France – Allemagne : la difficile convergence !

Alain Howiller présente un ouvrage hautement intéressant portant le titre de cet article et écrit par le Professeur Michel Hau de l’Université de Strasbourg.

Dans son livre, le Professeur Michel Hau fait référence au "Wirtschaftswunder" allemand de Ludwig Erhard. Foto: Günter Rittner / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Alain Howiller) – Il n’est pas rare d’entendre encore des responsables français insister sur l’importance du marché intérieur pour le redressement économique et d’estimer que le marché extérieur n’avait qu’une importance relative pour la conjoncture : les gouvernements français ont toujours mis leur confiance dans la croissance de la consommation intérieure alors que les «gouvernements allemands n’ont jamais cessé de mettre l’accent sur l’exportation, comme moteur de croissance». Le constat est dressé, parmi d’autres, par l’ancien directeur de l’Institut d’Histoire économique et sociale de l’Université de Strasbourg, le Professeur Michel Hau. Dans un livre qui vient de paraître, il analyse, Histoire à l’appui, les politiques économiques et sociales menées sur les deux rives du Rhin, en mettant tout particulièrement l’accent sur les faiblesses françaises(1). Voilà, comment l’auteur démonte les approches qui ont prévalu de part et d’autre du Rhin.

En matière de conjoncture, on privilégie aujourd’hui encore, en France, l’état du marché intérieur en marquant une relative indifférence vis à vis de l’état du marché extérieur. Cette approche est largement responsable de la politique d’accroissement du pouvoir d’achat et de la politique de redistribution des revenus vers les ménages aux dépens des capacités d’autofinancement des entreprises : «c’est indolore à court terme pour les contribuables et les consommateurs, mais débouche, à plus long terme, sur les licenciements et la précarité…»

Le poids de «l’amortisseur social» ! – Pour faire face aux conséquences des décisions privilégiant le pouvoir d’achat, les gouvernements successifs ont été amenés à grever les entreprises de mesures de financement (taxes et charges nouvelles). Du coup : «l’amortisseur social tant célébré pendant toutes ces années, fit de plus en plus tourner les usines étrangères. L’ensemble des charges supplémentaires supportées par les entreprises françaises constituant un véritable droit de douane à l’envers pesant sur les produits français exportés et exonérant les produits étrangers importés», relève l’auteur qui signale que «l’importation et l’exportation, le commerce extérieur pèsent pour 39% dans la destruction des emplois !»

Répondant à ceux qui rappellent que si le chômage des jeunes est important en France, cela est lié pour une large part à la démographie, l’auteur souligne : «depuis les années 80, les taux de chômage sont constamment plus bas aux USA et au Canada qu’en France alors que la population en âge de travailler y augmente encore plus vite qu’en France».

Dans la montée (et la satisfaction) des revendications salariales, Michel Hau souligne la responsabilité des syndicats, pourtant peu représentatifs dans le secteur privé (8% de syndiqués tous secteurs compris, contre 46% en 1949 et 17% au début des années 80) mais longtemps travaillés par une tradition de syndicalisme révolutionnaire. Les entreprises françaises seront fortement imposées par les taxes et les cotisations sociales : «le taux de marge des entreprises continuera à rester inférieur de près de dix points à celui des entreprises allemandes… Pour résister à la concurrence, elles comprimeront encore leurs marges quitte à se priver encore davantage de moyens pour préparer leur avenir…» et investir ! Prolongeant des traditions qui remontent à Louis XIV (le «colbertisme»), le protectionnisme et le dirigisme français s’installent.

Une classe d’ingénieurs au pouvoir ! – La méfiance traditionnelle à l’égard du capitalisme s’exacerbe : «la deuxième guerre mondiale hâte l’accession d’une classe d’ingénieurs appartenant aux grands corps de l’Etat, pressés de prendre la place du patronat d’avant-guerre…», alors que l’Allemagne connaît une évolution diamétralement opposée, l’économie française souffre de la quasi disparition des P.M.E. familiales (l’équivalent du fameux «Mittelstand» allemand), de l’émergence de grands groupes dépendant de l’Etat (certains sont peu rentables et doivent bénéficier de participations financières publiques régulières). Le grand rêve du partage du travail est concrétisé par l’a mise en place des 35 heures (au lieu de 39) hebdomadaires de travail : «sans réduction du salaire ce qui équivaut à une hausse des salaires de 11,4%… Avec cette mesure on veut concrétiser le rêve aussi ancien que le socialisme lui même : éliminer définitivement le chômage et les crises grâce à la réduction du temps de travail. … Or, les travailleurs ne sont pas substituables et la mesure ne tient pas compte des évolutions dues au commerce extérieur…»

Pourtant, si la France enregistre des succès et si la politique suivie a permis, à défaut de réformes structurelles, d’éviter -encore récemment- la récession et les effets destructeurs socialement d’une politique d’austérité qui, contrairement à ce qu’on prétend assez généralement, n’en est pas une, «après la brillante période des années 60, où la France avait réussi à réduire l’écart de puissance économique avec ses voisins d’Outre-Rhin, l’évolution est repartie en sens inverse…».

