France-Allemagne: trois constats face au Covid-19

Alain Howiller, depuis longtemps l’un des grands experts des relations franco-allemandes, analyse ce qui se passe actuellement entre nos deux pays.

Quand l'Allemagne a fermé la frontière, ç'a été un choc pour l'Alsace. Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(Alain Howiller) – Ce pourrait être l’histoire d’un paradoxe français, d’une adhésion allemande et d’un douloureux doute transfrontalier. Trois têtes de chapitre, en somme, qui pourraient ouvrir les pages du livre que les observateurs consacreront peut-être un jour aux approches politiques de ces dernières semaines en France et en Allemagne face au Covid-19 ! Le paradoxe français révèle une première singularité : jamais, depuis le printemps 2018, Emmanuel Macron n’a bénéficié de sondages aussi favorables : 47% des Français lui font confiance pour faire face à la pandémie (sondage Kantar-Le Figaro), alors qu’ils sont 56% (sondage Ipsos pour le « Centre de Recherches Politiques de Sciences Po – CEVIPOF ») à ne pas être satisfaits de la manière dont le gouvernement gère la crise sanitaire et que 59% estiment que les mesures prises (trop tardivement pour… 79% des sondés) l’ont été trop tardivement !

En Allemagne, Angela Merkel et « sa » CDU retrouvent des couleurs : selon les sondages, le parti chrétien-démocrate bénéficierait d’entre 33% (ce qui correspondrait au résultat le plus faible dans l’histoire du parti) et 37%(1) des intentions de vote. Et 43% des sondés estiment que la CDU avec Angela Merkel – qui se trouve confirmée dans son rôle de personnalité politique préférée des Allemands – est la mieux placée pour faire face à la pandémie. 77% des Allemands sont satisfaits de la manière dont la « Groko » fait face au Covid-19 !

Même le SPD remonte la pente ! – Il est vrai que l’état des lieux souligne l’efficacité de l’action gouvernementale qui, en plus, voit (au grand soulagement des intéressés) le SPD remonter à 17% des intentions de vote, dépassant « Les Verts » retombés, avec 16% d’intentions de vote, à la troisième place. Mais s’il est vrai que le SPD avait alors obtenu 20,5% des voix, son audience ne cessait depuis de s’éroder jusqu’à le faire tomber à la troisième place des partis, derrière Les Verts. Cette fois, les intentions de vote font remonter le parti social-démocrate à la deuxième place devant Les Verts. Autre signe de l’adhésion de l’opinion à la gestion de la « Groko » : Jens Spahn, le Ministre CDU de la Santé, apparaît à la troisième place des politiques qui suscitent la satisfaction : il se situe désormais juste derrière le Ministre des Finances et Vice-Chancelier SPD, Olaf Scholz.

Enfin, troisième volet de notre livre virtuel : un doute s’est installé sur la réalité et l’efficacité des relations transfrontalières avec l’instauration de mesures draconiennes de fermeture de la frontière et de renvoi des travailleurs frontaliers, décisions prises sans concertation ni avec les proches voisins ni avec le gouvernement français, notamment par le Bade-Wurtemberg et la Sarre ! Peut-être que la manière brutale dont les décisions ont été prises puis appliquées a été le plus mal ressenti côté français, alors qu’aucune structure transfrontalière n’avait été été mise dans le coup, que par exemple le vice-président de « l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau » s’est gardé de condamner la méthode et que, par manque de discernement, des policiers ont infligé des amendes pour non-respect de la frontière (!) à des infirmières françaises qui profitaient de leur fin de service en hôpital pour prendre de l’essence ou faire des achats alimentaires !

