Fessenheim mon amour… (4/5)

Et du coup, plus personne ne rit...

L'évacuation de 4,5 millions de personne n'est pas une mince affaire... Foto: PH1 Randall C. Burney, USN / Wikimedia Commons / PD

(Par Franck Dautel) – On assiste de toutes parts à une gigantesque improvisation ou l’amateurisme s’impose très vite en raison notamment de la panique générale engendrée par cet accident majeur sans précédant. On se rend très vite compte que tout ce qui avait été prévu, appris par cœur et répété durant des années est contrarié par tout ce qui se passe minute après minute. Un premier exemple édifiant ne tarde pas à se produire… Lors de l’évacuation des premiers milliers de personnes, les malades des hôpitaux, les maisons de retraite et les enfants de moins de 10 ans, 85% du matériel roulant local réquisitionné : trains, bus, cars et camionnettes était stationné en extérieur, en zone déjà dangereusement contaminée !

On s’apprête ainsi à transporter des individus sains dans des véhicules contaminés…
Faire venir du matériel non contaminé prend énormément de temps. Il est impossible d’évacuer plus de 17 000 personnes par tranches de 3 heures. Il faut pourtant sortir d’urgence de la région contaminée plus de 4 500 000 Français, Allemands et Suisses.

Les premiers relevés communiqués le lendemain matin indiquent que les radioéléments ont touché 80% de l’Alsace, 55% du Baden Wurtemberg et 20% du territoire helvétique.

A Mulhouse au petit matin du 12 mars, les autorités bloquent pendant 1h30 par erreur plusieurs routes menant vers le Sud alors que les radios invitent au même moment tous les habitants à s’y diriger sans attendre !

Aux alentours de Colmar, des personnes âgées ont quitté leurs villages par centaines. Elles ne veulent pas être emmenées de force à 400 km de là, sans espoir de retour de leur vivant dans la région. Beaucoup décèdent de désespoir, on relève également des centaines de suicides chez ces mêmes personnes et ce, des deux côtés du Rhin…

Les routes principales et secondaires sont presque toutes bloquées. Des véhicules accidentés gisent en travers des routes, d’autres sont en panne. Des bouchons insolubles se produisent de tous côtés sans qu’il soit possible de les quitter une fois pris au piège.

Pour faire face à cette congestion spectaculaire des milliers de français et d’allemands partent de chez eux à vélo pour pouvoir quitter au plus vite leurs habitations sans attendre l’évacuation. Ils convergent tous vers les cols vosgiens, la trouée de Belfort ou en direction des cols de la forêt noire. Les secours les attendent sur les versants opposés à la plaine du Rhin. On voit alors apparaître d’énormes montagnes de vélos entassés à la va-vite dans les prés situés à proximité des points de secours.

Des heurts éclatent en de très nombreux points entre évacués et forces de l’ordre. On signale que de longues files de piétons qui traversent les Vosges et la Forêt Noire pour passer de l’autre côté du massif. La boue produite par ces milliers de passage sur parfois de petits sentiers rend leur périple extrêmement pénible et dangereux d’autant que cette boue a été créée par la pluie contaminée tombée durant la nuit…

Contre toute attente, dans les grandes villes alsaciennes plus de 70% des membres des polices nationales et municipales ont désertés leurs postes en fuyant la région au plus vite en faisant état d’un droit de retrait supérieur. En zone rurale, ce sont 60% des gendarmes qui ont quitté précipitamment la région avec leurs familles. Les conducteurs de trains et de cars refusent de plus en plus de pénétrer dans la région même en étant très bien équipés et protégés.

On compte également des milliers de personnes qui tentent d’embarquer à tout prix dans les aéroports de Bâle-Mulhouse, Entzheim, Baden Baden ou à Karlsruhe-Soellingen pour n’importe quelle destination et à n’importe quel prix. Les pistes sont envahies, leurs accès sont totalement bloqués. Mêmes si beaucoup d’appareils ont été affrétés spécialement dans tous les aéroports des plus grands aux plus petits, les capacités sont très rapidement dépassées.

10h30 : Le préfet de région décide de mettre toutes les routes, nationales et autoroutes d’Alsace en sens unique vers le Sud et l’Ouest. En fin de matinée on dégage s’il le faut au bulldozer les voitures en panne ou accidentées dans les fossés pour libérer le passage.

L’ampleur du désastre tient au fait que les seules comparaisons possibles en matière d’accident nucléaire majeur sont la catastrophe de Tchernobyl où 250 000 personnes ont été évacuées en 1986 en Biélorussie, Russie et Ukraine. A Fukushima, ce sont 60 000 personnes qui ont été évacuées… Ce qui affole les autorités locales, c’est qu’à présent, il faut évacuer plus de 4 millions d’habitants des deux côtés du Rhin !

Les heures passant, les évacuations s’organisent malgré tout : bus, camions et trains non contaminés se dirigent vers le Sud et l’Ouest pour les Français, vers le Nord pour les Allemands et les Suisses. Plus précisément, le Haut-Rhin est évacué en grande partie vers le Sud par la trouée de Belfort puis vers la Franche Comté. La région de Strasbourg est évacuée essentiellement par train par le col de Saales en direction de Saint Denis des Vosges et par Saverne vers la Lorraine. La région du Bade est évacuée vers le Nord et l’Est alors que les Suisses se dirigent vers l’Autriche. Des centaines de trains sont décontaminés à chaque voyage avant de recommencer leur ballet, de jour comme de nuit pendant près de 6 jours. La fréquence des trains atteint un départ toutes les 4 minutes depuis Strasbourg vers Saint Dié des Vosges. Ils circulent à basse vitesse pour limiter les risques d’accidents, mais également parce que les rails entre Saales et Saint Dié des Vosges ne sont plus entretenus depuis des années…

Des dizaines de milliers de militaires des forces armées venant de 8 pays européens convergent autour de cette énorme zone ainsi que d’énormes moyens de secours disponibles dans un rayon de 300 kilomètres. Il en est de même pour les moyens de transport mis en commun, des trains convergent de toute l’Europe. La circulation des véhicules légers, excepté ceux des services de secours, est strictement interdite passé le deuxième jour dans et autour de la zone interdite de manière à faciliter la circulation des véhicules d’évacuation et d’intervention. Des mesures radicales sont prises en ce sens. Ainsi, l’armée a le droit de recourir à la force pour faire respecter ces consignes. Malgré cela des centaines de cas de pillages sont signalés un peu partout. Les forces de l’ordre sont débordées. Des maisons, des immeubles entiers sont incendiés, d’autres saccagés, pillés. Les autorités sont incapables de réagir dans la zone…

Le cœur du réacteur n°2 a fusionné et a traversé le mince radier sensé soutenir l’ensemble. Il est tombé dans la nappe phréatique qui se trouve juste en dessous, la plus grande d’Europe de l’Ouest. La contamination est énorme, les sols, l’eau et donc les sous sols sont hautement contaminés.

En quelques minutes, la plus grande catastrophe nucléaire de la courte histoire mondiale de l’exploitation de l’atome s’est produite à Fessenheim.

Lisez la dernière partie de cette mini-série exceptionnellement samedi – nous ne pourrons pas vous faire attendre jusqu’à lundi…

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