Grande victoire et erreur historique !

Autant l’obtention à l’Assemblée Nationale d’un vote très largement favorable à l’inscription dans la Constitution du droit à l’IVG est-elle une avancée historique, autant cela n’autorise-t-il pas de laisser sans réagir passer une erreur découlant visiblement d’un manque de connaissances historiques.

Partout où l'œil regarde - La lande et la bruyère tout autour - Le chant des oiseaux ne nous rafraîchit pas - Les chênes sont nus et tordus. - Nous sommes les soldats des marais et nous entrons avec la pelle dans le marais. Foto: Lüko Willms / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Jean-Marc Claus) – Le 24 novembre 2022 restera une date importante dans l’histoire des luttes des femmes, notamment de celle visant à conquérir la liberté de disposer elles seules de leurs corps. Oui, l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution de la République Française, processus enclenché suite à un vote très largement favorable à l’Assemblée Nationale (337 voix pour, 32 voix contre et 18 abstentions), est une grande avancée. N’en déplaise notamment à une députée d’extrême-droite qui se contorsionne en disant que tout ne doit pas être inscrit dans la constitution et se fait porter pâle le jour du vote.

Mais l’Hymne des Femmes, chanté ce jour là à la sortie de Hémicycle dans la Salle des Quatre Colonnes, aussi émouvant soit-il en pareille circonstance, n’a pas pour mélodie celle du Chant des Partisans. N’en déplaise à la députée écologiste qui l’affirmait devant les caméras de télévision, mais c’est sur l’air de « Das Moorsoldatenlied » qu’elle a chanté un hymne dont l’émotion lui a peut-être fait un peu oublier certaines paroles.

Nous devons la première version du Chant des Partisans à la chanteuse Anna Iourievna Smirnova-Marly, née Betoulinskaïa en 1917 à Saint-Pétersbourg durant la Révolution d’Octobre et plus connue sous le nom d’Anna Marly. Créé à Londres en russe en 1941 et intitulé Marche des Partisans, cet hymne a une histoire singulière. Les paroles actuelles, du Chant des Partisans, devenu l’Hymne de la Résistance, ont été écrites par Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon. Germaine Sablon, alors compagne de Joseph Kessel, en fut la créatrice en 1943. Date à partir de laquelle sa mélodie est devenue l’indicatif des émission que la France Libre diffusait via la BBC.

Le Moorsoldatenlied, appelé aussi « Börgermoorlied » et souvent qualifié de Chant des Déportés, a été composé en 1933 en Allemagne. Nous en devons les paroles à Johann Esser et Wolfgang Langdhoff, ainsi que la mélodie à Rudi Goguel. Tous trois membres du Parti Communiste Allemand (KDP), fondé en 1918 par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, ils étaient comme de nombreux communistes détenus au Konzentrationslager (KZ) de Börgermoor en Basse-Saxe.

Dans les premiers camps, les détenus étaient autorisés à organiser des activités culturelles le dimanche. C’est dans ce contexte qu’en août 1933, Wolfgang Langdhoff a obtenu l’autorisation de monter un spectacle de cabaret dont faisait partie le Börgermoorlied. Un chant qui deviendra le Moorsoldatenlied et dont Wolfgang Langdhoff, libéré en 1934 et exilé à Zurich, rendra compte dans « Die Moorsoldaten. 13 Monate Konzentrationslager. Unpolitischer Tatsachenbericht », son témoignage qui connaîtra un grand succès.

Le Moorsoldatenlied se répandit alors dans les camps de concentration. En 1936, le compositeur Hanns Eisler, travaillant avec Bertolt Brecht, en fit une adaptation que le chanteur Ernst Busch, s’engageant dans les Brigades Internationales, emmena avec lui en Espagne. Il fut également chanté par des Malgré-Nous alsaciens et mosellans, retenus en captivité dans le camp soviétique de Tambov.

Loin d’en faire une attaque ad hominem contre la députée gaffeuse, et par conséquent d’en rester à l’écume des choses, essayons de comprendre ce qui peut être à l’origine d’une telle méprise. La simplification de l’enseignement de l’histoire et de la géographie en est un élément de compréhension. L’année qui a suivi la naissance de la députée écologiste, l’auteur de ces lignes avait appris en classe de 6ème, des fondamentaux qui étaient la Marseillaise, le Chant des Partisans, le Chant du Départ et le Chant des Africains.

Plus tard, l’auteur a également appris l’Internationale et le Moorsoldatenlied, mais là, c’était politiquement plus orienté. Cependant, les camarades de classe des années-collège, n’ont certainement pas totalement perdu la mémoire de la mélodie du Chant des Partisans, au point de la confondre avec celle du Moorsoldatenlied. Toujours dans le même esprit de simplification de l’enseignement de l’histoire, l’effacement de l’apport des communistes dans la lutte contre le nazisme et leur réduction au Rideau de Fer, procède aussi d’une certaine volonté politique révisionniste ne disant pas son nom.

En somme, l’Histoire, ça se respecte et la culture, ça se travaille, mais quand les gouvernements et les institutions ne donnent pas dès l’école à leurs concitoyens les outils pour le faire, ces derniers ne peuvent que compter sur des ressources telles que la curiosité intellectuelle et l’autodidactisme. Des qualités qui se raréfient à une vitesse vertigineuse dans la société du clash et des punchlines.

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