Fessenheim mon amour… (5/5)

Nous ne pouvions pas vous faire attendre jusqu'à lundi – voici la dernière partie de la mini-série de Franck Dautel... à lire, à méditer, à partager...

Le Rhin Supérieur après la catastrophe de mars 2019. On aurait pu l'éviter... Foto: US Government / Post Work User W.Wolny / Wikimedia Commons / PD

(Par Franck Dautel) – La zone de contamination maximale et totalement interdite s’étend sur plus de 8 000 kilomètres carrés, de la commune de Delle dans le Territoire de Belfort à Bâle en Suisse. Elle remonte ensuite jusqu’à Karlsruhe dans le Bade-Wurtemberg et revient vers le Sud-Ouest à Bouxwiller dans le Nord-Ouest du Bas-Rhin et redescend toute la plaine d’Alsace jusqu’à Delle, en passant par Belfort.

L’évacuation est terminée au bout de 8 jours et dans des conditions terribles. Contrairement aux autres catastrophes nucléaires, personne n’accepte d’approcher la centrale de Fessenheim. Aucun spécialiste ni liquidateur n’ose approcher l’incendie qui durera 2 jours entiers et sera éteint par la rupture la digue du Grand Canal d’Alsace, détruisant et noyant plusieurs villages des environs à commencer par celui de Fessenheim…

Personne ne reviendra sur place avant très longtemps. Des doses de plus de 180 Sv/h, seront mesurées à 25 km de la centrale pendant près de 2 ans après l’accident. Mulhouse affiche à cette même époque 20 Sv/h, Colmar 45 Sv/h, Strasbourg affiche 60 Sv/h… Des doses horaires et non annuelles d’une extrémité rarissime !

Des personnes âgées vivent pour la seconde fois l’évacuation de l’Alsace. La fois d’avant c’était pour fuir l’arrivée des nazis entre septembre 1939 et mai 1940…

Plus de 2 000 ans d’histoire et de culture prennent fin soudainement dans toute la région du Rhin Supérieur. Contrairement à toutes les guerres qui l’ont touchée, les choses ne s’arrangent pas après la fin du conflit.

Le drame humain est incommensurable. Près de deux millions de personnes ont été hautement contaminées. Il ne reste que quelques semaines à vivre et dans des conditions épouvantables à près de 1,4 millions de personnes… Les hôpitaux sont incapables de faire face à ce mal. On installe des tentes un peu partout dans les campagnes qui ne tardent pas à se transformer en gigantesques mouroirs. Des personnes sont contaminées à tel point qu’elles sont euthanasiées par centaines chaque jour sur décision des autorités françaises et allemandes. Les survivants seront considérés comme de véritables pestiférés. Ils sont devenus les « hibakusha » de Fessenheim, du nom des victimes d’Hiroshima touchées par les pluies noires, noircies par les cendres et les poussières radioactives projetées dans l’atmosphère après l’explosion de la bombe atomique, tout comme cette nuit du 11 mars à Fessenheim.

Tout ne fait finalement que commencer car en réalité rien ne reviendra plus jamais à la normale.

Il va se passer 35 ans avant que des chercheurs reviennent très furtivement dans la zone interdite pour étudier les effets des radiations sur la faune et la flore. Les quantités d’éléments radioactifs qui ont été dispersés sont gigantesques… Des volumes affolants de radio-éléments extrêmement dangereux sont retrouvés un peu partout sur la zone, dispersés par les vents violents tournants qui soufflaient lors de la catastrophe. Ils ont été plaqués au sol et sur les toits et infiltrés profondément par la pluie au cœur des structures et des terres.

Les 50 milliards de mètres cubes de l’énorme nappe phréatique du Rhin supérieur sont également souillés et pour des milliers d’années.

Tous ce qui est construit ou aménagé, maisons, commerces, usines, écoles, hôpitaux, supermarchés, toutes les infrastructures, les monuments, les musées, le Parlement Européen, sont tous infectés des caves aux greniers et pour des siècles. 487 villes et villages sont devenus des cités fantômes, les vignes, les forêts et toute la campagne sont perdues pour tellement de temps que plus personne de ne souviendra jamais de l’Alsace, du pays de Bade et du canton de Bâle…

Les vignes… Les dernières bouteilles de vin d’Alsace seront vendues à prix d’or en 2037 puis on n’entendra plus jamais parler de Gewurztraminer ni plus d’aucune tradition culinaire alsacienne. L’alsacien sera par ailleurs classé comme langue morte en 2120.

Le coût économique de cette catastrophe pour la France, l’Allemagne et la Suisse réunis atteint 3 500 milliards d’euros en 2021 mais tous les spécialistes estiment qu’il est plus proche de 4 000 milliards…

Les hirondelles reviendront nicher tous les printemps dans les innombrables ruines que compte la région. Elles retourneront ensuite tous les ans et jusqu’à ce que cette espèce disparaisse, infecter les habitations d’Afrique équatoriale tout comme l’ensemble des oiseaux et des mammifères qui ne connaissent aucune frontière…

Le soleil est revenu sur Bâle.

La ville est calme comme jamais par le passé. L’appartement de Patrick ne sera plus jamais ouvert, sa porte blindée restera fermée pour toujours. Toute la population a été évacuée.

Un SMS laissé par Paul au matin du 14 mars restera non lu et à tout jamais sur le téléphone de son père, oublié lors de son départ pour l’aéroport… Il lui dit : « Papa, je ne sais plus si ton vol allait vers Bordeaux ou vers Toulouse… Ne me dis pas que c’est toi qui t’es crashé cette nuit ! Appelle-moi dès que possible, j’attends…»

La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim avait été une promesse électorale du Président Hollande en 2012. Le décret permettant son arrêt ne sera signé que quelques semaines avant la fin de son mandat, le gouvernement suivant optera pour la poursuite du programme du « grand carénage » devant rendre possible l’exploitation des centrales nucléaires jusqu’à 60 ans.

La cathédrale de Strasbourg s’effondrera totalement le 25 janvier 2054, celle de Freiburg le 5 mars 2065 après que la végétation et le gel ont ruinés leurs contreforts, par absence totale de présence humaine…
« Et puis, un jour, mon amour, tu sors de l’éternité ».
Hiroshima mon amour – Alain Resnais 1959

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