Gibraltar : le caillou de la discorde

Depuis 1704, la Grande- Bretagne est maître du destin du roc de Gibraltar. Face au « Brexit », la question de Gibraltar constitue un véritable casse-tête européen.

Le "caillou - le rocher de Gibraltar pose un vrai casse-tête lors du Brexit. Foto: Benjamín Núñez González / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 4.0int

(Jean-Marc Claus) – Gibraltar, ce caillou au sud de l’Andalousie, sur lequel flotte l’Union Jack depuis en 1704 et officiellement britannique depuis les Traités d’Utrecht. Gibraltar, cette pomme de discorde entre le Royaume Uni et le Royaume d’Espagne. Gibraltar, ce fruit mûr qui, selon le caudillo ne valait (heureusement) pas une guerre, mais tomberait tôt ou tard (rien n’étant aujourd’hui moins sûr).

L’occupation humaine de cette péninsule enserrant à l’Est, l’actuelle Baie d’Algéciras, remonte à l’époque néandertalienne. Durant l’Antiquité, elle fut habitée successivement par les Phéniciens, les Carthaginois et les Romains, puis devint la tête de pont de la conquête arabo-musulmane de la Péninsule Ibérique (711-726), pour être reprise en 1462 par les Castillans vers la fin de la Reconquista (722-1492). Mais la Guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), dont l’Espagne fut l’une des grandes perdantes, eut entre autres conséquences, la prise de Gibraltar en 1704 par les anglo-néerlandais et son rattachement à la Couronne Britannique par les Traités d’Utrecht en 1713.

Si l’histoire ancienne ne manque pas d’enseignements sur l’évolution de l’Europe et les relations entre les peuples qui la composent, l’histoire contemporaine est, elle aussi, très parlante. Ainsi, durant la Seconde Guerre Mondiale, l’Opération « Felix » tomba à l’eau. Ce projet d’invasion de Gibraltar par l’Espagne franquiste, soutenue par l’Allemagne hitlérienne convenu dès 1940, ne vit pas le jour, tant en raison des accords Bérard-Jordana (1939) décidant de la neutralité de l’Espagne, que de l’avidité du caudillo demandant à l’Allemagne d’assumer la quasi-totalité des frais de cette opération, avec entre autres le concours de troupes d’élite nazies et la cession du Maroc, alors administré par le régime de Vichy.

Mais le caudillo ne renonça pas pour autant au caillou, ce symbole des puissances alliées qui devait l’agacer, d’autant plus après la capitulation de l’Allemagne nazie qui elle, avait été rendue possible tant par les débarquements à l’Ouest et au Sud de l’Europe, que par l’avancée de la Russie Soviétique à l’Est. Mais se refusant à engager un conflit armé dans une Europe à nouveau pacifiée, et persuadé que le caillou retournerait fatalement dans le giron de la Couronne d’Espagne (« Gibraltar devra fatalement revenir à l’Espagne » déclare le général Franco au New-York Times), le caudillo tenta la voie diplomatique par le truchement de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Ainsi, en 1967, il souleva la question de la décolonisation de Gibraltar. Question à laquelle 99,64% des Gibraltariens répondirent lors d’un mémorable référendum qu’ils voulaient rester sous la souveraineté britannique. Une consultation à laquelle participèrent 95,67% des inscrits.

Ce camouflet était une double humiliation pour le caudillo, car deux ans plus tard le caillou adopta une Constitution et passa alors du statut de colonie britannique à celui de territoire d’outre-mer. Le dictateur fasciste fit alors non seulement verrouiller en 1969 la frontière séparant le caillou de l’Espagne, mais, s’inspirant probablement de l’attitude des USA envers Cuba, lui imposa de surcroît un blocus économique. Ce qui n’empêcha pas Gibraltar de se développer et eut pour conséquence une anglicisation galopante des jeunes générations. Ce phénomène allant au-delà de la réouverture partielle de la frontière en 1982, puis totale en 1985. Une population attachée au Royaume-Uni, mais encore plus à l’Union Européenne, car lors du Référendum de 2016, ce sont 95,91% des Gibraltariens consultés qui ont voté pour le « Remain ».

Des Gibraltariens votant à 95,61% pour demeurer au sein du Royaume-Uni en 1967, puis à 95,91% pour rester dans l’Union Européenne en 2016, mais toujours pas prêts à réintégrer l’Espagne. La crise de 2013 à propos des eaux territoriales de Gibraltar dans la Baie d’Algéciras, n’étant peut être pas étrangère à ce refus. Mais que vont alors devenir ces europhiles non-anglophobes ?

La sortie du Marché Unique aura des conséquences sur l’économie gibraltarienne dont dépendent plus de 15.000 travailleurs frontaliers qui représentent 40% de la main d’œuvre employée localement. De plus, la prévisible baisse du cours de la livre britannique nuira inévitablement au pouvoir d’achat des Gibraltariens. Le Port de Gibraltar, figurant au nombre des principaux ports de ravitaillement en combustible des navires circulant en Méditerranée, pourrait bien devenir un dommage plus que collatéral du Brexit, car 30% de ses réserves de carburant se trouvent en Espagne.

Mais du côté espagnol, il y aura aussi des pertes sèches, l’économie gibraltarienne contribuant à concurrence d’un quart du PIB du Campo de Gibraltar, comarque jouxtant le caillou. A moins qu’y soit créée une zone à fiscalité réduite pour y attirer les entreprises gibraltariennes, mais cela reste une option bancale. La souveraineté partagée entre le Royaume Uni et le Royaume d’Espagne, qui pourrait aujourd’hui laisser entrevoir des solutions, a déjà été rejetée en 2002 par 98,48% des Gibraltariens consultés lors d’un référendum où le taux participation fut de 87,9%. Le pire est aujourd’hui à craindre. A Gibraltar, le Brexit fait craindre le pire …

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