Dépasser les doutes sur le « transfrontalier » – On peut espérer que l’ouverture des hôpitaux allemands aux malades français atteints par le coronavirus (un peu plus d’une centaine d’entre eux ont été soignés outre-Rhin), le rétablissement du dialogue apparemment interrompu entre Paris et Berlin (pour le respect des droits des travailleurs frontaliers par exemple), la résilience aussi, aideront à refouler les mauvais souvenirs, une fois la crise sanitaire passée. Certains actes de solidarité (la remise de matériel au personnel médical du Haut-Rhin par Europapark est un exemple), certaines déclarations publiques comme celle de ce responsable de la clinique de Heidelberg qui plaidait pour qu’on reçoive des malades alsaciens alors que l’Allemagne disposait de capacités d’accueil non utilisées, contribueront à rétablir la confiance. Ou encore l’engagement de Josha Frey, Président du Conseil du Rhin Supérieur, député (Vert) du Landtag du Bade-Wurtemberg qui a saisi Winfried Kretschmann à propos d’un rapport établi par un « Institut » un peu fantôme critiquant vivement les soins donnés par les hôpitaux universitaires de Strasbourg aux malades du Covid-19.

En conclusion des trois chapitres ouverts par nos trois titres, il serait bon d’ajouter cet épilogue qu’on espère ne pas être transitoire. On pourrait l’intituler : « Une extrême-droite… confinée ». En France, où Emmanuel Macron a peut-être réussi (cela expliquerait le paradoxe relevé !) à différencier son image des couacs de la politique de son Premier Ministre (qui en paiera le prix le moment venu !), Marine Le Pen perd des points malgré (ou à cause ?) de la guerre frontale, guerre qu’elle veut mener contre la manière dont les pouvoirs publics s’attaquent à la pandémie.

Une extrême-droite en porte-à-faux. – Si l’extrême-gauche met en cause plus subtilement l’Union Nationale contre le virus réclamée par le Président de la République, le Rassemblement National ne fait pas dans la dentelle, il s’en faut ! « Qu’est ce que l’Unité Nationale ? Participer aux mensonges du gouvernement. Couvrir des incompétences comme la mise en danger de gens luttant contre le virus ? », a-t-elle lancé, incriminant en même temps « l’Union Européenne qui a donné pour première instruction de ne surtout pas limiter la circulation des personnes. » Pour elle, l’Union Européenne (qui pourtant – rappelons-le – n’a pas compétence en matière de santé, sera « le premier mort du Covid-19 » !

Mais l’attitude de Marine Le Pen, qui n’hésite pas à appuyer certaines thèses complotistes, n’imprime pas (plus ?) l’opinion : elle a perdu 3 points dans les sondages d’opinion et se retrouve aujourd’hui en 12ême place dans la liste des personnalités politiques. Il paraît apparemment peu réaliste de considérer que la montée au front du RN soit payante même si, comme le pense Nicolas Bay, député européen du RN : « Il y a un basculement dans les études d’opinion ! »

Quand l’AfD cherche un… nouveau souffle – L’érosion du Rassemblement National se retrouve -amplifiée – en Allemagne où « l’Alternative für Deutschand – AfD » chute dans les sondages : le parti se retrouve dans les derniers sondages à 9% des intentions de vote, après avoir été, pendant longtemps, au coude-à-coude avec le SPD. Rappelons que l’AfD avait déjà recueilli 13% des voix lors des élections de 2017. Cette dégringolade est aussi due à des conflits intérieurs après le changement de président qui a vu le député européen Jörg Meuthen remplacer le très sulfureux Alexander Gauland, soupçonné de néo-nazisme. La décision de la direction du parti de dissoudre le groupement « Der Flügel » (40% des membres de l’AfD) n’a pas arrangé les affaires du parti extrémiste : les membres du mouvement dissous se sont d’ailleurs promis de renaître sous une nouvelle appellation qui leur permettrait d’échapper, au moins un certain temps, à la vigilante surveillance de l’Office Fédéral pour la Protection de la Constitution.

Le Covid-19, on le voit, ne trace pas seulement un sinistre sillon dans nos centres hospitaliers, il a déjà commencé, en politique du moins, à redistribuer les cartes. Il reste à espérer que la fermeture « sanitaire » des frontières, y compris intérieures entre membres de l’Union Européenne, que la contestation « souverainiste » qui transparaît « en même temps » dans le propos du président de la République essayant de concilier « souveraineté nationale et souveraineté européenne », que la « ré-émergence » d’un Etat qui entend (mal) décider de tout, que les différends entre Paris et Berlin ne soient pas l’amorce de révisions qui, à terme, deviendraient préjudiciables à tous.

(1) Voir eurojournalist.eu du 6 avril 2020.

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