Fessenheim et le dogme nucléaire français

Démocratie et nucléocratie : la persistance technocratique d’un mythe

Fessenheim et le dogme nucléaire français : à lire absolument ! Foto: Eurojournalist(e)

(Marc Chaudeur) – Aujourd’hui, nous commémorons le 11 Mars 2011 : la catastrophe de Fukushima. En Alsace, nous avons la centrale de Fessenheim, grand-mère indigne à la peau craquelurée. Un livre vient de paraître à son sujet chez Andersen. Il ne constitue pas à proprement parler une réflexion sur le sujet Fessenheim, mais il donne les éléments essentiels pour une telle réflexion. Au-delà des éléments maintenant bien connus que rappellent – de façon très précise – les contributions d’un certain nombre de spécialistes ou d’intervenants, on se pose la question : pourquoi un tel entêtement de la part de l’Etat français dans ce qui est véritablement un dogme, et plus fondamentalement, un mythe, le mythe français du nucléaire ?

Cette variante du mythe national français commence dans les années 1950, avec l’obsession gaulliste de l’indépendance militaire française. Ce qui s’entend comme dissuasion face au péril rouge soviétique, mais plus encore comme défiance radicale à l’égard de l’impérialisme américain. Le mythe était posé pour très longtemps. S’en est suivi le mythe de l’indépendance énergétique à tout prix ; et la première centrale nucléaire a vu le jour en 19. On poursuit dans ces années là sur la même lancée, sur la même « logique » : l’indépendance militaire de la France doit aller, bien entendu, avec l’indépendance de l’approvisionnement énergétique : le nucléaire civil se développe alors. Une préoccupation compréhensible,et que nous faisons entièrement nôtre au départ : celle de ne pas devenir un satellite des Etats-Unis d’Amérique comme l’Europe centrale et orientale l’est devenue de l’URSS – et la quasi totalité de l’Europe occidentale, des Etats-Unis, précisément. Quoi de condamnable ? Rien ?

Si : les moyens. En somme : des essais de Reggane aux centaines de « problèmes », d’ « incidents » que la centrale de Fessenheim a connus depuis 1977, une même inflexibilité, une même roideur où il faut identifier la schizophrénie du technocrate : une maladie plus résistante que le chancre du limaçon ou le phylloxera de la salsepareille.

Cela vaut dans une perspective surtout politique. Dans le domaine technologique, Jean-Paul Klee réitère son énumération des risques de la centrale de Fessenheim : elle est vieille et délabrée (« 33 défauts sous revêtement », reconnaît l’ASN elle-même !) Le radier en béton n’a que 2 mètres d‘épaisseur contre 8 à Fukushima : si le cœur fondait, il serait percé en 2 jours à peine, et la nappe phréatique (3 mètres plus bas) serait contaminée pour des millions d’usagers. Les murs d’origine sont trop minces : une seule enceinte de confinement, comme à Tchernobyl. La centrale construite à 8, 50 mètres plus bas que le Canal d’Alsace : risque d’inondation. Pas de tour de refroidissement. Implantation sur une faille tectonique. Pollution actuelle du Rhin par les rejets d’eau chaude radioactive. Stockage de déchets radioactifs dans de minables hangars de métal (avis aux djihadistes). Déchets dont on ne sait toujours point que faire, et qui subsisteront encore quand depuis très longtemps, plus personne ne saura qui était Emmanuel Kant et Beyoncé et que les gens se salueront en se disant zorglub. Le risque des défaillances humaines. Des risques immenses, en somme, proprement hallucinants et qui se situent sur une échelle inhumaine, monstrueuse, à Fessenheim davantage encore que pour les centrales plus récentes.

Les contributions du physicien Jean-Marie Brom, de Floriane Dupré, André Hatz, Jean-Paul Klee et Olivier Larizza mettent le doigt sur les points sensibles. En un mot : aïe. Le titre de l’article de Jean-Marie Brom est excellent, et particulièrement suggestif : « Fessenheim du mythe au symbole ». Un mythe déjà mentionné s’est installé, en effet : celui de l’indépendance nationale. « Mythe » dans les sens d’un récit national, et dans celui d’une croyance impossible à réaliser in concreto dans ce bas monde sans vendre son âme à Belzébuth.

Le terme « symbole », lui aussi, est en définitive double. L’ouvrage montre bien comment tout le projet du nucléaire civil (pour ne parler que de lui) souffre d’une incroyable rigidité mandarinale. Celle du système politique français tout entier. On met en place un dispositif gigantesque censé résoudre tous les problèmes (ah, les X- Mines!) qu’on persiste à ne pas savoir moduler, comment remédier à ses inconvénients, éventuellement comment le remettre en question d’une manière ou d’une autre comme on a pu le faire dans la plupart des pays voisins. En ce sens, le nucléaire français est le symbole de toute une manière de pratiquer la politique, qui potentialise encore les inconvénients quasi-métaphysiques de la technocratie et de ses légions de terrifiants démons.

« Métaphysique », oui, une métaphysique dont participe le dogme nucléaire français que mentionnent plusieurs contributeurs de l’ouvrage, et dont ce dogme représente un avatar extrême, puissamment aggravé par le centralisme politico-administratif de l’État. Constatation qui n’est pas nouvelle, mais dont il faut répéter sans cesse le caractère très particulier à une époque précise de l’histoire des hommes, qui disparaîtra peut-être avant l’extinction de l’espèce. Peut-être…

Cette conception schizophrénique, depuis le milieu du 17e siècle, prétend utiliser la nature en vue de la puissance, concentrer au maximum le réservoir de forces qui gisent dans la nature, et les diriger vers la transformation du monde en vue de la domination, passant sur la nature comme un Attila technocratique géant qui chevaucherait un rouleau compresseur cosmique. Le nucléaire, et le nucléaire français particulièrement, est la réalisation extrême de cette vision du monde.

Tiens, les violettes et les scilles commencent à apparaître dans la terre alsacienne…

FESSENHEIM et le dogme nucléaire français, Editions Andersen, 200 p., 2019. A lire absolument !

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