Fusion des Régions : Alsace, une priorité contestable…
... la réforme territoriale et la fusion des régions !
(Par Alain Howiller) – Après les élections législatives du 17 Juin 1951, le Général de Gaulle, dont le parti -le «Rassemblement du Peuple Français» (RPF)- n’avait pas réussi à atteindre une majorité de gouvernement, avait eu cette phrase célèbre, frappée d’amertume : «On ne peut rassembler les Français, que sous le coup de la peur. On ne peut rassembler à froid, un pays qui compte 365 spécialités de fromage !» Depuis son accession à la Présidence de la République, François Hollande, connu pour son humour, a du souvent penser à ce propos gaulliste. Depuis qu’il a lancé son projet de fusion des régions et de réorganisation territoriale de la France, il a dû comprendre en voyant les réactions suscitées, à droite comme à gauche, qu’il ne ferait que très difficilement son… fromage de la réforme souhaitée. Manuel Valls, son Premier Ministre, a beau rêver de ces alliances (rares) entre opposition et majorité qui se nouent dans les collectivités locales qu’il espérerait retrouver au niveau national : rien n’y fait, son propre camp se fracture, se divise et l’opposition est vent debout contre le projet de réforme.
Certes, tout le monde réclame depuis des décennies la fin de ce qu’on appelle le «mille feuille territorial», la fin des chevauchements de compétences qu’il engendre, la fin des coût qu’il nourrit, le début d’une simplification qui rapprocherait du citoyen ceux qui exercent le pouvoir.
Un mauvais discours de la méthode… – Il y a eu plusieurs projets de diminution du nombre de régions et de réforme des structures territoriales. Lors du premier mandat de Président de la République de François Mitterrand, Pierre Mauroy propose qu’on ramène le nombre des régions de 22 à 16. Et François Mitterrand d’écarter la proposition avec ce mot : «Il y a plus de 16 socialistes qui veulent devenir Président de Région !» Une déclaration qui, sous couvert d’un «bon mot», met le doigt sur une partie du problème : un poste recherché et le pouvoir y est attaché ! Il y a eu des projets Mauroy (2000), Balladur(2009), Raffarin/Krattinger (2013). Il y a eu le projet «Sarkozy», supprimé par la gauche arrivée au pouvoir, qui prévoyait le rapprochement des élus départementaux et régionaux, prélude à une fusion des conseils généraux et des conseils régionaux. Et il y a maintenant le projet «Hollande» (voir eurojournalist.eu du 11 Juin sur le «Big Bang territorial»).
Le projet de loi déposé au Parlement fait, d’ores et déjà, l’objet de beaucoup de critiques. Les unes sont générales et portent sur la méthode employée pour faire adopter le projet sur le timing d’adoption que le gouvernement essaye d’imposer, sur la philosophie même des fusions : pourquoi faire, quels moyens seront mis à disposition, de quels pouvoirs disposeront les nouvelles régions, quelles économies sont attendues, que deviendront les services de l’Etat dans des régions dont le nombre est ramené de 22 à 14 ? Les autres critiques portent sur la manière dont ont été définies les nouvelles «frontières régionales» : on s’interroge sur le fait que certaines régions ont été fusionnées (comme l’Alsace et la Lorraine) dans le projet, tandis que d’autres ne l’étaient pas.
Avoir l’Alsace-Lorraine… ou pas ! – Soucieux de prendre de l’avance dans la concrétisation du projet de fusion, les présidents de la Région Lorraine (Jean Pierre Masseret) et de la région Alsace (Philippe Richert) ont déjà eu des contacts en vue d’une fusion éventuelle. Encore sous le coup -contrairement à ce qu’il affirme publiquement- de l’échec du projet de fusion Bas-Rhin / Haut-Rhin repoussée le 7 Avril 2013 à cause d’une abstention trop forte, le Président Richert, ouvert au projet alsaco-lorrain s’est, cette fois, montré prudent lors de la dernière réunion -le 27 Juin- du Conseil Régional d’Alsace : «Réformer l’organisation territoriale du pays est tout à fait indispensable», a souligné le président à cette occasion, «nous allons entrer dans l’ère des régions. J’en suis convaincu… Le Conseil d’Alsace (note de la rédaction : rejeté par le référendum) anticipait l’ensemble des problématiques posées par la réforme territoriale et répondait de manière simple et transparente aux questions soulevées par l’actuel projet du Gouvernement…»
Et le président d’énumérer ses réserves : il ne s’agit pas simplement de redéfinir de nouvelles limites territoriales aux régions, car la réforme doit s’accompagner de transferts de pouvoirs et de compétences, de relancer une politique de décentralisation des services de l’Etat, de prévoir un pouvoir réglementaire pour les régions nouvelles, respecter le droit local alsacien-mosellan, donner des moyens financiers et fiscaux nouveaux, reconnaître le statut de capitale régionale à Strasbourg, euro-métropole et siège des institutions européennes. Il faudra aussi respecter la vocation et les ambitions transfrontalières de l’Alsace. Il s’agit aussi, au delà de la fusion des régions (d’ailleurs s’agira-t-il d’une «fusion» ou d’une «fédération») que prévoit le premier projet de loi déposé au Parlement, de prévoir l’articulation à assurer dans le cadre d’un deuxième projet de loi avec la montée des euro-métropoles, des inter-communalités, la disparition -au delà de 2015- des départements et au delà de 2020, des «conseils départementaux (conseils généraux)».
