penduler comme un général Alcazar d’opérette entre Ukraine et Géorgie, après d’inénarrables ennuis avec la justice de ces deux pays.

D’ autres faits rapprochent l’Europe du pays des tsars, notamment leur réaction quasi commune lors de la dénonciation de l’accord nucléaire iranien. Les relations commerciales ou la lutte contre le changement climatique, également.

Mais le rapprochement de l’UE, du moins une certaine proximité ponctuelle avec Poutine, n’inclut pas que Trump s’éloigne de Poutine ; bien au contraire. Donald Trump exerce un jeu de séduction jalouse, comme on a pu le constater lors de la rencontre toute récente de Helsinki et ses suites : les déclarations concernant l’ingérence russe lors de la campagne électorale de Trump et le tollé général qu’elles ont occasionné aux USA.

Sans doute, ce qui importe réellement dans ce jeu infantile, paranoïaque et complexe, c’est avant tout les sentiments très complexes qu’éprouvent les dirigeants américains à l’égard de l’Europe : un mélange d’envie, de condescendance et de méfiance, pour l’essentiel. Trump est à cet égard un exemple extrême et exaspéré de cet imbroglio sentimental. Sa visite lamentable en Europe en ce mois de juillet l’illustre jusqu’à l’obscénité.

Mais il ne faut sans doute pas que nous cristallisions notre attention horrifiée sur la personnalité de Trump. Les Etats-Unis deviennent réellement, de manière assez puissante et radicale, un pays qui refuse le multilatéralisme. La relation maintenant ancienne, née après 1945 entre Europe et USA, est sans doute en train de s’achever. America first et égoïsme sacré ont dépassé dans leur brutalité l’isolationnisme de certaines périodes historiques.

Après 1945, les Etats-Unis ont reconnu leur responsabilité (au sens étymologique de : répondre de) face à l’Europe et à son devenir. Le Plan Marshall a entériné une dépendance assez profonde de l’Europe ; il n’a pas facilité l’intégration européenne des Etats-nations. Il a, bien sûr, creusé un profond fossé entre l’Ouest et l’Est de l’ Europe et joué un rôle économique si important que les pays européens ont affirmé leur alliance atlantique ; mais jamais en considérant cet alignement comme complet et définitif…

Les relations USA-Europe sont demeurées bonnes, somme toute, dans le deux décennies suivant 1945. La CEE, après 1957, a marqué une divergence importante entre les deux puissances : devoir d’assistance aux pays « en voie de développement », comme on disait à l’époque, accords privilégiés avec les pays africains, affirmation de la nécessité d’aider dans la mesure du possible les pays d’Europe Centrale et orientale afin d’ assurer la paix – et en conséquence, à l’opposé des Etats-Unis, développement des échanges commerciaux avec ces pays. Et cependant, Kennedy et Johnson entretiennent de bonnes relations avec la CEE.

Puis les succès économiques européens et l’ autonomisation croissante du Vieux Continent occasionnent des réactions qui ressemblent à cette guerre économique que Trump appelle de ses vœux, en plus feutré cependant : les Etats-Unis prennent notamment conscience,vers la fin des années 1960, du rôle clé que joue la Politique Agricole Commune ; un rôle puissamment intégrateur et unificateur de l’Europe. Ils essaient donc de dissoudre la PAC. Et chaque amorce de définition concrète d’une identité européenne plénière éveille à Washington le soupçon que les Européens vont s’éloigner de l’Amérique et donc, horreur absolue, se rapprocher de Moscou et de ses satellites. Il est vrai que Jean Monnet ou Charles De Gaulle, dans les années 1960, réaffirment avec force la nécessité de n’être pas sous la coupe d’un Etat trop puissant, et de diversifier ses alliances.

Puis l’identité européenne s’est considérablement affermie dans les années 1970, après les problèmes rencontrés à l’époque par le SMI : c’est alors que face à l’hégémonie états-unienne commence à naître, malgré les critiques parfois violentes de Washington, la monnaie européenne commune. L’Europe, conjointement,obtient la libéralisation des échanges, dans les deux sens. Elle existe réellement, désormais, dans les relations internationales.

Survient, quelques années plus tard, la globalisation accélérée de l’économie planétaire. L’Europe éprouve ce phénomène comme une menace, le point d’aboutissement de l’hégémonie américaine. Avec ce que cela suppose de soumission. D’où sans doute les nombreuses manifestations « identitaires », à partir des institutions européennes aussi bien que dans les Etats-membres pris séparément. L’ “égalité ” que préconisent et que réclament les institutions européennes depuis la création de la CEE (1958) n’est certes pas ce que désire Washington.

C’est ainsi que dans ces années 2000-2020, les Etats-Unis, par le biais de cette incarnation catastrophique qu’est Trump, réagissent pour cette raison très simple qu’ ils voient en l’Union Européenne une rivale, et qui plus est une rivale gourmande et entreprenante. America first : il faut donc que l’Europe soit deuxième (ou troisième, à en juger par l’attitude servile de Trump la semaine dernière à Helsinki…), et surtout pas à égalité avec les USA comme le voulaient les traités des années 1950-1960.

L’agressivité de Donald Trump n’est nullement anecdotique, et elle n’est pas la seule marque pathologique d’un enfant-monstre. Elle traduit la tendance ancienne, profonde et dominante d’une fraction très importante de l’Amérique, l’ affirmation renouvelée de sa volonté d’hégémonie. C’est très simple.

 

 

 

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