Festival « Regards d’Iran », voir l’Iran autrement

A un moment où les regards sont tournés vers la lutte des Iraniens contre le régime des Mollahs, un festival du cinéma à Paris risque de changer la perception de ce pays.

L'Iran, c'est bien plus que le régime des Mollahs... Foto: Organisateurs

(Esther Heboyan) – Avec son association Écrans des Mondes créée en 2007, le cinéaste et producteur franco-allemand Michel Noll s’intéresse aux cinémas documentaires de zones géo-culturelles porteuses de civilisations millénaires. Il a commencé dans une approche associative qui se devait d’avoir une cohérence éditoriale, dit-il dans un entretien téléphonique. L’aventure a débuté avec « Écrans de Chine » en 2009, puis s’est poursuivie avec « Focus Corée », « Docs d’Afrique » et « GrecDoc ». Depuis 2022, Michel Noll programme « Regards d’Iran ». En avril 2023, il y aura un festival sur le Japon, « Un petit air du Japon ».

L’idée est de donner leur chance à des réalisateurs indépendants et de présenter « une mosaïque d’images sur un pays ». Les réalisateurs sont appelés à soumettre leur œuvre inédite ou bien une œuvre qui n’a pas été suffisamment diffusée et qui reste inconnue du public occidental. En tant que cinéaste, Michel Noll est bien entendu motivé par la qualité des œuvres. S’il arrive parfois qu’un film soit « cinématographiquement faiblard », il peut quand même être sélectionné en raison du problème sociétal dont il traite. Ainsi, l’édition 2023 sur l’Iran évoque divers aspects de la société iranienne – le quotidien des gens modestes, la grandeur d’une cité antique, l’empathie pour des animaux blessés, la solidarité en cas de catastrophe naturelle, des sujets tabous, l’attentat commis dans un cinéma de quartier, un refuge pour femmes, l’initiation au sport des filles nomades, un système d’irrigation millénaire, la peine de mort…

Michel Noll a réalisé et/ou produit plus de 200 films – animation, musique classique, fiction jeunesse, téléfilms, longs-métrages, documentaires. Ses documentaires La route du thé, Secrets du Grand Mékong, Le long de la Grande Muraille sur la Chine, La route des oliviers sur la Méditerranée et Frères ennemis sur la Corée, ont été diffusés sur ARTE et sur ZDF-Info en Allemagne. La chaîne allemande a rediffusé plus d’une cinquantaine de fois le film sur la Corée. Le nombre de rediffusions a de quoi étonner, mais le réalisateur a une explication : le film rappelle sans doute aux Allemands que l’Allemagne a été longtemps divisée par le Rideau de fer.

Michel Noll est un grand voyageur qui a parcouru de nombreux pays sur de longues périodes, la Chine sur vingt ans, le Mexique et l’Australie sur dix ans. L’homme est un humaniste érudit, qui n’a pas encore étanché sa soif de connaissances et ne veut se contenter ni des représentations officielles qui seraient de la propagande ni d’informations hâtives ou partiales rapportées par les médias occidentaux. Motivé pendant trente ans par « une envie urgente de partir », Noll a beaucoup travaillé en allant d’une zone géographique à l’autre. Les festivals de films documentaires sont la résultante de ses activités de découvertes.

En tant que documentariste, Michel Noll reste « profondément attaché aux faits réels », mais n’exclut pas d’élargir le champ du documentaire jusqu’à inclure de la fiction au service du réel, faisant découvrir des œuvres à l’écriture hybride. Pour l’Iran, il s’agit de « partager le destin de ce peuple qui depuis vingt ans vit des dérives ». Le premier festival « Regards d’Iran » s’est déroulé en février 2022. Le documentaire primé Radiographie d’une famille de Firouzeh Khosrovani, mêlant habilement fiction et archives, a été reprogrammé au cinéma L’Entrepôt le 12 janvier 2023. En mai 2022, Firouzeh Khosrovani a été emprisonnée, puis relâchée sous caution au bout d’une semaine. Son documentaire retrace les changements intervenus dans la société iranienne ainsi que dans sa famille où elle a grandi entre un père séculier et une mère pieuse. Photos de famille, narrations et dialogues off, images d’archives et une mise en scène, à la fois scrupuleuse et poétique, dans l’appartement familial à Téhéran donnent au documentaire une dimension tant symbolique que personnelle.

Le second festival « Regards d’Iran » aura lieu du 3 au 5 février 2023. Michel Noll dit avoir reçu une cinquantaine de films. « J’organise un appel à films très largement publié sur les réseaux sociaux, auprès des influenceurs académiques en France (CNRS, EHESS, Chercheurs), l’Ambassade de France en Iran, mon network iranien de cinéastes, notre site, les organisations de documentaristes iraniens, » explique-t-il.

