France : Au delà des attentats et du «grand sursaut»…

... la crise est de retour en France !

Pour de nombreux jeunes, "Hôtel Maman" reste l'unique possibilité pour se loger. Foto: Lamanoboba / Wikimedia Commons / GNU 1.2

(Par Alain Howiller) – L’image de la France après les manifestations du 11 Janvier avait changé : en montrant leur unité, les Français avaient démontré, sourires et enthousiasme en bandoulière, qu’ils étaient capables de retrouver et de rejeter cette première place dans l’échelle du pessimisme mondial que les sondages leur attribuent depuis des mois ! Du coup, le «french bashing» cultivé par la plupart des médias à travers le monde a reculé et François Hollande, victime expiatoire jusqu’ici des sondeurs français, bénéficia d’une remontée spectaculaire de sa côte de popularité, et réussit, haut la main, son examen de passage au «Forum Economique Mondial» de Davos ! Même le moral des ménages remontait !

Le changement de ton perçu dans la célèbre ville des Grisons suisses préfigurerait-il ce redressement tant attendu et trop souvent annoncé ? Rien finalement n’était sûr en l’occurrence et pour l’heure l’économie française continue de souffrir dans l’espoir d’un rebond ! Certes, comme le rappelait souvent P.L.Reynaud, qui fut mon professeur à l’Université de Strasbourg, la psychologie est un rouage trop souvent sous-estimé de l’économie, mais ce n’est que l’un des rouages. Mais les faits sont têtus et les derniers chiffres concernant le chômage, en France, rappellent une dure réalité : il a augmenté, en 2014, de 5,7% portant le nombre total de chômeurs à 3.496.000. Analysant la situation en Alsace, la Banque note : «La production industrielle a stagné en Décembre. La demande est peu vigoureuse, surtout sur le marché domestique, mais les carnets sont proches de la normale. Une reprise de la production essentiellement technique est prévue en Janvier. Dans les services, l’activité recule légèrement et la demande est atone, sans perspective de progression à court terme.» La plupart des analyses ne s’attendent pas à une amélioration substantielle.

Surfer sur une «vague de popularité» suffit-il ? – Mais si François Hollande essaye de continuer de surfer sur sa vague de popularité en utilisant le besoin de sécurité des Français et en jouant sur les liens issus du passé à coup de commémorations, la politique semble progressivement prendre le dessus. Nicolas Sarkozy a rappelé que l’Union Nationale n’excluait pas les propositions issues des partis. Droite et gauche s’affrontent à l’Assemblée Nationale autour des 106 articles de la loi Macron dite «pour la croissance et l’activité» : pour les uns, la loi ne va pas assez loin, pour les autres, elle va trop loin. Les candidats aux élections départementales (pour élire ceux qu’on appelait, avant le 1er Janvier, les «conseillers généraux») commencent à faire campagne. Et Claude Bartholone, le Président PS de l’Assemblée Nationale, s’interroge sur l’utilité du «Sénat» (dont la majorité vient de passer à droite !) : il pense qu’il faudrait le réformer ou le… supprimer. Pas sûr que les Français qui ont défilé dans toute la France, n’attendent pas autre chose du débat politique ! Ils n’hésiteront pas à le faire savoir si leurs attentes sont trop longtemps déçues !

En retombant, l’émotion du 11 Janvier va faire renaître les exigences du redressement économique et de la lutte contre le chômage dans une France qui, paradoxalement, crée des… entreprises (la création d’entreprises se poursuit activement), mais qui ne crée pas (encore ?) d’emplois ! En Alsace, notamment, le marché de l’emploi ne s’est pas vraiment redressé, même si la courbe du chômage a marqué, en Décembre, un (trop) léger frémissement d’amélioration ! Le nombre de chômeurs alsaciens a progressé de 5,3% sur l’année, mais a marqué une… légère régression de 0,3% en Décembre !

Quand revient le drame du chômage ! – Les chiffres mettent régulièrement en relief le fort taux qui frappe les jeunes, un phénomène qui reste spécifique à la France. L’Alsace, dont le taux de chômage, après avoir longtemps résisté, tend à rejoindre lentement les niveaux nationaux, en particulier pour ce qui est des jeunes : il est vrai que les jeunes ayant moins de 20 ans représentent près de 24% de la population, pourcentage que la tranche des 20/39 ans, dépasse légèrement avec 25% !

«L’Alsace», relève une étude de «l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques – INSEE»(1) est la troisième région la plus jeune de métropole, derrière l’Ile de France et le Nord-Pas de Calais. En 2011, quelque 283.000 jeunes âgés de 18 à 29 ans y résident. Dans un contexte de légère croissance de la population globale, celle des jeunes est stable depuis 2006… Hors étudiants et apprentis, 210.500 jeunes résident en Alsace. Ils sont plus nombreux dans les espaces urbains, leur part dans les «ScotTs»(2) de la région de Mulhouse, de Colmar-Rhin-Vosges, d’Alsace du Nord (Haguenau) et de la région de Strasbourg. A l’opposé, ils sont moins nombreux dans les «ScoTs» de la bande rhénane et dans ceux situés le long du massif vosgien.

