#FreeFariba – Il se passe toujours quelque chose à Evin (3/3)
« Cela faisait seize mois que je vivais à l’extérieur et que rien ne s’était passé qui puisse justifier ma réincarcération », écrit Fariba Adelkhah dans ce dernier article précédant la sortie de son livre prévue cet automne.
(Fariba Adelkhah) – Changements aussi au sein de l’administration judiciaire. Les jeunes avaient succédé à leurs aînés ! On évoquait souvent les qualités humaines des anciens adjoints du procureur, fort nombreux à Evin – un certain Baraeh était très respecté par la plupart des détenues, et son souvenir reste vivant jusqu’à aujourd’hui. Les nouveaux n’étaient pas seulement plus jeunes, ils étaient -ma foi- sourds ! Je me souviens du coup de fil que j’ai reçu de mon avocat Hojjat Kermani, vers 11h00 du matin, un mercredi, alors que j’étais assignée à résidence, m’annonçant que le procureur voulait me voir. « Quoi ? Me voir ? ». Hojjat Kermani me dit qu’il irait seul pour savoir de quoi il retournait. Il me rappelle vers 16h00 : « Il veut te voir en personne, et je n’ai pas réussi à en savoir plus. ». Je lui demande si je dois retourner en prison de manière définitive. Il ne sait pas. Habitant au centre-ville, je lui dis que je vais le rejoindre devant Evin, sous le pont de Yadegar-e Emam. Il n’est pas d’accord et me demande de ne pas bouger, mais de m’occuper plutôt de mes affaires personnelles et de résumer en une note ce qu’il y a à faire, si jamais je ne pouvais pas retourner chez moi. Il viendrait me chercher lui-même, cela me laisserait une heure de plus, pour écrire des lettres à mes deux pauvres sœurs qui ne savaient plus comment gérer l’ingérable de ma vie, et pour essayer de leur faciliter la tâche.
C’était curieux, ce trajet vers Evin, tout aussi forcé que le premier, mais à cette différence près que j’y allais de mes propres pas et non, comme la première fois, menottée et les yeux bandés ! Cette fois-ci, j’étais conduit par mon avocat, dans sa belle voiture noire. Comme pour aller visiter un lieu. J’avais dans mon sac une chemise de nuit, ma brosse à dent, une paire de chaussettes et… rien d’autre, parce que j’espérais vraiment revenir le soir même, ou le lendemain.
On se gare, on franchit le poste de police, on présente ses papiers, on monte la petite colline. Sur la droite, je vois l’immense porte d’entrée de la prison, celle qui figure sur toutes les photos, avec ses fils de fer barbelés, celle d’où je sortais, toujours accompagnée de gardes, pour aller chez mon médecin ou au tribunal. Juste à côté, à trois ou quatre mètres, une toute petite porte, identique à celles des maisons dans les quartiers populaires du sud de Téhéran. On rentre par cette dernière. Et une fois passée devant le garde, je sais qu’il n’ y a plus de retour en arrière.
Je suis Hojjat Kermani, un habitué des lieux. Chaleureux et amical comme il est toujours, il salue tout le monde, et tout le monde lui sourit, et moi, toujours derrière, je le suis sans relâche. On passe par des couloirs qui s’emboîtent et par des escaliers, on monte et on descend, je suis perdue. Puis on se trouve dans un bureau, Hojjat me présente et me demande de m’asseoir, ce que je fais. On ressort dix minutes plus tard de ce bureau, et on arrive plus loin dans un autre, celui de l’adjoint du procureur, un jeune, très jeune, je l’aurais pris pour un secrétaire. Celui-ci me demande à son tour de m’asseoir, et à Hojjat de partir. Je le regarde, comme pour lui dire : « Ce n’est pas ce que nous avions prévu ! ». Il me fait un signe, « T’inquiète ! », et avec le doigt il me montre le sol, comme pour dire qu’il reste en bas, là où nous nous avons garé la voiture. Soudain sa voix monte : « Je t’attendrai là-bas », et sa main montre derrière son dos.
