#FreeFariba : Quand les mollahs s’en prennent aux cinéastes

Sortie de la prison d’Evin dans la nuit du 10 au 11 février, beaucoup d’incertitudes pèsent sur le présent et l’avenir immédiat de Fariba Adelkhah, qui ignore si elle a recouvré tous ses droits. D’où notre choix de ne pas céder à l’emballement généralisé, qui a suivi cette nouvelle. Ainsi, tant que Fariba Adelkhah ne sera pas de retour en France, continuerons-nous à publier chaque 16 du mois, un article parlant d’elle et/ou de l’Iran, comme celui-ci sur le cinéma iranien, dont elle est une grande amatrice.

Le cinéma a sa place à Abadan, même si le bâtiment abritant les salles, ne donne pas forcément très envie d’y entrer... Foto: SajjadImanian / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – On apprend au début du mois, via le compte Instagram de son épouse Tahereh Saeidi, que le cinéaste iranien Jafar Panahi, détenu comme le fut Fariba Adelkhah à la prison d’Evin, entamait une grève de la faim. Ce qui à l’issue de 7 mois de détention, a provoqué sa libération sous caution. Condamné une première fois en 2010 à 6 ans d’emprisonnement pour propagande anti-régime, mais aussi interdit durant 20 ans de quitter le pays et de réaliser des films, il a néanmoins poursuivi clandestinement son œuvre de réalisateur témoin de son temps, ce qui lui a valu plusieurs prix et coûté une nouvelle arrestation en juillet 2022. Loin de vouloir provoquer et de rechercher la confrontation, il est comme Fariba Adelkhah une voix qu’il nous appartient d’écouter, nous qui vivons dans un pays d’encore grande(s) liberté(s).

Autant le régime des mollahs reste-t-il condamnable, et à plus forte raison eu égard aux événements faisant suite au meurtre de Masha Amini, autant ce pays ne se résume t-il pas à l’obscurantiste théocratie qui le gouverne depuis 1979. L’Iran que les nombreux manichéistes occidentaux bien-pensants et mal-comprenants, se plaisent par un « très chrétien » discours buscho-trumpiste de désigner à la vindicte populaire, n’est pas un pays de sauvages et de terroristes. Le cinéma iranien, dont l’origine remonte au tout début du XXe siècle, aura bientôt un siècle-un-quart d’histoire dans laquelle la Révolution Islamique a sa part, mais sans réussir à n’en faire qu’un instrument de propagande, comme en témoigne notamment l’œuvre et l’engagement de Jafar Panahi. Pourtant la censure, qui y eut sa place à l’époque des Pahlavi et s’est perpétuée avec l’arrivé des mollahs, ne s’exerce pas avec faiblesse.

Qualifié en 2017 par Javad Zeini de « cinéma national sous influences », le cinéma persan antérieur à 1979 s’est construit en se nourrissant tant en Orient qu’en Occident. Rien que pour cela, à notre époque, où tant pour les politiques que pour l’opinion publique le clivage devient la norme, il mérite qu’on lui porte le plus grand intérêt. Si la première projection eut lieu à Téhéran l’année suivant la sortie du premier film des frères Lumière, le Septième Art fut longtemps apprécié seulement par l’aristocratie et les citadins. Les classes populaires et les ruraux, sous l’influence d’un islam rejetant les représentations picturales des êtres vivants, lui préféraient les spectacles en 3D de type religieux (taz’iyeh) ou satyriques (roohozi).

Dans un ouvrage publié en 2004, la chercheuse Agnès Devictor analysait la politique du cinéma iranien de l’âyatollâh Rouhollah Moussavi Khomeyni au Président Mohammad Khâtami, ce dernier ayant malgré une forte opposition conservatrice, prôné la liberté d’expression et la tolérance durant ses deux mandats de 1997 à 2005. Une politique sans équivalent, en matière de censure et d’instrumentalisation d’un art à des fins de propagande, face à laquelle des réalisateurs tels que Jafar Panahi n’ont pas manqué de talent pour rester libres. Mais l’Iran de l’actuel président Raïssi n’est plus celle du Président Khâtami…

Au top des meilleurs films iraniens publié par Sens Critique, sur les cent que cet excellent site répertorie, dont étonnamment le documentaire « Iran » (1971) de Claude Lellouch placé en 85ème position, 9 ont été réalisés par Jafar Panahi : « Taxi Téhéran » (2005) 3ème, « Trois visages » (2018) 17ème, « Le Cercle » (2000) 19ème, « Sang et or » (2004) 23ème, « Le Miroir » (1997) 34ème, « Le ballon blanc » (1995) 37ème, « Aucun ours » (2022) 44ème, « Ceci n’est pas un film » (2011) co-réalisé avec Mojtaba Mirtahmasb 61ème, « Hidden » (2020) 97ème.

Alors, plutôt que de s’embrumer l’esprit avec des séries étasuniennes diffusées à l’envi par la TNT, pourquoi ne pas consacrer notre temps de cerveau disponible, à nous intéresser au cinéma iranien ? Oui, des drones iraniens sont utilisés actuellement par la Russie pour attaquer l’Ukraine, mais le cinéma iranien de réalisateurs tels que Jafar Panahi n’est pas celui de Leni Riefenstahl…

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