Grønland : à quand l’indépendance ?

On a beaucoup parlé d’indépendance dimanche dernier lors des dernières élections législatives au Grønland. C’est le parti Siumut (En Avant), social-démocrate, qui l’a emporté une fois de plus avec 27% des voix. Et ensuite ?

La Niviarsak ou "petite fille", fleur de la toundra groenlandaise Foto: Kim Hansen / Wikimédia Commons / 3.0int

(MC) – En réalité, c‘est à une étrange mixture de démagogie locale et d’obsession médiatique européenne qu’on a assisté ces derniers jours au Grønland. Etait-il réellement question d’indépendance de l’île ? Oui, bien sûr, mais sur place, les avis sont beaucoup plus consistants et nuancés.

Surtout, les débats qui ont eu lieu ces dernières semaines à Ilisimatusarfik, l’Université de Nuuk (la capitale, 17600 habitants) portaient bien davantage sur les « vrais » problèmes que connaît cette île peuplée de 55 000 habitants, grande comme 4 fois la France. Sara Olsvig, la dirigeante charismatique de Inuit Ataqatigiit (Rassemblement du Peuple Inuit), le 2ème grand parti du pays, de gauche tout comme le parti vainqueur Siumut, partage ce point de vue et relativise beaucoup l’importance d’appeler à une indépendance proche.

Un fait politique intéressant : ces élections témoignent d’un grande avancée du jeune parti social-libéral (autrement dit, de centre-droit), fondé en 2002 et qui a pris pour nom Demokraatit (Les Démocrates), qui passe de 11% à 19%. Voilà qui peut inquiéter la concurrence…

A la population la plus septentrionale du monde se posent des problèmes plutôt graves : trouver et former compétences économiques et possibilités réelles d’exploiter ses ressources en évitant des investissements trop pharaoniques ; construire son économie sans la brader à des puissances extérieures (les Etats-Unis et surtout, la Chine qui lorgne avec une telle insistance sur la banquise qu’ elle finit par gêner la pudeur des ours blancs !) ; exploitations minières en crise (excepté la mine… de rubis exploitée au sud de Nuuk, à Aappaluttoq) ; crise écologique gravissime que causent le réchauffement climatique et la fonte irrémédiable de la banquise, 81% du territoire ; alcoolisme, violence, dépression (le Grønland est le champion du monde du suicide). Tout un programme !

Mais le programme des sept partis grønlandais en présence, lui, et notamment celui de deux ou trois d’entre eux, préfère appeler d’abord à l’affect, à ce sentiment identitaire qui est devenu plus aigu dans les années 1970 – comme partout en Europe. Ainsi, Vittus Qujaukitsoq, le leader du parti Nunatta Qitornai, rêve d’une indépendance pour 2021 (de notre ère) : en effet, cette année là sera le 200° anniversaire de l’arrivée des premiers évangélisateurs, des Frères moraves, qui ont imposé aux Inuit la coupe au bol et mis leur île en coupe réglée.

Le Grønland dispose d’une très large autonomie depuis 1979. Cette autonomie concerne, surtout depuis 2009 (loi du 19 mai au Folketing, le parlement danois, sur l’autonomie renforcée), tous les domaines de décision politiques et économiques. A l’Inatsisartut, le parlement de l’île, n’échappent plus que la défense, la sécurité et la monnaie ; ces dernières relèvent encore du Danemark, la puissance tutélaire. C‘est ainsi qu’en 1985, alors que le Danemark rejoint la CEE, le Grønland refuse de le faire : le motif principal de ce refus est que l’appartenance à la CEE donnerait libre accès à sa zone de pêche, y compris, tenez vous bien, aux chaluts allemands et… et portugais ! Rendez-vous compte, Ma’âme Michaq !

Sans doute ce rejet était-il une erreur : on peut penser que l’Europe aurait permis à l’île de monter moins difficilement une économie viable, et de favoriser une prise de distance plus aisée face aux Etats-Unis et face à ce qu’il faut bien appeler sa puissance coloniale. Puissance au demeurant bien soft en comparaison avec les pratiques récentes d’autres pays européens, n’est-ce pas…

Alors, l’indépendance de Kalaallit Nunaat : pour 2021, ou bien pour 2075 ? Une objection de taille : assurément, le Danemark cesserait alors de verser les 3,9 milliards de couronnes (environ 500 0000 euros) qu’il attribue chaque année à l’île. De plus, il convient sans doute de retourner la lunette d’approche et de la regarder par le bon bout : les sept partis, plus imaginatifs mais moins laborieux que les sept nains de Blanche Neige, doivent impérativement s’attaquer aux grandes questions.

Et s’interroger sur le sens de la vie pour les 55 000 Grønlandais qui ont perdu depuis des décennies leur mode de vie traditionnel sans pouvoir trouver une réelle satisfaction dans les critères de la hyggelighed scandinave et de la rentabilité.

Sources : Sermitsiaq et Atuagagdliutut/Grønlandsposten, journaux publiés à Nuuk ; Politiken, le grand journal danois.

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