« Gilets jaunes » – Politique et syndicats !

Alain Howiller analyse l'évolution des syndicats français face au phénomène des « gilets jaunes ». A croire que la politique recule de plus en plus vers un rôle de spectateur...

Est-ce que les syndicats laissent le conflits actuel se régler par la violence dans la rue ? Foto: Eurojournalist(e) / CC-BY-SA 4.0int

(Par Alain Howiller) – Que le monde politique qu’ils mettent directement en cause court après le mouvement des « gilets jaunes » dans l’espoir -sans doute fallacieux- d’en récupérer les partisans à défaut de leurs idées (!), ne surprendra personne. Plus surprenant est que rares soient ceux qui voient dans ce mouvement -appelé à devenir…parti !- l’une des conséquences du dynamitage organisé par la « République en Marche » (et « Révolution », le livre-phare d’Emmanuel Macron !) et « La France Insoumise » de Jean-Luc Melenchon. Encore plus surprenant est le fait que les syndicats ne se posent guère de questions sur la concurrence que les animateurs des « ronds points routiers » ont fait (font encore) peser sur le dialogue social . « Regardez ce que nous avons déjà obtenu en quatre semaines et mettez en regard ce que les manifestations organisées par les syndicats en 2018 ont apporté aux Français : rien ! » Voilà le commentaire que l’un des « leaders » des « gilets jaunes » a cru devoir apporter lors de l’un des innombrables débats télévisés qui ont émaillé l’actualité des dernières semaines. Provocateur avec ce brin d’arrogance qu’il reproche au pouvoir en place, il a mis le doigt sur l’un des paradoxes de cette période : l’invisibilité des forces syndicales qui ont fait preuve d’un faible investissement dans les événements. Mis à part Laurent Berger, Président de la CFDT qui avait opportunément proposé au gouvernement d’apporter son aide à la mise en place d’une concertation pour sortir de la crise, mis à part les membres de la CGT qui ont discrètement avoué avoir « encadré » des manifestations étudiantes dans la région parisienne, mis à part aussi les animateurs du syndicat « SUD » qui ont recommandé « la participation aux cortèges des manifestants »…

Le mouvement que personne n’a vu venir - Comme le pouvoir ou les forces politiques, les syndicats n’ont pas réellement vu venir le mouvement des « gilets jaunes » dont ils ont mis quelque temps à apprécier et l’ampleur et les possibles répercussions ! Ce décalage peut, dans une large mesure, s’expliquer par la faible syndicalisation en France, mais aussi par la division entre de trop nombreux syndicats. Alors que dans les pays de l’OCDE, le taux de syndicalisation a chuté de 33% à 17% en un peu plus de 30 ans et que ce taux s’établit à 23% dans l’Union Européenne, il ne dépasse pas 8,7% en France (contre 19,8% il y une trentaine d’années) ! Pour beaucoup, ce chiffre s’explique par le trop grand nombre d’organisations syndicales française. Pour d’autres, le faible taux pourrait être lié à la perception même du rôle des syndicats : 42% des Français, selon un sondage réalisé par ViaVoice pour le Figaro, HEC et BFM-Business(1), estiment que les centrales sont utiles pour engager les transformations dont la France a besoin, 35% pensent qu’elles sont un frein à la réforme, seuls 24% pensent qu’obtenir des augmentations de salaires dans les entreprises doit être leur priorité et 54% pensent que les dérives dont font état les médias à leur propos gangrènent leurs actions!

Peut-être pourrait on ajouter à cette liste que, selon une enquête menée par la CFDT auprès de 200.000 salariés, 77% d’entre eux ont affirmé qu’ils… aimaient leur travail, et 57% ont souligné qu’ils sont fiers de ce qu’ils font, 59% trouvent du plaisir à leur travail : ce qui contribue sans doute au fait que 65% pensent que travailler jusqu’à 39 heures par semaine n’est pas un problème. La prise en compte de ces éléments explique largement que les syndicats dits « réformistes » (comme la CFDT) semblent bénéficier d’une adhésion plus large que les centrales de « contestation permanente » du type CGT. Du coup, le sondage ViaVoice souligne que 16% des sondés donnent leur préférence à la CFDT, devant la CGT (15%), FO (9%), la CFTC (syndicat chrétien, 4%) et SUD 3%… Ce classement avait été confirmé, d’une certaine manière, au printemps dernier par le « Haut Conseil du Contrat Social » qui relevait que, selon les résultats des élections professionnelles dans le « secteur privé », la CFDT avait obtenu en 2017, 26,37% des voix des salariés (contre 26% en 2013), la CGT avait obtenu 24,85% des voix (contre 26,77%). La CFDT devenait le syndicat préféré des salariés du privé. Les syndicats réformistes (CFDT, CFTC, UNSA) réunissait 41,21% des votes du secteur contre 40,44% aux syndicats « contestataires » (CGT, FO). Grâce à ses résultats dans le secteur « fonction publique », la CGT restait néanmoins la première centrale syndicale. La part des « syndicats réformistes a passé » en 2018, à 51,2% des voix.

Les syndicats dans la nasse ? – Si les résultats des élections professionnelles 2018 ont confirmé la relative régression de la CGT et la prééminence de la CFDT tous collèges confondus (privé et public), il n’y a pas de quoi pavoiser : d’abord parce que la participation aux élections est tombée (certes de peu) en dessous des 50% (contre 49,8% précédemment), qu’un écart de 35.000 voix et la progression de « petits » syndicats ciblant certaines professions ont pesé sur les résultats obtenus par la CGT notamment dans la fonction publique et ont de ce fait, amélioré les résultats de la CFDT qui devient syndicat « numéro un » tous secteurs confondus. Symboliquement, c’est un signe : « Syndicat humaniste, proche des travailleurs, efficace dans l’amélioration de leur quotidien, la CFDT a été portée à la première place ! », s’est contenté de constater Laurent Berger. L’évolution ne peut masquer ces réalités que sont le faible taux de syndicalisation, la petite régression dans la participation aux élections professionnelles, la progression de FO dans la fonction publique, l’évolution positive des syndicats jusqu’ici plus modestes tels que l’UNSA (11% des voix) ou de la FSU (enseignants) avec 8,7% des suffrages !

Dans le sondage réalisé par ViaVoice(2), les participants ont porté dans leurs priorités que les syndicats devraient défendre les droits des salariés de manière générale (57,6%, des réponses), négocier avec le patronat des accords d’entreprise sur l’organisation ou la qualité de vie au travail (45%) et trouver des solutions aux problèmes existants sur le marché du travail (41%) : des revendications qui figurent dans la longue liste des « gilets jaunes » et qui ont contribué à leur succès actuel. Un succès qui n’interpelle pas seulement le monde politique, mais qui devrait aussi conduire les forces syndicales à réfléchir à leurs priorités et à se re-définir. Il y a de la réforme en l’air !

(1) Voir eurojournalist(e).eu du 03.04.2017.
(2) Le Figaro du 19.11.2018.

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