Finlande : rêvons un peu

De l’air, de l’air

Le groupe Alestorm a eu beaucoup de succès à Helsinki (Finlande) l'an dernier ! Foto: Wandering Trad/Wikimédia Commons/CC-BY-SA/4.0Int

(Marc Chaudeur) – La raison fondamentale pour laquelle nous aimons les pays scandinaves (au sens large, géographique du mot), c’est sans doute qu’en arrivant dans ces pays là, on se remet à respirer. C’est vrai davantage en Norvège, en Suède et surtout en Finlande qu’au Danemark, mais le souci de la discrétion est aussi prégnant dans la culture de ce petit pays que chez ses grands frères (grands par la taille). Parce qu’on s’y remet à respirer, et qu’on ne sent pas peser sur soi des regards indiscrets, libidineux ou simplement incongrus. Le pays où l’on refuse le plus résolument de se papouter sans cesse et de se baver d’ssus, de se palper et de s’entre-frotter à la moindre occasion, c’est assurément la Finlande.

Comme on sait (notamment après avoir vu tous les films de Kaurismäki), les Finlandais aiment bien le tango. Le tango, c’est very hot ; mais il y a des clubs pour cela. Les couples de quinquas en quête de chaleur n’ont qu’à passer le coin de la rue, à Helsinki et dans les autres « grandes » villes du pays pour se laisser admirer dans leurs costumes de hidalgos des faubourgs et leurs robes fendues. Sitôt la porte fermée derrière eux, ils se sentent devenir autres.Tant mieux.

Dans la vie quotidienne, il en va tout autrement. Les Finlandais n’aiment pas sentir la trop grande proximité de leurs congénères. Ils n’aiment pas se sentir frôlés, examinés, abordés, voire même côtoyés. L’excellent site Very Finnish Problems, par exemple, consultable sur les bons réseaux sociaux, cerne bien cet état de fait appartenant à la psyché collective des Finlandais. Il leur faut une distance minimale. En finnois, on nomme cela, nous rappelle ou nous explique VFP, Turvaväli – comment traduire ce terme aussi élégant que le mot volubilis ? La meilleure traduction semble bien être : « distance minimale » , et plus radicalement, « distance vitale ». Sous entendu : en deçà de laquelle on se sent vraiment très mal.

Quelle est la mesure de cette distance vitale entre deux (ou plusieurs) homo sapiens finlandiae ? On l’estime à environ cinq mètres, pas moins. Merveilleux ! On devrait légiférer dans nos pays peu ou prou latinos pour imposer cette distance. Ainsi que la durée du regard que porte notre voisin sur notre personne qui se sent observée,épiée, voire, horreur absolue… convoitée sans cesse ! Regard et frôlement, bien évidemment complémentaires, sont les deux mamelles qui alimentent le mal-être et l’agressivité dans nos pays.

Les réactions des lecteurs à certain article de Very Finnish Problems nous instruit abondamment sur cet habitus scandinave. Imaginons une tempête comme celles dont la Nature pourvoit abondamment les contrées septentrionales. Et imaginons cinq personnes qui attendent le bus (cinq personnes, admettons-le, c’est déjà beaucoup pour cette vaste Finlande si peu peuplée, mais tout de même). Dans l’abri-bus, il y a de la place pour vingt personnes ? Eh bien non, vous pensez bien : dans l’abri, une personne. A côté d’elle, quatre fois dix-neuf, soit soixante seize mètres, sont nécessaires pour sauvegarder le Lebensraum de dix-neuf individus de cette étrange catégorie de l’espèce humaine qu’on appelle les Finlandais. Et dix neuf parapluies bien solides.

Dans ce cas, nous direz vous, les Finlandais doivent communiquer avec ces trompettes zoulous des supporters de foot (des kukuzelis ? Je ne parviens pas à me souvenir de leur nom) ou des alphorn pour se faire entendre. Eh bien non, les Finlandais détestent le bruit. Quel pays merveilleux ! Mais le corollaire (cause ou conséquence ? Corollaire, vous dit-on), c’est que les compatriotes d’Elias Lönnrot (cf wikipédia) et de Paavo Nurmi (cf wikipédia) sont le plus souvent traumatisés à l’idée d’ouvrir la bouche et d’émettre un son en direction de leur voisin. Les mauvaises langues diront : avec une langue pareille, hin hin… Mais non : la langue finnoise est merveilleusement mélodieuse, très riche en voyelles, et dégage une sorte de tendresse cosy genre coin-du-feu, t’vois. Parler ? Oui, si vous y tenez, ou si c’est absolument indispensable.

Une lectrice finlandaise de VFP évoque un bel exemple de cette inappétence : un trajet dans un ascenseur exigu à deux. Quelle horreur. Le pire des supplices pour un Finlandais. Imaginez : un ou une congénère homoncule à côté de vous, qui risque sans cesse de vous… regarder, de vous sourire même, de… de vous frôler ! Et horreur absolue… De vous adresser la parole ! Aarg ! La Madame, regard rivé au sol, murmure, aux limites de la congestion : « Beau temps, n’est-il pas ? ». Et vous vous sentez obligé de fournir l’insigne effort d’articuler quelques sons et de lui répondre. Mais de lui répondre quoi ? « Y a plus de saison » ?

Oui, de répondre quoi. Infernal cauchemar. Voilà pourquoi les Finlandais sons souvent si sveltes : ils montent les étages en empruntant les escaliers.

 

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