Festival MUSICA : Musique du corps, corps de la musique

Rire, âme, peine, machine, ouaf ouaf, homme, animal-machine

Skubi était là, et il a remarqué quelques faiblesses dans l'interprétation de l' oeuvre de son amie Jennifer WALSHE Foto: marcchaudeur

(Marc Chaudeur) – Mardi soir, les jeunes musiciens de la HEAR et les jeunes compositrices Natacha Diels et Jennifer Walshe nous ont appris bien des choses. Et notamment, que le corps et la musique sont en train de s‘investir réciproquement, depuis ces toutes dernières années ; et ceci d’une manière juvénile, très drôle et très originale. La musique est en train de se renouveler, oui oui.

Les œuvres de Natacha Diels et celles de Jennifer Walshe nous avaient été introduites par la série de conférences qui ont eu lieu la semaine dernière dans le cadre du Festival. Corps et musique contemporaine, c’est plus largement le thème de la mouture 2019 de MUSICA. Corps humain et corps animal, homme, internet et automate, l’homme et l’animal et réciproquement… Les déclinaisons concrètes et musicales de ce thème sont encore bien ouvertes jusqu’à la fin des festivités, le 5 octobre, samedi prochain.

Magnifique interprétation par les jeunes interprètes de la Haute Ecole des Arts du Rhin centrée  pour l’essentiel sur les Etats-Unis : Varese (une pièce de 1924!), Charles Ives, Julia Wolfe et Natacha Diels. Natacha Diels personnifie peu ou prou un monceau un peu confus de réalités qui sont celles de notre époque depuis longtemps, mais que la musique contemporaine (et avec elle, d’autres disciplines et médias) n’ aperçoivent que depuis très peu d’années. Ainsi vont les Arts…

L’Art de Natacha Diels est passionnant – tout comme celui de Jennifer Walshe avec lequel elle présente une proximité évidente, et troublante. Un Art du feuilletage superposé ; un art de l’addition et de la multiplication. Musique, internet, vidéoclastie comme on dit iconoclastie, et chorégraphie hiéroglyphique. Et tout cela se juxtapose et se potentialise mutuellement dans une gestuelle à la fois cynique et ironique, tout en haut du fleuve en crue permanente de nos médias et de nos objets perceptifs. L’aspect le moins intéressant dans la démarche de Natacha Diels n’est certes pas l’implication de cette gestuelle dans l’interprétation musicale elle-même : les musiciens y participent dès les injonctions notées (et dessinées!) sur les partitions elles-mêmes, qui sont quasiment des didascalies : bouger la tête de droite à gauche, dire HA !, joindre les mains, dire HA HA (et laisser tomber son cornet à piston?), éclater de rire… Et cela relève d’une discipline qui n’existe pas encore, et qui ne s’enseigne donc pas encore…

La très belle œuvre interprétée mardi, c’est Laughing to forget (2018), dont le titre reprend le Livre du Rire et de l’Oubli, de Milan Kundera. Ce Livre veut nous apprendre comment et quand la vie nous prive de rire, et comment le retrouver. Et l’ouvrage de Diels, lui, nous apprend de la plus belle manière à voir la frontière entre ici la vie et ses couleurs et là-bas, l’autre rive, très proche, où amour, convictions, foi, histoire perdent toute leur signification.

Les préoccupations et les procédés essentiels de Jennifer Walshe sont tout proches : addition et multiplication, ironie, cynisme, gestuelle et esquisse de chorégraphie plutôt ésotériques. Le spectacle For human and non human beings fusionnait l’homme, l’animal et facebook (l’une des œuvres interprétées s’intitule en effet : Facebook chorus…). Tout cela, de toute manière, ne fait qu’un : il y a continuum. Et il y a aussi un côté plus empathique que chez Natacha Diels, et… plus in, plus djeune, un côté new age-vegan – qui heureusement, n’affleurait pas trop… Mais en même temps, la compositrice d’origine irlandaise produit une réflexion fort intéressante sur le langage et sur la langue, dont l’une des composantes est le rapport entre musique conceptuelle à la années 1970 et… la musique. La musique actuelle, que composent des êtres jeunes et passionnants.

Quoiqu’il en soit, exactement comme nous mêmes, Skubi, le chien de Jennifer Walshe, n’aurait manqué pour rien au monde le Festival MUSICA : il était là, confortablement installé sur son coussin préféré, au beau milieu de la scène.

Rendez-vous donc partout dans Strasbourg, capitale européenne, jusqu’au samedi 5 octobre à minuit. Comme le dit Julia Wolfe dans un entretien avec Stéphane Roth (programme du Festival), « l’inaccessible est devenu accessible (…). L’essentiel est de savoir ériger des ponts : entre les esthétiques, entre les répertoires, entre les époques, et surtout entre les générations d’auditeurs ». Un défi superbement relevé.

 

 

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