Mais je sais que c’est fini. Mes larmes coulent. Non que j’aie peur, que je craigne quelque chose. Non pas que je sois triste de retourner aux côtés des détenues. Non plus ! Mon assignation à résidence s’était très mal passée, dans une solitude invraisemblable. Je parlais certes avec mes amis, au téléphone, mais j’étais seule. Et la solitude, quand vous ne savez pas quand elle s’arrête, elle désempare et peut être très étouffante. A l’extérieur non plus, personne ne vous parle, ou peut-être n’avais-je envie de me rapprocher de personne.
Si je pleurais, c’est que je savais tout ce que j’avais laissé d’ingérable derrière moi et que mes sœurs allaient devoir prendre en main, elles qui avaient déjà une vie chargée et avaient beaucoup souffert de mon absence sans même que je sache exactement ce que cela représentait pour elles, avec des récits qui se superposaient, qui se contredisaient. Je m’en voulais de m’être installée dans un quotidien si flou, si mal organisé, si peu réfléchi, comme dans une sorte de fuite en avant. Je m’en voulais de ne pas avoir prévu ce moment de retour à Evin.
Assise à 5 mètres du jeune adjoint, je prends mon courage à deux mains, je me lève, je me rapproche de son bureau comme pour lui faire une confidence et je lui demande, sans pouvoir contrôler mes larmes, plutôt je le supplie de me laisser juste 24h00 pour que je puisse mettre en ordre mon appartement et prendre quelques affaires qui me seront utiles pour les deux ans qui me restent à passer derrière les barreaux. Cela faisait seize mois que je vivais à l’extérieur et que rien ne s’était passé qui puisse justifier ma réincarcération. Il me répond que je n’ai pas respecté les conditions de mon contrôle judiciaire. Mais il ajoute que je peux soumettre cette requête au procureur, la seule personne habilitée à me donner cette autorisation. Je m’assoie, j’attends, les larmes coulent mais j’attends.
La porte du bureau du procureur s’ouvre. Le jeune adjoint, toujours assis, montre avec la main droite la porte et me demande d’y aller, un peu comme un assistant dans un cabinet médical. Je rentre dans une très grande pièce dans laquelle il est difficile de trouver son occupant. Je le vois finalement derrière des rangées interminables de chaises. J’avance. Je m’assoie sur un siège en face de son immense bureau, mais nous sommes très loin l’un de l’autre. Je ne sais même pas s’il m’entend quand je parle, d’une voix frêle : « Je vous prie de me donner 24h00, je reviens après avoir mis en ordre ma maison. Vous savez, ma famille n’y est pour rien, dans mon histoire. Je ne souhaiterais pas leur poser plus de problèmes que je ne l’ai fait jusqu’à maintenant ! ». Son silence est éloquent. Il s’en fout ! Et puis il dit : « Non, ce n’est pas possible ! ». Je me tais. La porte sur ma gauche, au loin, derrière moi, s’ouvre et le jeune adjoint y réapparaît, me demandant de le suivre, chose que je fais. Je remonte la chaîne des assistants et autres auxiliaires du procureur, jusqu’à ce même bureau où ils vont se casser la tête pour savoir comment m’enregistrer après mon retour, pour finir par inventer que je n’ai jamais quitté Evin.
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La rédaction d’Eurojournalist, tient à exprimer à Fariba Adelkhah sa reconnaissance, pour l’honneur qu’elle nous a fait, en confiant à notre quotidien mois après mois, la diffusion d’une partie importante du récit de sa captivité, qu’elle détaillera dans un livre à paraître encore cette année. Ouvrage dont nous ne manquerons pas de nous faire l’écho ici, dès que nous le saurons disponible en librairie.
Conformément à ce qu’elle avait annoncé, dès que nous avons pu établir le contact à son retour en France, Fariba Adelkhah n’a effectivement pas manqué à ses promesses ! Elle est même allée au-delà de toutes nos espérances, et nous lui redisons aujourd’hui que notre média lui reste ouvert, afin qu’elle puisse y apporter les éclairages, analyses et contributions de son choix.
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