#FreeFariba – Il se passe toujours quelque chose à Evin (1/3)

« Il se passe toujours quelque chose à Evin ! », écrit Fariba Adelkhah dans ce dernier article précédant la sortie de son livre prévue cet automne.

Chez un artisan de Qom. La représentation des rois semble indispensable à la vente des produits artisanaux. Même dans le fief du clergé ! Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – La prison d’Evin est un lieu de changements permanents. En parodiant le slogan publicitaire d’un grand magasin célèbre de Paris, on pourrait dire : « Il se passe toujours quelque chose à Evin ! ». Ces changements sont autant le fait de l’administration pénitentiaire que de l’application du règlement intérieur dont le contrôle est pour l’essentiel entre les mains des détenues.

Pour mieux le comprendre, je vais partager avec vous quelques exemples. Notre centre de détention est au quotidien en mutation. On crée des parkings, on ajoute des allées, on en réhabilite d’autres en les délimitant avec des murs en béton, on fleurit des parcelles, on dispose des jets d’eau, on les peint en couleur. En fait, si la toponymie et le vocabulaire n’ont pas changé, l’institution carcérale d’Evin, elle, s’est beaucoup transformée au fil du temps.

Ainsi, ce qu’on nomme, dans son langage administratif, le band, a revêtu plusieurs significations, avant et après la révolution islamique. Grosso modo, le terme renvoie, à Evin, à la section, au département, au quartier. En signifiant aussi le lacet et la corde, il peut évoquer l’enlacement, le lieu où on réduit le mouvement, l’enchaînement. Etre bandi, devenir bandi, c’est être enfermée dans un tel lieu – section, département, quartier – et être privée de mouvement. Les band – les sections, les quartiers au sein d’Evin – sont pour certains numérotés, pour d’autres dénommés. Ces regroupements s’effectuent en fonction des délits qui ont donné lieu à condamnation : par exemple les drogués ; les transsexuels ; ceux que l’on désigne comme « droits communs », coupables de délits financiers, tels que le vol, le non paiement de la dot et surtout l’émission de chèques sans provision – l’un des principaux motifs de l’emprisonnement en Iran. A ma connaissance, les meurtriers ne sont actuellement pas détenus à Evin, et j’ignore s’ils l’ont jamais été.

Ce que je nomme le quartier des femmes, est tout récent. Ces dernières n’avaient pas de lieu attitré sous la monarchie. Elles occupaient des espaces intégrés à d’autres sections d’Evin. Ensuite, on leur a attribué une maison servant auparavant d’atelier de coupe. Au départ une simple pièce dans laquelle les détenues dormaient à même le sol, sur des couvertures fournies par l’administration. Elles mangeaient également par terre, comme on le fait traditionnellement en Iran. Progressivement, l’espace dévolu aux femmes s’est élargi, au prix de travaux conséquents et de l’abattage de quelques murs. Il semble que ce soit la crise électorale de 2009 qui ait nécessité cet agrandissement pour « accueillir » les réformatrices du Mouvement vert et les jeunes qui les soutenaient. Jadis, dit-on, les femmes détenues vivaient chichement : « On mangeait et on dormait par terre, on n’avait pas de four ni beaucoup de possibilités de faire des courses et de moyens de conserver les aliments, faute de frigidaire ». « La vraie prison », disent certaines. Celle à laquelle aspiraient les Moudjahidines du Peuple, qui revendiquaient volontiers la frugalité révolutionnaire et contestaient, par exemple, l’usage quotidien du four pour faire des gâteaux à Evin. L’arrivée des réformatrices a tout changé. En quelque sorte, elle a développé et embourgeoisé le quartier des femmes. Par la grâce de donateurs, des chaises et des tables en plastique, des tapis industriels, des magnétoscopes et de grands écrans, des casseroles, des poêles Tefal pour faire des kou kou – des galettes d’œuf et de pommes de terre, ou d’œuf et de diverses herbes et des cuiseurs de riz ont été commandés. Nazanine, la fille de Khashayar Deyhimi, un intellectuel, a été arrêtée en 2012. Journaliste, elle a passé quatre mois à Evin, dont deux dans le quartier des femmes d’où elle a mobilisé son père pour qu’il obtienne des éditeurs l’envoi d’un nombre considérable de livres.

Nous l’avons vu, le quartier des femmes comporte aujourd’hui quatre salles, les « lofts » comme je les nomme ironiquement. S’y agencent des lits superposés autour de chaque pièce, le long des murs, et, au milieu, des tables et des chaises en plastique, en fonction du nombre des occupantes ; des tapis industriels d’assez bonne qualité ; un téléviseur accroché au mur et un magnétoscope dont l’usage provoque parfois des conflits quant au choix des programmes ou des films ; entre les lits des espaces de rangement ou de changement de ses habits que l’on se partage à trois ou quatre, là aussi non sans tensions suivant les rapports de force entre les prisonnières – pouvoir et accaparement de l’espace vont de pair. Des bibliothèques sont disposées dans les couloirs reliant les « lofts ». La cuisine collective est équipée de dix feux et est pourvue d’ustensiles en profusion. Les salles 1, 3 et 4 bénéficient d’une salle de douches et de toilettes. D’autres douches et WC ont été installés au rez-de-chaussée. Pour y accéder, il faut s’inscrire sur la liste de celles qui les nettoient et les entretiennent. Enfin, une salle de gym avait été équipée d’appareils assez sophistiqués pour l’exercice des détenues. Une table de ping-pong, des jeux d’échec et de dame, des jeux de cartes fabriqués et décorés par les prisonnières elles-mêmes, souvent très beaux, agrémentent leur quotidien. A noter que les jeux de cartes sont théoriquement interdits, mais qui s’en soucie à Evin, où règne l’esprit de poker à partir de 22h00 ?

Obtenus grâce à l’évergétisme de donateurs plus ou moins connus qui, en quelque sorte, ont transformé le quartier des femmes en véritable waqf, au début des années 2010, ces moyens matériels ont profondément changé la condition pénitentiaire. J’ai pu voir certaines des prisonnières de début 2010 revenir à Evin, telles Bahareh Hedayat et Faezeh Hachemi – la fille de l’ancien président de la République Rafsandjani – mais aussi deux bahaï, Fariba Kamalabadi, une psychologue de 63 ans, et Mahvash Sabet, une poétesse de 72 ans, dont l’arrestation n’avait rien eu à voir avec le Mouvement Vert. Le retour à Evin de ces deux dernières, après avoir vu leur sentence initiale de vingt ans de prison commuée en une peine de dix ans, pour être rapidement à nouveau condamnées dans le sillage de leur libération, ne laissait personne insensible. Elles disaient en riant qu’elles devaient bien cette nouvelle sentence à la justice qui avait été contrainte de raccourcir leur première détention, du fait de leur grâce.

La suite, dès demain…

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