Festival AUGENBLICK : Christian Petzold

Un cinéma de l’entre-deux et du passage

Invité à AUGENBLICK, l'un des plus grands réalisateurs allemands : Christian PETZOLD Foto: Eurojournalist(e)/CC-BY-SA 4.0Int

(Marc Chaudeur) – Tandis que le Festival AUGENBLICK bat des records intersidéraux d’audience et de fréquentation, nous avons eu droit aux explications de Christian Petzold, lundi soir, par celui qui est assurément l’un des plus grands réalisateurs allemands actuels : une masterclass avec Valérie Carré au Musée d’Art moderne de Strasbourg. Petzold, une personnalité et une œuvre passionnantes.

Nous avons pu bénéficier d’une interview très dense, qui a presque fait le tour du cas Petzold. La naissance à Hilden en 1960, de parents venus de RDA. Les débuts dans la Ruhr et à Berlin, en opposition avec un certain cinéma «munichois » trop appuyé et didactique – au point qu’on parle souvent d’Ecole munichoise et d’Ecole berlinoise : cette dernière se voulant plus proche d’une effectuation libre, à la Truffaut, où tout se construit à la force du poignet, sans guère d’autorité de référence, de manière novatrice et parfois peu ou prou improvisée. La rencontre de James Grey à New York, essentielle. La collaboration avec Harun Farocki, professeur d’Art à Vienne, documentariste et critique, mort en 2014, qui apporte des éléments précieux dans l’esthétique de Petzold. Et, avec Farocki précisément : comment raconter le nouveau capitalisme, infiniment plus abstrait que celui de Charlie Chaplin, infiniment moins symbolisable (surtout dans le film Nicht ohne risiko, en 2005).

Pourquoi le polar est-il si important dans l’esprit et l’œuvre de Petzold ? C’est que pour lui, l’essence même du polar – et pourrait-on dire, du cinéma – c’est le Wegrutschen, la glissade à côté (ou dégringolade dans le fossé…). Ce qui frappe chez Petzold, c’est le caractère anguleux de ce dérapage incontrôlable des personnages, et de leurs dialogues : une déréliction-incision, si on veut… Mais le réalisateur avoue qu’il n’aime pas trop son film Cuba libre (1995) : trop de rôles masculins (ce qu’il a appris a contrario de Chabrol), trop… d’allusions à Cuba, cette sorte de « Bangkok pour gens de gauche », comme il le dit très drôlement.

Phoenix, en revanche, c’est le retour de l’Histoire allemande dans le polar. Petzold n’avait nulle envie de faire encore l’un de ces films stupides où on « parle nazi », avec uniformes, beuglements bestiaux et bras tendus. Il a voulu faire un film avec les silences et les demi-tons de l’époque, un peu, dit-il lui-même, comme Le Silence de la mer, ce beau roman de Vercors adapté au ciné. Et même, sur le rien, du moins sur ces tragiques bulles de mémoire qui tiennent lieu de réel : ainsi, cette femme méconnaissable qui, dans Phoenix, ré- épouse son époux, mais finit par se retrouver et se perdre elle-même en retrouvant sa voix de chanteuse.

Un cinéma de l’entre-deux, du passage, bien plutôt que du non-lieu (au sens que donne le sociologue Marc Augé, très justement mentionné par Petzold à ce terme) : c’est Phoenix (2014), c’est bien évidemment Transit (2018) – et peut-être plus encore, Die innere Sicherheit (Contrôle d’identité, 2000), vu hier soir. Les personnages de ces films se construisent une vie dans ce milieu, sur ces terres intermédiaires, cet entre-deux. Ils le chargent de sens, du sens qu’ils charrient dans la narration qu’édifie lentement le film. C’est cela, die verzauberte Wirklichkeit ( la réalité enchantée) : la devise de l’Ecole de Berlin.

Christian Petzold, ce sont aussi des interprètes fascinants et fascinantes, magnifiquement dirigé-es : Nina Hoss, Julia Hummer, Paula Beer, Sabine Timoteo et… impressionnante, la toute jeune Barbara Auer de Contrôle d’identité. Ce sont elles qui enchantent la réalité ; et dans ce coup de baguette magique, elles sont infiniment davantage que de simples instruments.

Christina Petzold, on s’en aperçoit, a offert un tableau très dense et très circonstancié de son œuvre passée et présente. D’autres réalisations passionnantes nous attendent.

Le Festival AUGENBLICK, comme nous le répétons tous les jours avec un malin plaisir, se poursuivra jusqu au 23 novembre. Les prix seront remis le 18 décembre au soir.

Pour le programme complet : https://www.festival-augenblick.fr

 

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