Philippe Richert, la fusion et… l’identité régionale. – Philippe Richert ne redoute pas, sous réserve des points relevés plus haut, une fusions Alsace-Lorraine qui ne remettra pas en cause l’identité alsacienne : «Il ne s’agit de supprimer l’Alsace, ni la Lorraine en tant qu’entité géographique ou administrative». Est-ce dans cet esprit que Justin Vogel, notamment Vice-Président du Conseil Régional et Président de la Commission, Culture, Identité régionale et bilinguisme, s’est vu confier une mission sur le rapprochement alsaco-lorrain. Richert voit aussi dans ce rapprochement la mise en place d’une Euro-Région forte composée de régions frontalières qui ont déjà développé des coopérations avec leurs voisines : Sarre, Luxembourg, Rhénanie-Palatinat, Bade-Wurtemberg, Suisse.
Les arguments en faveur d’un rapprochement Alsace-Lorraine sont loin de convaincre tous les Alsaciens : je renvois pour l’essentiel à l’article paru ici même le 11 Juin pour me contenter de relever que, au delà d’une manifestation assez hétéroclite d’opposants à la fusion qui a réuni moins d’un millier de personnes à Strasbourg et à Colmar réunis, au delà du millier de signatures récoltés contre la fusion par «Inititiative Citoyenne Alsacienne – ICA» et au delà encore de la campagne lancée par l’hebdomadaire «L’Ami Hebdo», les opposants à l’Alsace-Lorraine peinent à se manifester ? Est-ce à dire que les Alsaciens sont favorables au projet de fusion ? Rien n’est moins sûr : nous sommes au début d’une phase de sensibilisation que, le gouvernement soucieux de faire approuver son projet veut la plus brève possible. Il espère faire adopter son projet au cours de l’été, en cas de session extraordinaire du parlement ou au plus tard au début de l’automne. Il doit en effet y avoir un délai d’un an, entre l’adoption de la réforme et les élections régionales et départementales, déjà repoussées au mois de Décembre. Rien ne dit que les parlementaires se rendront aux voeux du gouvernement.
Ce dernier pourrait, alors, être tenté de forcer la décision de l’Assemblée Nationale, en utilisant l’article 49,3 de la Constitution. Cet article permet de bloque l’adoption d’un texte … sous réserve que le dixième des députés ne dépose pas une motion de censure qui devra être adopté par une majorité des membres de l’Assemblée. Si ce scénario devait être tenté, il deboucherait quasi automatiquement sur une dissolution de l’Assemblée et un… changement de majorité, suicidaire pour les élus sortants) !
Le gouvernement va-t-il essayer de «passer en force» ? – Il est évidemment dommage que le gouvernement, soucieux de passer en force si besoin en était, manoeuvre pour éviter la révision constitutionnelle qui exigerait un vote favorable de 3/5ème des parlementaires et pour se mettre à l’abri d’une sanction éventuelle des citoyens consultés par référendum ! «Nous n’avons malheureusement pas en France le culte de la consultation et nous réformons rarement grâce au dialogue», a relevé à ce propos, lundi 30 Juin, Patrick Tassin, Président du Comité Economique, Environnemental et Social (CESER) de la Région Champagne-Ardennes. Il rencontrait, au siège de la Région Alsace, ses collègues des 5 «CESER» (assemblées composées de représentants de la société civile, qui assistent, à titre consultatif, les élus des conseils régionaux) du «Grand Est» : Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardennes, Lorraine, Franche-Comté).
Les uns et les autres se sont plaints du flou du projet présenté (les limites des régions pourraient encore bouger par exemple, incertitudes sur les ressources et les pouvoirs). Ils ont critiqué la méthode utilisée : pas de consultations préalables, pas de définition des compétences qui auraient du être précisées avant tout découpage territorial, n’aurait-on pas mieux fait de commencer par le regroupement des 36.000 communes françaises ?). Ils ont mis en cause un manque de sérieux dans l’évaluation des économies attendues (d’ailleurs, y en aura-t-il ?), dans l’évaluation de l’impact sur l’économie des régions (quelle sorte de levier de croissance, la future région sera-t-elle ?) tout en s’interrogeant sur le respect des identités et la préservation d’une règle de proximité des citoyens. Et quelle sera l’évolution des services de l’Etat ? Les 5 Présidents ont déploré aussi le manque de précisions sur les futures capitales régionales : si personne ne devrait contester le rôle de Strasbourg, a relevé le Président du CESER de Lorraine, aucun homme politique lorrain n’aura le courage de désigner Strasbourg !
Prioritaire ou pas ? – Bref, alors que le Parlement devrait se prononcer prochainement (!), on a la fâcheuse impression que le dossier est loin d’être complet ! Et on a surtout l’impression qu’il sera difficile de respecter les délais annoncés qui pourraient être allongés non seulement par une sorte de guérilla parlementaire, mais aussi par les délais que mettra éventuellement le Conseil Constitutionnel, lorsque (il serait surprenant qu’il ne le soit pas) il devra se prononcer.
Une dernière question à cet égard : est-ce que dans la hiérarchie des problèmes que la France doit résoudre, la réforme territoriale, devait-elle réellement être prioritaire ?
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