#FreeFariba – Il se passe toujours quelque chose à Evin (2/3)

« Bref, l’humanité n’est pas absente d’Evin, ni même pas si rare, et elle vous touche évidemment, par rapport à l’indifférence ambiante ou la mauvaise gestion de l’administration », écrit Fariba Adelkhah dans ce dernier article précédant la sortie de son livre prévue cet automne.

Pendant le printemps 2021, bracelet électronique à la cheville, je passais mon temps à photographier mes pieds en marchant parmi les parterres fleuris de mon quartier... Foto: Fariba Adelkhah / CC-BY 2.0

(Fariba Adelkhah) – Un autre moment de transformation d’Evin est survenu entre mon assignation à résidence, bracelet électronique à la cheville, et mon retour en prison. En seize mois, les changements étaient notables. L’accès aux communications téléphoniques avec l’extérieur était devenu quotidien (sauf le vendredi), alors qu’il n’était accordé que tous les deux jours, et la longueur des conversations était passée de dix à trente minutes. D’un évier plutôt rudimentaire de format familial, pour laver 40 assiettes sans compter les casseroles, on était passé à deux éviers de standard professionnel, beaucoup mieux adaptés à un usage collectif. Nous étions auparavant 40 détenues, nous n’étions « plus que » 17 lors de mon retour – mais nous passerons rapidement à 60 avec le rapatriement à Evin des prisonnières de Qarchak, une prison située au sud-est de Téhéran (les autorités iraniennes alternent entre la concentration des détenues politico-sécuritaires dans le quartier des femmes d’Evin et leur dispersion entre plusieurs établissements pénitentiaires, dont certains en province).

Un donateur nous a équipées d’une troisième machine à laver le linge, particulièrement performante, qui fut d’autant plus appréciée que l’une des autres était en réparation. Nous attendions le changement du four qui devait permettre à Sepideh Gholian de toujours mieux réussir ses gâteaux et de se lancer dans la formation pâtissière de ses codétenues qui s’y intéressaient, une requête écrite en bonne et du forme et envoyée à l’administration carcérale. Nous avions désormais un écran géant de télévision supplémentaire, et un video player – et l’espoir que cela limiterait les disputes. Nous négociions pour obtenir des monitors d’ordinateur, aux fonctions limitées et notamment privés d’accès à Internet, qui néanmoins facilitaient notre apprentissage des langues étrangères – l’anglais, le français, l’espagnol et l’allemand – et bien sûr, nous permettaient de visionner des films non autorisés (nous pensions pouvoir le faire à l’insu de l’administration, ce qui est sans doute improbable compte tenu de l’omniprésence de la vidéosurveillance).

Nous avons pu obtenir de l’administration de faire entrer des DVD et des séries télévisées iraniennes diffusées par la chaîne satellitaire moyennant abonnement, mais que l’on peut ensuite acheter sur le marché, ce que nous faisions. L’une d’entre elles avait fait l’unanimité des détenues : Hamgonah (littéralement : ayant commis le même pêché), qui mettait en scène des milieux particulièrement aisés, pris entre leur connexion à la modernité et leur attachement à une tradition familiale revue et corrigée. On avait également gagné une infirmerie, et un médecin généraliste y donnait des consultations deux matins par semaine. La bibliothèque dans le bureau du personnel avait disparu. Elle contenait des livres religieux et des romans iraniens – de 300 à 400 volumes.

La plupart des équipements de la salle de gym étaient partis en réparation. On nous priva même des poids à la suite d’une crise de l’une d’entre nous qui les avait jetés contre les murs, le mobilier et les miroirs, causant les dégâts que l’on peut imaginer. Nous n’avions plus à choisir entre le repas fourni par la prison et certaines rations qu’on recevait mensuellement, composée de riz, de lentilles, de pois chiches, de soja, de haricots blancs et rouges, de pommes de terre, d’oignons, de légumes de saison, de thé, de confitures, de beurre végétal, de yaourt, de fromage, de viande, de poulet. Nous recevions mensuellement des produits non alimentaires tels que des détergents et des produits d’hygiène et pouvions aussi les acheter à l’épicerie où on pouvait commander nos marques préférées.

La cheffe des gardiennes avait également changé. Venue du rang et promue à cette fonction, elle peinait à s’imposer. Il n’empêche qu’elle me réserva un lit du bas pendant que j’étais en quarantaine après mon retour à Evin, parce que j’avais 62 ans et que les détenues plus âgées se voyaient reconnaître certains avantages. Néanmoins, elle n’était pas forcée de le faire. Elle y était d’autant moins obligée, et son attitude était d’autant plus surprenante, que par ailleurs, je la trouvais très préoccupée par sa personne. Elle ne cessait d’être en compétition avec ses collègues, bien que souvent celles-ci soient maktabi (doctrinaires) et islamiques, dans leur mise vestimentaire. Les unes et les autres ne cessaient d’avoir recours à des pratiques esthétiques en vogue dans la société iranienne, censées faire ressembler leurs adeptes à une Angelina Jolie quitte à utiliser des gels ou des injections de botox, parfois au prix d’œdèmes ou de déformations ma foi, assez disgracieux.

Bref, l’humanité n’est pas absente d’Evin, ni même pas si rare, et elle vous touche évidemment, par rapport à l’indifférence ambiante ou la mauvaise gestion de l’administration. Mon avocat Hojjat Kermani m’a souvent expliqué de la sorte ma grâce : « Beaucoup pensaient que ton retour en prison était injuste, que tu ne méritais pas ce traitement. Ils te devaient bien cela, tant ils ont mal agi en te renvoyant en prison. ». On est toujours dans ces formes de raisonnement et de négociation avec l’administration pénitentiaire : mi affectives, mi revendicatives, dans le cadre du donnant-donnant, même si la norme est que la vengeance finit par être un plat qui se mange froid, comme partout.

Pour ce qui était de l’organisation interne de notre espace de détention, nous devions nettoyer les toilettes à 5h00 du matin, avant que les détenues ne se réveillent. C’était la corvée la plus redoutée. Nous finîmes par obtenir que cette tâche soit reportée à 14h00, au moment de la sieste, lorsque les détenues doivent garder le silence et ont l’interdiction de circuler.

On choisissait au début une représentante par saison. Puis nous l’avons fait tous les six mois. Cela, disait-on, arrangeait l’administration qui ainsi, parvenait à mieux gérer ses relations avec les détenues. Parce que celle qui était élue s’attachait à ses avantages et ne voulait plus céder la place, susurraient les mauvaises langues ! L’administration a su en profiter. Soleil d’une nature particulière, au dernier mois du printemps !

La suite, dès demain…

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