France – Allemagne – cet optimisme qui divise…
Des sondages à la clé, Alain Howiller analyse les différences entre la France et l'Allemagne pendant cette crise sanitaire.
(Par Alain Howiller) – Après des semaines d’âpres luttes contre le Covid-19, les champs de bataille évoluent ; et si la victoire ne semble pas proche, voire incertaine, pour ceux qui espèrent un traitement puis un vaccin imminents, où en est l’opinion ? Il y a quelques mois (1), un sondage IPSOS constatait que 78% des Allemands se disaient heureux contre 68% un an plus tôt. Parallèlement, un autre sondage (IFOP) soulignait que 84% des Français, éternels pessimistes, trouvaient que l’avenir avait quelque chose d’inquiétant et 52% d’entre eux pensaient que l’avenir du monde sera plutôt marqué par une période de régression ! Mais, pour paraphraser le slogan de la campagne de publicité d’un opticien bien connu en France, « Ça, c’était avant ! »… Avant le coronavirus !
Depuis, l’opinion a été confrontée à la pandémie, et si son expression a évolué, le fossé qui divisait les approches entre les deux rives du Rhin n’a guère changé ! Les Allemands restent optimistes, les Français, quant à eux, continuent de noircir le tableau de la situation : 45% d’entre eux éprouvent de la colère quand ils pensent à l’épidémie et, toujours d’après un sondage IPSOS, 89% pensent que les conséquences de la crise sanitaire sur la santé seraient graves… Tandis que 62% des Allemands interrogés dans le cadre d’une étude Civey/Der Spiegel se montraient optimistes quant à la manière dont le pays traverserait la crise.
Deux approches loin de converger – Les deux approches reflètent évidemment la manière dont les citoyens perçoivent les efforts déployés par leur gouvernement dans la lutte contre les effets du coronavirus. Sous réserve de la perception du programme de déconfinement que doit publier le Premier ministre français et dans l’attente du regard jeté sur les effets des mesures définies par la chancelière, on peut d’ores et déjà constater que la manière dont Paris et Berlin se sont attaqués à la crise est loin de susciter une convergence dans l’adhésion des citoyens.
Le sondage auquel a procédé « OpinionWay » pour le compte d’un certain nombre de commanditaires, le « Centre de Recherches Politiques de Sciences Po – CEVIPOF » est révélateur à cet égard. Le sondage – une « première » – mené en France, en Allemagne et en Grande Bretagne, analyse la manière dont les ressortissants des trois pays approchent l’attitude des gouvernements dans la crise du « Covid-19 ». Pour 32% des Français (10% des Allemands), cette attitude suscite de la méfiance. Alors que 60% des Allemands font confiance à Angela Merkel pour sa gestion de la crise, ils ne sont que 35% à faire de même à l’égard d’Edouard Philippe ! « Dans l’ensemble, le gouvernement a bien géré cette crise » :74% des Allemands répondent « oui » à cette question, alors qu’en France, ils ne sont que 39% à approuver cette adhésion. Bien plus, alors qu’ils sont 84% en France à estimer que le gouvernement devra rendre des comptes sur sa gestion de la crise, le pourcentage de ceux qui revendiquent cet examen est plus faible en Allemagne (61%), et 81% des Français et 64% des Allemands sont d’accord pour estimer « qu’il y a eu des fautes de la part de certains membres du gouvernement dans la gestion de cette crise ». Du coup, 27% des Français et 18% des Allemands manifestent de la peur devant la situation née du « Covid-19 ».
Angela Merkel et une « orgie » de débats – Si l’adhésion à la politique menée face à la crise sanitaire est forte en Allemagne et bien plus faible (pour ne pas dire plus !) en France, il faudra mesurer les évolutions relevées en les rapportant aux jugements que les opinions porteront sur les effets des mesures mises en place en République Fédérale, et ce, pour reprendre l’expression utilisée par la chancelière, malgré « une orgie (sic) de discussions » entre l’ Etat et les Ministre-Présidents des Länder ! En France, la définition puis l’application à partir du 11 Mai des mesures de déconfinement seront décisives pour un gouvernement qui est déjà l’objet de nombreuses critiques. Ces critiques appuient en Allemagne sur un constat : les mesures prises ne vont pas assez loin ! Alors qu’en France, les critiques exprimées, plus politiciennes avec la perspective du deuxième tour des élections municipales et des élections sénatoriales (les deux cet automne) portent autant sur les « couacs » d’une gestion parfois hasardeuse et sur la manière dont la crise a été gérée.
La sortie de la crise imposera aux gouvernements, on le sait, des rendez-vous de nature économique (y aura-t-il rebond et si « oui », comment et quand ?), mais elle les confrontera aussi (surtout pour de nombreux observateurs) à la nécessité de répondre à ces fortes interpellations qu’expriment le sondage multi-national « d’OpinionWay ». En détaillant ces interrogations, le site du « CEVIPOF » révèle que 65% des Français, mais aussi 55% des Allemands estiment que leur pays doit les protéger davantage du monde d’aujourd’hui.
Pouvoir fort, frontières et démocratie – 75% des Français et 69% des Allemands estiment qu’il faudra mieux contrôler les frontières nationales dont le contrôle (à 74 et 63%) doit relever des états et non de l’Union Européenne. 81% des Français et 73% des Allemands pensent, d’après le sondage, qu’il est « important d’avoir un pouvoir fort face aux crises sanitaires et environnementales », et 44% pour les premiers et 34% pour les seconds pensent « qu’en démocratie, rien n’avance, il vaudrait mieux moins de démocratie, mais plus d’efficacité ». Heureusement, 51% des Français et 60% des Allemands ne sont pas d’accord (pas encore ?) avec cette opinion !
Et si on se divise sur une nécessaire (ou non) réforme du capitalisme et de certains de ses excès, une majorité souhaitant son évolution, la crise du coronavirus a, d’ores et déjà, esquissé des lignes de forces de futures évolutions : sur le plan politique, en France comme en Allemagne, la sortie de crise va sans doute redistribuer les cartes. Elle sera déterminante pour la survie d’Emmanuel Macron qui s’interroge, à juste titre, sur le point de savoir s’il y aura rebond – ou non – d’un quinquennat malmené depuis la crise des gilets jaunes : pour nombre d’observateurs, cela dépendra aussi de la manière dont l’opinion percevra l’action du gouvernement en reportant le poids éventuel d’un échec ou d’insuffisances sur le seul Premier ministre déjà en difficulté pour le deuxième tour des élections municipales dans la ville dont il fut maire, Le Havre.
De Macron au retour de Mutti ! – En Allemagne, l’attelage CDU/CSU a retrouvé une vigueur qui lui laisse espérer un maintien au pouvoir. Markus Söder (CSU), parti en flèche dans le combat contre le Covid-19, rêve de nouveaux succès (qui sait, à la chancellerie : ce serait une première pour un… Bavarois !) et ils ne sont plus l’exception ceux qui, selon certains sondages, verraient d’un bon œil un nouveau mandat pour la chancelière sortante : « Mutti » est de retour ! Le SPD fait une timide remontada à 17%, deux points en dessous des Verts qui reculent, et l’AfD plonge de peu sous la barre des 10% d’intentions de vote dans les sondages.
L’enjeu de la bataille sanitaire engagée n’est plus seulement (encore que…) médical, il est sociétal, économique, politique. Il faudra, en plus, apprendre à vivre avec ce virus qui tue. Aucun auteur de roman de science-fiction n’avait imaginé ce scénario-là. Mais personne ne veut croire que la réalité pourrait dépasser la fiction.
(1) Voir eurojournalist.eu du 20.11.2019.
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