Fragilisés, les jeunes restent chez leurs parents ! – L’étude met le doigt sur une difficulté particulière, rarement analysée à ce point : celle de se loger quand on est jeune ! Jusqu’en 2006, les jeunes quittaient le plus vite possible le domicile des parents pour un appartement qui leur soit propre. Il n’en irait plus de même, depuis la crise : de nombreuses études soutiennent que non seulement les jeunes hésitent à quitter le domicile parental, mais qu’ils ne sont plus rares, ceux qui y reviennent poussés par le chômage et la baisse des revenus ! L’étude de l’INSEE sur le «Logement résidentiel des jeunes en Alsace»(1) fait le point !

Dans son avis sur le «Logement en Alsace, un enjeu fort, des défis à relever», le Conseil Economique, Social et Environemental Régional – CESER(3), avait déjà noté en Juillet 2013 «les nouvelles générations connaissent des difficultés réelles, notamment à se loger… les jeunes sont particulièrement concernés par la dégradation de la situation économique et la précarisation par les contrats courts, le chômage accentuant incontestablement le recul de l’âge d’installation dans son propre logement dans une vie de couple… Les jeunes… sont concernés par la crise du logement. La mobilité et la perméabilité des statuts (étudiants, apprentis, stagiaires, salariés), engendrées par le morcellement des parcours d’accès à l’emploi, rendent complexes la mise en oeuvre de dispositifs répondant à leurs besoins !… L’Alsace est une région marquée par sa jeunesse… Même si les projections statistiques annoncent une baisse globale de la part des jeunes, l’Alsace continue d’attirer étudiants et jeunes actifs… La situation des jeunes s’est précarisée, les empêchant d’accéder à un logement de façon autonome. Environ un quart des 18/24 ans est au chômage. Parmi ceux qui ont trouvé un emploi, la moité est en Contrat à Durée Déterminée (CDD) et 20% ne travaillent qu’à temps partiel !» La situation n’a guère évolué depuis l’avis du CESER !

Les jeunes hommes plus casaniers que les jeunes femmes ! – «Un jeune sur trois vit au domicile des parents en 2011, soit un peu plus qu ‘en France métropolitaine. Cette part est stable depuis 2006, malgré le contexte économique et la hausse du chômage», relève la note de l’INSEE. Cette dernière affirmation demande à être nuancée ! En effet, si la moitié des jeunes inactifs vivent chez leurs parents, ils ne sont que 38% dans ce cas lorsqu’ils occupent un emploi à durée limitée et 24 lorsqu’ils occupent un emploi sans limite de durée. Les jeunes qui ont un emploi restent cependant plus longtemps chez leurs parents, en Alsace, même lorsqu’ils ont en emploi à durée indéterminée ! Les jeunes qui ont un emploi d’ouvrier sont plus nombreux dans cette situation qui perdure souvent pour des jeunes de plus de 25 ans !

«Un jeune sur quatre en CDI vit toujours chez ses parents, la cohabitation familiale diminuant toutefois avec l’âge:à 18 ans, plus de huit jeunes Alsaciens sur dix résident chez leurs parents tandis qu’ils ne sont plus qu’un sur dix dans ce cas à 29 ans. Les femmes s’installant en couple plus tôt que les hommes. A 25 ans, 84% des femmes ne vivent plus sous le toit de leurs parents», souligne l’INSEE.

Si pour les jeunes en emploi, rester chez leurs parents représente un confort, il se traduit souvent par un éloignement du lieu de travail. Les conditions qu’ils vivent, le coût des logements se traduisent pour les jeunes qui ont quitté le domicile parental, par une sur-occupation des locaux : elle révèlent aussi une régression des logements sociaux qu’ils occupent pour l’occupation desquels ils sont d ‘ailleurs souvent en compétition avec les personnes agées ! C’est notamment le cas des jeunes couples : six ménages sur dix louent dans le parc privé.

Quand revient le quotidien ! – Le manque de logements constitue un volet qui, sans être spécifique aux seuls jeunes, illustre à lui seul, les difficultés rencontrées par un certain nombre de branches professionnelles. Le secteur «Bâtiment / Travaux Publics – BTP» représente 9% de l’emploi salarié en Alsace. C’est sans doute l’un des secteurs «sinistrés» dont la note de conjoncture de la Banque de France dit à propos de sa situation dans la région : «Carnets insuffisants et prix sous pression du fait de la forte concurrence. Prévisions orientées une nouvelle fois, à la baisse dans le gros oeuvre et les travaux publics, alors que le second oeuvre table sur une relative stabilité. Diminution des effectifs et mise en place de chômage partiel dans les travaux publics.»

Après le grand sursaut, la France a retrouvé son quotidien : mais peut-être ne le regarde-t-elle plus de la même façon ?

(1) – «Parcours résidentiel des jeunes en Alsace» – Insee – Analyses Alsace, N° 9, par Yves Frydel, Béatrice Neiter et Sophie Rivière.

(2) – «ScoT» pour «Schéma de cohérence Territoriale» (Document d’urbanisme qui détermine, à l’échelle de plusieus communes ou groupements de communes, un projet de territoire assurant cohérence en matière d’habitat, d’urbanisme, de déplacements, d’équipements commerciaux – Voir : Wikipedia)

(3) – Le «CESER» regroupe les représentants de la «société civile» et les «socio-professionnels», le «Conseil Régional» regroupant, lui, les élus.

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