France – Allemagne : étonnants constats

Comment les Allemands et les Français vivent-ils leur vie de travail ? Alain Howiller compare plusieurs études qui ont été publiées à ce sujet.

Le travail, vu depuis l'Allemagne et vu depuis la France... Foto: Bundesarchiv / Bild 183-1987-0402-006 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Alain Howiller) – Alors que les incertitudes planent sur l’évolution de l’économie mondiale, les conjoncturistes français s’interrogent sur cette « étrangeté » : malgré une conjoncture peu dynamique, l’économie crée toujours des emplois et la Direction Régionale (Strasbourg) de la Banque de France commente ainsi la situation économique dans le « Grand Est » : « Nouvelle progression de l’activité industrielle en Mai avec baisse de personnel. Carnets de commande convenables. Stabilité de la production avec des effectifs inchangés. Dans les services marchands, progression de la demande et des prestations avec confirmation de cette tendance haussière pour les semaines à venir. »

Les spécialistes allemands, quant à eux, continuent d’espérer que l’économie, malgré un ralentissement, échappera, comme en 2018, à la récession : ils s’inquiètent, néanmoins, du fait qu’en Mai, le chômage ait progressé de…7.000 unités, se demandant si c’est le début d’un retournement. Ce que les représentants du D.I.W. (« Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung » – Berlin) ne croient pas.

Stabilité en France, doutes en Allemagne. – Stabilité positive malgré tout en France, doutes inquiétants en Allemagne s’inscrivent dans un climat qu’on pensait disparu depuis la crise amorcée en 2008 au moment où – situation paradoxale née du manque d’effectifs dans certains secteurs d’activité – on commençait à s’interroger sur le sort réservé aux salariés dans leur entreprise. Comment et avec quels arguments recruter, comment garder ses salariés, telles étaient des questions entrées dans l’actualité. Il y a deux ans, la CFDT, devenue – devant la CGT – le premier syndicat du secteur privé en France, avait lancé une grande consultation à laquelle 200.000 salariés avaient répondu(1).

Il ressortait de cette étude que si 60% des sondés ont affirmé qu’ils ne travaillaient pas pour gagner le plus d’argent possible, 66% aimeraient gagner davantage, 69% estimaient que travailler 39 heures par semaine n’était pas un problème, 71% se faisaient des amis au travail, 59% trouvaient du plaisir à leur travail, 76% estimaient que leurs relations avec les collègues étaient cordiales voire formidables, 65% des salariés pensaient que l’écart entre hauts et bas salaires était trop important, 58% estimaient qu’ils avaient le temps de faire correctement leur travail et 59% insistaient sur le fait que leurs supérieurs ne se souciaient guère de leur bien être.

En 2017 déjà ! – La CFDT esquissait ce qui devrait être intégré dans les cahiers des charges des entreprises sous le chapitre « employabilité »(2) : le travail n ‘est pas seulement un moyen de gagner sa vie, c’est une collectivité d’hommes et de femmes où le bien-être est déterminant pour la qualité d’un produit. C’est un cadre où on se fait des amis qu’on aime retrouver. C ‘est aussi un endroit où le salarié est sensible à l’injustice, aux rapports potentiellement conflictuels avec la hiérarchie.
Mais pourquoi revenir aujourd’hui à une étude vieille déjà de deux ans ? Pour éclairer certains aspects des rapports entreprise/salarié, mais surtout pour intégrer dans nos réflexions (et, partant, ceux de nos lecteurs/lectrices) un certain nombre d’études venues compléter, en France comme en Allemagne, les conclusions dressées à travers le sondage abordé plus haut.
En France, trois études viennent d’être publiées par le bureau « Elabe » pour « l’Institut de l’Entreprise », par le sondeur « BVA » pour « Salesforce » et par le « Dixième Baromètre Malakoff/-Médéric ». Pour Malakoff/Médéric, il s’agit d’étudier le « Bien-Etre au travail et son évolution sur dix ans ». Pour BVA/Salesforce, il s’agit d ‘analyser les « Nouveaux enjeux du travail » en répondant à la question « Qu’attendent les salariés français de leur entreprise ? » Elabe enfin, se penche pour le compte de « l’Institut de l’Entreprise » (Paris) sur les raisons d’un éventuel changement d’entreprise voire de métier.

En Allemagne à l’heure de la « Zeit » ! – En Allemagne, nous nous sommes appuyés sur les conclusions d’une étude menée à bien par « l’Institut für angewandte Sozialwissenschaften » de Berlin pour « ZEIT ONLINE ». Les résultats de cette dernière étude ont paru sous le titre : « Was wünschen sich die Deutschen von ihrer Arbeit? » (« Qu’attendent les Allemands de leur travail ? »). On verra qu’entre les diverses approches, de nombreuses convergences -notamment entre les deux rives du Rhin- ont pu être décelées, avec le risque que certains éléments relèvent en fait du… « enfoncer les portes ouvertes ! ».

Un constat s’impose d’emblée : se sentir bien dans son travail est devenu un point important. 84% des salariés allemands veulent se sentir bien dans leur travail, contre 59% en France où cette exigence se situe à 58%, juste avant la recherche de pouvoir d’achat. 60% des salariés allemands, contre 73% en France, sont satisfaits des conditions qu’ils rencontrent sur leurs lieux de travail. En France, les salariés (6 sur 10) se sentent mieux qu’il y a dix ans. Le lieu de travail n’est plus seulement l’endroit où on gagne sa vie, c’est aussi le lieu où on se fait des amis, cela est d’autant plus surprenant que, tant en Allemagne (60% ne veulent pas être importunés chez eux) qu’en France, on sépare la vie professionnelle de la vie privée (ce besoin est davantage affirmé en France où 48% des salariés veulent qu’on améliore l’équilibre entre ce qui est « professionnel » et que le digital rend de plus en plus envahissant, et ce qui est « privé ».

Un privilège des chefs d’entreprise ? – A ce propos, il n’est pas inintéressant de relever que contrairement à ce qu’on pense, les salariés français ne semblent pas obsédés par les 35 heures : ils accepteraient même de travailler 39 heures/semaine. Et si le travail n’exerce plus l’attrait de jadis, les salariés sont plus intéressés côté français qu’allemand par une adaptation des conditions de travail : mi- temps, télé-travail, préservation du week-end. Mais des deux côtés du Rhin, les rapports avec la hiérarchie interpellent : 76% des salariés français se plaignent d’un manque de considération de leur hiérarchie et 74% des salariés allemands voudraient avoir des « chefs » qui se soucient de la carrière de leurs subordonnés.

Pour conclure, constatons qu’en France, les salariés s’interrogent sur l’avenir de leurs postes de travail et de leur activité : en France, 56% des salariés (61% dans la seule industrie) estiment que leur activité n’existera plus dans 15 ans, alors que 36% seulement voudraient faire une formation pour conserver leur emploi. Bien que 83% des salariés allemands estiment qu’il est important d’avoir un métier d’avenir, la volonté de se prémunir contre les changements n’est pas liée au fait de se préserver dans son travail : suivre une formation professionnelle doit conduire, en priorité, à une augmentation de rémunération. Comme quoi, le « courte-vue » n’est pas une vision réservée à un certain nombre… de chefs d’entreprise !

(1) Voir eurojournaliste.eu des 5.04.2017 et 21.12.2018.

(2) Employabilité : définition (!) du Ministère français du Travail – « Capacité d’évoluer de façon autonome à l’intérieur du marché du travail de façon à réaliser de manière durable par l’emploi le potentiel qu’on peut avoir…. »

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