A l’écoute de l’Ecole de Fribourg-en-Brisgau. – En Allemagne, Ludwig Erhard, Ministre de l’Economie, met en oeuvre dès 1949, les enseignements délivrés par Walter Eucken et «l’Ecole de Fribourg-en-Brisgau» à l’origine du libéralisme allemand. Celui-ci considère que les mécanismes du marché sont plus efficaces que ceux de l’économie administrée. L’Etat doit se contenter de créer un environnement favorable à l’activité des entreprises, leur laissant le soin de gérer elles-mêmes les efforts d’innovation et de gestion. «Mais l’Etat, au contraire des théories du libéralisme anglo-saxon, doit établir et faire respecter un certain nombre de règles». Dès 1951, le syndicalisme allemand se tourne vers un syndicalisme réformiste et gestionnaire. En 1959, le SPD renonce à ses références au marxisme et en 1995, IG-Metall, le principal syndicat allemand, déclare à son congrès de Berlin : «l’emploi dépend désormais de la baisse des coûts salariaux et non de la baisse de la durée du travail !» Michel Hau rappelle : «l’indépendance des firmes allemandes a continué à reposer largement sur leur caractère familial, au point que le capitalisme rhénan apparaît aujourd’hui comme un modèle rival du capitalisme anglo-saxon !»

Les divergences dans les approches, mais aussi dans la réalité des évolutions entre les deux rives du Rhin, ne doivent pas faire oublier, en cette année où l’Allemagne a mis en place son premier budget en équilibre et où, une fois de plus, l’économie tourne bien (6,5% de taux de chômage), le prix que le pays a du payer pour en arriver là ! Le pays a connu un chômage élevé, une récession, un taux de pauvreté élevé (entre 16 et 18% contre 12% en France). La France a réussi en louvoyant avec ses partenaires européens à préserver un certain nombre d’acquis : l’évolution la plus récente ne figure pas -et pour cause : le temps en a manqué- dans le livre de Michel Hau, idéal pour comprendre ce qui a différencié (et différencie toujours) les politiques pratiquées dans les deux pays. «Difficile convergence» a pu souligner tout au long de son ouvrage : mais au travers des dernières mesures prises par les deux pays, une certaine forme de convergence n’est-elle pas, discrètement, en train de se mettre en place à… pôle renversé ?

Merkel au secours de la politique française ! – La France, avec une certaine complicité de la Chancelière qui redoute toujours que son partenaire français ne devienne le chef de file des «pays du Sud», continue à louvoyer pour réduire la… progression de ses déficits, sans s’attaquer avec conviction aux réformes de structures auxquelles, pourtant, on n’échappera pas. Fixer 2017 comme objectif pour y procéder ne peut que susciter des interrogations : 2017 n’est-elle pas l’année des élections présidentielles en France et la tradition ne veut-elle pas qu’on n’y prenne pas de mesures impopulaires ?

Cela n’a pas empêché Angela Merkel de déclarer publiquement : «La France est sur la bonne voie : je retiens de mon étroite collaboration avec le Président François Hollande qu’un processus de réformes très intensif est en cours. On va tout faire pour accompagner cet effort !» Il est vrai qu’en accompagnement, il était assez étonnant de voir un président socialiste français se réclamer de la «sociale-démocratie» et de voir un Premier Ministre PS renvoyer deux ministres «gauchistes» et d’imposer sa politique à une minorité agissante, n’ont pas manqué de rappeler Gerhard Schröder se séparant de son «gauchiste» Oskar Lafontaine avant de s’engager dans les réformes du type «Hartz IV».

Une «convergence» à pôle renversé ! – Et si j’ai évoqué une «convergence à pôle renversé», c’est pour relever que les efforts français vont, finalement, de paire avec ceux déployés côté allemand ! Après des années de disette salariale, les salaires allemands vont progresser de 3,4%, les retraités vont bénéficier de hausses, pour certains l’âge de la retraite va passer à 63 ans, un salaire minimum est introduit, la rémunération des intérimaires va être alignée sur celle des titulaires, les conditions de stage, la rémunération des apprentis vont être harmonisées : autant de mesures qui font grincer des dents à nombre de chefs d’entreprise !

On évolue vers plus de rigueur, d’un côté, vers plus de souplesse d’un autre côté, pour se retrouver au milieux du chemin de convergence ?… Oubliera-t-on que prendre des mesures à deux, n’évitera pas les mesures à prendre dans le cadre de l’Union Européenne, même si -et peut-être surtout- si l’Union est de plus en plus secouée entre les pressions de Wladimir Poutine, l’ironie mordante des eurosceptiques de tout poil et l’arrogance de Yannis Varoufakis, le Ministre grec des finances qui mérite bien son titre de spécialiste de la théorie des jeux ! Mais ça c’est une… autre histoire !

(1) – «France-Allemagne : la difficile convergence» par Michel Hau – Editions Peter Lang, Berne, 2015, 222 pages, 32,49 euros.

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