Grèce-Turquie : de gros risques en Thrace, sur la côte égéenne

Risques d’agitation démagogique dans la minorité turque

Election d'un mufti à Komotini (Grèce, Thrace occidentale) Foto:Ggia//Wikimédia Commons/CC-BY-SA/3.0Unp

(Marc Chaudeur) – En Grèce, une forte minorité turque vit aux bords de la Mer Egée, dans cette région qu’on appelle Thrace occidentale. Elle dispose de droits étendus depuis les Accords de Lausanne, en 1923. Y compris de celui de vivre selon la charia, et non selon le droit civil grec. Mais huit écoles turques – car la scolarité se passe en langue turque, avec enseignement du Coran par des muftis turcs – vont fermer, parce qu’il n’y a plus assez d’élèves. Il y a fort à parier que le dictateur Erdoğan saisisse l’occasion pour monter sur ses ergots, pour crier à l’injustice et réclamer réparation. Surtout dans le contexte actuel de possible embrasement de la région.

Dans ses fondements, la situation de la minorité turque repose sur le Traité de Lausanne de 1923, qui entérine la victoire de la Turquie : c’est l’époque où les Turcs, arrivés jusqu’à la Mer Egée, s’emparent de toute l’Asie mineure, incendient Smyrne et balancent les Grecs à la mer. Un peu plus tard, on procède à un échange de population : le Grecs d’Asie mineure vers la Grèce continentale, les Turcs de Grèce vers ce qui désormais tient lieu de Turquie. Mais pourtant, il reste une forte minorité grecque en Turquie, notamment à Istanbul (l’ancienne Byzance/Constantinople), et une forte minorité turque (100 000 personnes environ) dans l’Est de la Grèce continentale.

Parce que sans doute Erdogan a besoin de détourner le regard de sa population des problèmes économiques et autres de la Turquie, le « problème gréco-turc » réapparaît dans toute son absurde brutalité, comme on sait. Le temps est peut-être tout près où le gouvernement islamo-beauf AKP passera aux revendications territoriales. Erdogan a d’ailleurs choisi le 24 juillet, date des Accords de Lausanne, pour ré-islamiser Aghia Sofia, dont les murs ont vu arriver les soldats turcs « en sanglotant », comme le disent nombre de Grecs. Dans ce contexte, la côte égéenne et la Thrace occidentale est aujourd’hui une braise incandescente. La responsabilité en incombe aux autorités turques.

Si le gouvernement grec ferme huit écoles, c’est bel et bien parce qu’elles manquent d’élèves. En effet, comme dans toute la Grèce – et dans tous les Balkans – la démographie est victime du vieillissement de la population et de la crise économique, qui chasse les gens vers l’étranger ou vers les villes grandes ou moyennes. Mais pour le ministre des Affaires étrangères turc, ce n’est là qu’un prétexte…

Et pourtant, il s’avère bel et bien qu‘en un demi-siècle, les effectifs des écoles « turques »ont diminué des deux tiers : aujourd’hui, il ne reste plus qu’environ 5000 élèves, qui se répartissent dans les 115 écoles prévues à leur usage. En tout cas, aux récriminations AKP, le ministre grec des Affaires étrangères a répliqué qu’à Istanbul, il ne restait plus que trois écoles grecques sur les 55 qu’on pouvait compter il y a 70 ans… Et qu’ au cours du 20ème siècle, la Turquie a tout mis en œuvre pour « éliminer systématiquement toutes les minorités vivant sur son territoire ».

On se doute bien qu’un affaire telle que des minorités en Turquie et en Grèce est chose complexe… En Thrace occidentale, les différentes composantes de la minorité turque vivent selon la loi islamique, la (faut-il dire tristement célèbre ?) charia, qui régit les affaires familiales (mariages, filiation,…). Avec droit à la répudiation et à la polygamie, donc… Certes, les membres de la minorité ont le droit de régler un litige, par exemple, en faisant appel au droit civil grec – ce qui est arrivé de plus en plus souvent au fil des décennies ; et la polygamie semble pour l’instant ne plus exister. Pour l’instant. Il faut optimisme garder…

Paradoxe savoureux et dramatique qu’il ne faut pas négliger : comme on sait, le régime que Kemal Atatürk a mis en place dans les années 1920 était laïc : or, puisque la Thrace de l’Ouest était restée grecque, les dispositions de Lausanne faisaient que la région demeurait soumise au droit musulman !

Dans les écoles, on enseigne le Coran. Mais qui enseigne le Coran ? Cela surtout a été une source de polémiques et de conflits verbaux et juridiques. Jusqu’au début des années 1990, cette fonction était assurée par des instituts privés, qui de fait, dépendaient principalement de Consulat turc de la ville de Komotini, l’une des principales de la région. Religieux davantage qu’enseignants au sens moderne du mot, et sans doute œil d’Ankara directement fixé sur la population turco-thrace. Pour remédier à cela, le gouvernement grec a autorisé les enseignants grecs de religion musulmane à assurer cet enseignement : ainsi, il espère neutraliser plus ou moins les risques de manipulation religieuse des élèves, surtout en primaire.

Ce qui n’est pas allé sans difficulté. Avant 1995, le consulat turc de Komotini avait manifestement pressé le mufti de Komotini de refuser l’embauche de quelques imams que proposait le gouvernement d’Athènes. Pour contourner cet obstacle, la commission qui décide de ces nominations signe désormais un contrat de 9 mois avec le ministère de l’Education grec.

En tout cas il faudra, avant toute tentative politique de récupération, que soient rappelées les données du problème : la Thrace occidentale se vide de ses habitants,beaucoup de jeunes partent au loin, et la crise les a frappés de plein fouet tout comme les autres citoyens grecs. Et Athènes n’a mis en place aucun plan démoniaque d’exfiltration des « musulmans » hors de son territoire.

A consulter : http://www.courrierdesbalkans.fr/

 

 

 

 

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