Noll a été contacté par l’Ambassade d’Iran mais n’a pas retenu leur sélection. « J’ai lu les synopsis, cela suffit pour savoir qu’il s’agit de propagande. La ligne éditoriale du festival s’appuie sur des films qui s’intéressent aux Iraniens et leurs joies, problèmes, rêves, angoisses dans leur vie quotidienne. C’est un festival sociétal. Par exemple, la gestion de l’eau en Iran en tant que telle, ne m’intéresse pas. En revanche, comment un homme et sa famille se débrouillent pour avoir de l’eau dans le désert, ça oui. Avec Forteresse éternelle, on découvre, chemin faisant, un système très ingénieux d’irrigation, authentiquement iranien. Le festival n’est donc pas un organe de l’État iranien pour diffuser ses informations. C’est un événement qui réunit des témoignages, des regards de cinéastes iraniens sur le quotidien de leurs concitoyens. À ce titre, c’est un observatoire intersubjectif de la société iranienne contemporaine. »

La sélection 2023 de « Regards d’Iran » comprend 9 documentaires, des courts, moyens et longs métrages. Le Festival du cinéma documentaire européen se fait en partenariat avec le cinéma L’Entrepôt situé dans le 14ème arrondissement de Paris (L’Entrepôt, 7 rue Francis de Pressensé, 75014 Paris). Par ordre de programmation :

- Féminité (2020) de Mohsen OSTAD ALI, raconte le quotidien de cinq femmes marginalisées dans un foyer au sud de Téhéran. Des femmes solitaires que l’on encadre et que l’on encourage à se prendre en charge. Des droguées et prostituées qui cohabitent dans des circonstances tantôt sereines tantôt éprouvantes. Filmées de face, en trois-quarts, ou de dos, les femmes parlent, se racontent sans jamais croiser notre regard. Pour certaines, le désespoir est irréversible. Pour le spectateur, le salut vient parfois du silence d’un plan – la terrasse du foyer vue dans l’encadrement d’une porte, un oiseau niché dans un mur.

- Car Wash (2019) de Mohsen SAKHA, déjà sélectionné au Festival du Film Kurde à Londres en 2021, conte l’histoire d’un jeune couple de Marivan, une ville à l’ouest de l’Iran, dont la station de lavage automobile sert aussi de refuge aux animaux blessés. Toutefois, l’écureuil Matilla semant la zizanie dans le couple, il faut envisager son retour à la nature. Le court-métrage, mené à belle cadence, dégage humour et tendresse sans emphase.

- Liberté (2022) de Farzad JAFARI, suit les négociations menées par trois femmes pour sauver la vie des condamnés à mort pour meurtre. Selon la coutume en Iran, la famille de la victime peut se prononcer après le verdict officiel, pardonner ou non le meurtrier. En échange du pardon, leur sera versée une somme d’argent appelée « le prix du sang ». La détermination, le pouvoir de persuasion et l’humanité des trois militantes visent à écarter la vengeance et à obtenir le consentement des proches des victimes.

- Nomad Girl (2021) de Rouhollah AKBARI, a pour protagoniste Sousan Rashidi, championne en kickboxing et enceinte de sept mois, qui retourne dans la province de Kermanshah à l’ouest de l’Iran afin d’apprendre ce sport aux filles nomades de sa tribu Zuleh. L’intrigue consiste à convaincre les pères de laisser leur fille s’entraîner au kickboxing sous une tente noire. Dans des paysages arides, la bonne volonté de l’athlète se confronte aux pratiques et croyances ancestrales. L’intérêt ethnographique du documentaire est évident.

- Destinée (2022) de Yaser TALEBI, se passe dans la province de Mazandéran au nord de l’Iran où, après la mort de sa mère, Sahar doit choisir entre rester au village pour s’occuper de son père handicapé et partir à Sari pour faire des études à l’université. Dans la sélection, c’est probablement le documentaire qui se rapproche le plus de la fiction. La caméra n’est pas si neutre. Le choix des scènes, le découpage des plans font progresser la trame narrative, tendent vers la résolution du dilemme.

- Cinema Rex (2021) de Mitra Mehtarian & Sadegh DEHGHAN, revient sur le tragique incendie du Cinéma Rex à Abadan qui eut lieu le 19 août 1978 et dont certains aspects ne sont toujours pas élucidés. Quarante ans après les faits, les documentaristes conduisent l’enquête en filmant la ville d’Abadan par endroits toujours ravagée depuis la guerre contre l’Irak, en interrogeant les familles des victimes, en intégrant les images du procès de 1980 ainsi que des articles et photos de presse.

- Isatis (2020) de Alireza DEHGHAN, explore la ville antique de Yazd qui s’étend dans le désert iranien avec ses constructions en terre, ses badguirs ou tours de ventilation, ses qanats d’irrigation, ses rites, légendes et trois religions (islam, zoroastrisme, judaïsme). Les plans grandioses et les voix off du vent, du feu, de l’eau et de la terre contribuent à mystifier l’épopée de l’humanité en cet endroit du globe. Véritable livre d’images.

- Mahir (2021) de Massoud DEHNAVI, filme le désastre causé par l’inondation d’un village en Turkmen Sahra auquel doit faire face Mahir, rentré d’Istanbul pour assister au mariage de sa sœur, qui se retrouve à organiser des secours et à construire des digues. L’urgence de la catastrophe naturelle révèle la déficience des autorités et salue le courage humain.

- Forteresse éternelle (2022) de Farshad FADAIAN, décrit un système d’irrigation millénaire pour une ferme dans le désert.

Le jury, pour cette seconde édition de « Regards d’Iran », est constitué de : Françoise Objois, journaliste culture presse écrite et radio ; Mohammed Tayyeb, directeur du cinéma iranien Art et Expérience ; Isabelle Vayron, photoreporter et documentariste ; Didier Pardonnet, enseignant en cinéma et acteur culturel ; Setareh Pirkhedi, installée en France depuis 2017 et collaboratrice de scénarios. La remise des Prix aura lieu au cinéma L’Entrepôt le dimanche 5 février 2023 à 19h30.

Foto: Affiche organisateurs

Foto: Affiche organisateurs

 

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