Gibraltar : le caillou des « Yanitos »
Depuis 1704, la Grande Bretagne est maître du destin du roc de Gibraltar. Face au « Brexit », la question de Gibraltar constitue un véritable casse-tête européen.
(Jean-Marc Claus) – Gibraltar, ce caillou au sud de l’Andalousie, sur lequel flotte l’Union Jack depuis 1704. Gibraltar, cette enclave de 6,8 km² occupés à 40% par la montagne, forte d’une population d’un peu plus de 33.000 habitants, soit une densité égale à la moitié de celle de Hong Kong. Gibraltar, ce petit bout de Royaume-Uni, séparé du Royaume d’Espagne par une minuscule frontière de 1,2 km de long et où l’on parle anglais, espagnol, mais surtout « Yanito », une langue métissée des plus surprenantes.
« Ilanito » du côté espagnol de la micro-frontière séparant la péninsule ibérique de la péninsule gibraltarienne, « yanito » du côté britannique de la micro-frontière séparant la péninsule gibraltarienne de la péninsule ibérique, cette langue constitue l’un des marqueurs de l’identité des habitants du caillou, à tel point qu’ils se dénomment eux-mêmes « Yanitos ». Élément culturel on ne peut plus important en période de « Brexit », sur un confetti de Royaume Uni dont la population a voté en 2016 à 95,91% pour le « Remain ». Un scrutin ayant obtenu un taux de participation de 84%, contre 72,2% pour l’ensemble du Royaume Uni.
Son appartenance à la Couronne et sa population à 99% britannique, ne font pas de Gibraltar une sorte de village gaulois ultranationaliste s’accrochant à une chimère identitaire de pure souche. L’identité gibraltarienne est multiple, comme sa langue non-officielle. Melting-pot constitué essentiellement d’anglais et d’espagnol à consonance andalouse, mais aussi de maltais, de génois et même d’hébreux, le « yanito » produit des vocables tels que « Chachi ! », à prononcer « Tchatchi !». Mot ayant pour origine Sir Winston Churchill, et pouvant se traduire par « ¡Fantástico ! », car la politique du Vieux Lion a été profitable au peuple gibraltarien dans son ensemble, comme le rapporte Ernesto (Tito) Vallejo Smith dans son « Diccionario Yanito ».
Un travail démarré au milieu des années soixante, quand entendant des personnes plus âgées que lui employer dans leur vocabulaire des mots étranges et des expressions curieuses, il se mit à les collecter méticuleusement. Publiant, en 2014, le plus complet des trois dictionnaires de « yanito » existant aujourd’hui, il a apporté un élément supplémentaire à la compréhension de l’identité multiple de la culture gibraltarienne. Notamment en soulignant l’importance des « yanitadas », expressions pensées en espagnol et littéralement traduites en anglais, même si cette formulation en altère le sens.
Pour Tito Vallero, comme il est communément nommé par ses concitoyens, la fermeture de la « Verja » (frontière hispano-gibraltarienne) en 1969 par le « Caudillo », a « créé un abîme » (sic) entre Espagnols et Gibraltariens, conduisant les nouvelles générations à s’angliciser. Ce « lockdown » ou « bloqueado », a duré 13 ans jusqu’à la réouverture partielle de la frontière aux piétons en 1982, puis aux véhicules à moteur en 1985, en vue de l’entrée de l’Espagne dans l’Union Européenne en 1986. Union Européenne, dont le Royaume Uni était membre depuis 1973, jusqu’à ce qu’il décide en 2016 d’en sortir d’ici 2021.
Or, en 2020, les Gibraltariens veulent majoritairement demeurer dans l’Union Européenne et leur langue non-officielle, qualifiée à tort par certains de « spanglish », pourrait bien devenir le ciment de l’unité d’un peuple incarnant infiniment mieux le « en même temps » qu’un pâlot président d’une république voisine du Royaume d’Espagne. Le « yanito », n’est pas le « spanglish » employé par la moitié des 50 millions d’hispanophones vivant aux USA, car il est un parler typiquement européen.
L’étymologie du terme « Yanito » est incertaine. « Petite plaine » en espagnol, qualifierait les habitants du caillou de peuple de la petite plaine ? Possible glissement du surnom donné aux Linenses, habitants de La Línea de la Concepción, commune espagnole se trouvant juste derrière Gibraltar. Mais il existe aussi une explication d’origine génoise, car à la fin du 18e siècle, 34% de la population civile masculine de Gibraltar venait de Gênes, Gianni étant alors un prénom des plus courants, d’où la salutation « ¡Hola Yanis ! » employée aujourd’hui.
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