Outrages à opposants

Samedi 6 octobre, 1 500 à 2 000 opposants au Grand Contournement Ouest (GCO) étaient encore une fois réunis à Strasbourg contre ce projet d'autoroute pour le moins contesté.

Pas de casseurs, pas de Black Block - mais des citoyens qui se soucient de l'avenir de l'Alsace. Foto: Franck Dautel / Eurojournalist(e) CC-BY-SA 4.0int

(Par Franck Dautel) – Un projet vieux d’une quarantaine d’années, ressorti en catimini pour régler les problèmes d’encombrements des voies d’accès à Strasbourg et accessoirement de pollution, en créant une autoroute de 24 kilomètres contournant par l’Ouest la ville à travers champs et villages.

Des milliers d’opposants représentant une diversité sociale et politique remarquable. Il s’agit d’habitants des villages impactés par le projet, d’agriculteurs des environs, de strasbourgeois, d’associations et de collectifs environnementaux, des pasteurs de la région, d’élus locaux, maires de quelques communes, écologistes ou non, d’élus EELV de la ville et de l’Eurométropole de Strasbourg, d’une députée de la République en Marche, Martine Wonner ou encore de députés européens Verts et GUE.

Cette diversité vibre de la même colère. Celle de voir un projet truffé d’irrégularités et de passe-droits les plus grossiers les uns que les autres parmi lesquels, 7 avis défavorables au GCO prononcés par des commissions officielles dont ceux des deux enquêtes publiques, ARCOS et SANEF, jetés aux oubliettes. Des opposants gazés, bousculés pour avoir osé dénoncer ces dérives graves.

Des complicités locales… – La situation sur place est vraiment ubuesque. Une municipalité strasbourgeoise de gauche, clairement contre le GCO (porté par Vinci) avant 2014 et qui change ensuite radicalement de position pour pouvoir prendre la présidence de la toute nouvelle Eurométropole. Depuis, le maire de Strasbourg, Roland Ries et surtout le président de l’Eurométropole Robert Herrmann sont devenus les VRP sans scrupule de ce projet. La présidence de l’Eurométropole offerte à un socialiste par une écrasante majorité de municipalités de droite, généralement très favorable au GCO… Ries et Herrmann écrivaient pourtant, dans un courrier au président de la République en 2008 : « S’agissant du projet de GCO, nous maintenons qu’il est à nos yeux inutile dans la mesure où il n’apportera aucune réponse à l’engorgement de notre agglomération ».

Ubuesque toujours, car le projet est aussi activement soutenu par la Chambre de Commerce et d’Industrie Alsace Eurométropole. Son président, Jean-Luc Heimburger, actuel président, était également celui du précédent mandat (2010-2016). Mandature au cours de laquelle le GCO va justement ressortir fissa des cartons. Est-ce là un hasard ? Le président de la CCI dirige une entreprise de location de matériel de travaux publics, SML Location, et un de ses vice-présidents, Georges Lingenheld, est à la tête d’une entreprise de… travaux publics qui a déjà gagné l’attribution du marché avec Bouyges pour l’échangeur Nord concédé à la SANEF. Il est également et par ailleurs, administrateur, depuis janvier 2016, du journal quotidien des Dernières Nouvelles d’Alsace, journal dans lequel il signera une véhémente tribune évidemment favorable au GCO en 2014… A noter que l’association « Anticor » s’est saisi de la question de savoir s’il y a ou non conflit d’intérêt concernant les travaux publics.

Ubuesque encore, avec le nouveau préfet d’Alsace et du Bas-Rhin, Jean-Luc Marx, pourfendeur d’opposants et gazeur de mémés alsaciennes qui n’en est pas à son premier coup avec Vinci. Il était préfet de l’île de la Réunion de 2012 à 2014 et soutien actif du projet pharaonique de la route la plus chère du monde, construite en partie sur l’Océan indien, la Nouvelle Route du Littoral (NRL). Un chantier à scandales cumulant non-respect des normes environnementales, avis défavorables de commissions officielles, montages bâclés des dossiers, coûts à rallonges (1,66 milliard d’euros au départ et 2,5 milliards aujourd’hui), plaintes en justice en série, dont celle du « Parquet National Financier » qui enquête actuellement sur de sombres histoires de favoritisme et de corruption…

Ubuesque pour finir, quand le tribunal administratif de Strasbourg prend le 25 septembre dernier, la décision à titre « exceptionnelle », de ne pas suspendre les travaux de déforestation malgré un doute sérieux sur la légalité de l’Arrêté Préfectoral d’Autorisation des travaux « … Et qui continue ainsi » car les travaux préparatoires « s’accompagnent de troubles à l’ordre public nécessitant la présence des forces de l’ordre. », ainsi « qu’une atteinte d’une particulière gravité à l’intérêt général ».

Des doutes sur la légalité des actes de déforestation ! Les opposants ont bien entendu lutté sur place pour empêcher les bucherons d’abattre illégalement des centaines d’arbres, bucherons protégés par les forces de l’ordre qui ont souvent été très violentes. Exceptionnelle justice d’exceptions…

Une nouvelle corde à l’arc des opposants… Situation absurde donc qui renforce les convictions des opposants et les pousse ensemble, à ne pas lâcher prise depuis des années. A tenir bon entre eux malgré les déceptions, les humiliations et les violences policières de ces dernières semaines par exemple.

La mobilisation ne faiblit pas. Elle ajoute même aujourd’hui à la contestation sur le terrain, sur les lieux d’abattage des arbres ou devant les tribunaux, une toute autre forme de lutte, une nouvelle corde à son arc. Un groupe de volontaires opposants au GCO envisage à présent d’entreprendre une grève de la faim, si les autorités restent murées ainsi dans le déni de démocratie.

Michel Dupont, ancien collaborateur de José Bové au Parlement européen a expliqué ce samedi : « Une grève de la faim après avoir laissé un espace à l’autorité publique, ministres des transports, de la transition écologique et solidaire, premier ministre, président de la république… Il faut mette le nez dans le dossier, s’informer, regarder ce qui s’est passé, le déni démocratique par rapport à tous les avis défavorables qui ont été prononcés. Comme à Notre-Dame-des-Landes, il faut mettre en place une commission de médiation et dans ce temps, il faut un moratoire. Nous ne faisons pas la grève sans rien demander. Ils doivent nous entendre et mettre en place des mesures sérieuses ! » Une dizaine de volontaires se trouvait déjà inscrits sur la liste des grévistes de la faim.

Mettre le nez dans le dossier… « Mettre le nez dans le dossier », car la vraie question dans cette affaire est une sérieuse question de santé publique. Le GCO n’a jamais été conçu pour lutter contre les bouchons dans et autour de Strasbourg, ni donc contre la pollution engendrée par ces véhicules. Il répond en fait à un besoin d’un passage autoroutier stratégique du Nord au Sud de l’Alsace pour des milliers de camions qui parcourent l’Europe et qui ne peuvent plus, notamment pour des raisons financières, continuer à emprunter l’autoroute allemande qui longe l’Alsace, outre Rhin. Ainsi, ces milliers de camions supplémentaires dévaleront la plaine d’Alsace à plein régime envoyant les particules fines, augmentant la pollution de fond, mais aussi les pics qu’ils dégagent dans les champs, sur les habitants des villages voisins et, grâce aux vents dominants locaux qui soufflent comme par hasard de l’Ouest, sur la capitale alsacienne… Il reste donc la question : pourquoi ?

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