Guérir la politique

« Vaste programme », aurait dit le dernier Président du Conseil des Ministres de la IVe République et premier Président de la Ve !

Un petit livre dont seuls les caractères de la couv’ sont rouges, mais au contenu du reste particulièrement intéressant. Foto: JM Claus / CC-BY 2.0

(Jean-Marc Claus) – Souvent décrié par les anti-Europe de gauche comme de droite, les souverainistes comme les nationalistes, contestable quant à certains de ses points de vue, Robert Schuman était néanmoins un homme politique doté d’une hauteur de vue qui aujourd’hui, fait cruellement défaut à nombre de nos décideurs, dont certains chefs d’état s’estimant d’essence divine.

Considéré comme l’un des pères fondateurs de l’actuelle Union Européenne (UE), au temps où elle se nommait Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), Robert Schuman, né en 1886, a connu les désastres que furent notamment pour les pays européens, les deux Guerres Mondiales, mais aussi les conséquences de l’annexion par l’Allemagne de l’Alsace-Moselle durant la période 1871-1918. Orphelin de père à l’âge de 14 ans et perdant sa mère l’année de ses 24 ans, il songea un temps à la prêtrise, mais dissuadé par un ami, poursuivit ses études supérieures de droit, tout en restant ancré dans le catholicisme.

C’est peut-être ce dernier élément qui irrite tant les laïcards, à plus forte raison depuis le procès canonique engagé en vue de sa béatification, et sa déclaration vénérable par le pape François en juin 2021. Entré dans la vie politique par son élection comme député de la Moselle, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, il s’est retiré de la vie publique en 1962, année précédant celle de son décès. La lecture de l’opuscule « Guérir la politique » montre à quel point il avait une haute idée à la fois du projet européen et de la mission des politiques. Ainsi, lorsqu’il écrit « De même que nous devons servir notre pays, nous devons aussi servir l’humanité. », il n’y a pas dans sa pensée de place pour un quelconque esprit cocardier, et encore moins d’espace pour laisser s’épanouir le nombrilisme propre à trop de nos politiques contemporains.

Reconnaissant qu’il aurait été préférable et plus logique de démarrer la construction européenne par une constitution et donc une approche théorique, il assume avoir opté pour une démarche pragmatique, dont on sait malheureusement aujourd’hui les conséquences négatives, avec notamment l’extension trop rapide de l’Union Européenne. Mais à sa décharge, l’Europe des Six de 1957 a connu à partir de 1973, sept élargissements. Ce qui pour un homme né au XIXe siècle, témoin de deux conflagrations mondiales et de la séparation de l’Europe par le Rideau de Fer, n’était absolument pas imaginable.

Il avait à cœur de réconcilier les peuples belligérants et d’empêcher de nouveaux conflits fratricides, en assurant par une entité supranationale, le contrôle des productions clefs du charbon et de l’acier. Mais il ne perdait pas pour autant de vue les inévitables désaccords : « Les difficultés qui existent, ne seront surmontées que si l’on échange en toute franchise sur les problèmes et si l’on agit de concert. Écoutez attentivement ce que dit votre adversaire sincère. Dans ce qu’il dit, il y a une part de vérité. Et cette vérité partielle enrichira votre manière de voir. ». Reste à identifier le degré de sincérité du dit adversaire, et à travailler notre propre capacité à extraire de son argumentaire, ce qui peut enrichir notre vision.

Dans son esprit, il était également important de désintoxiquer les manuels d’histoire, afin qu’ils ne soient pas instrumentalisés afin de cultiver un nationalisme mortifère : «  La désintoxication des manuels scolaires d’histoire est la tâche la plus urgente. Elle n’est pas contraire au véritable amour de la patrie qu’il faut enseigner à la jeunesse. Sous prétexte de cultiver le sentiment national et d’exalter un passé glorieux, on méconnaît souvent le devoir d’impartialité et de vérité. ». Devoir d’impartialité et de vérité qui, en toute humanité, fut le fil conducteur de l’existence de Jean-Baptiste Nicolas Robert Schuman.

A contrario d’un certain président français très clivant, il concevait un monde nouveau au sein duquel, il n’y avait pas des gens qui réussissent et d’autres qui ne sont rien : « Notre mission : Créer un monde nouveau qui soit protégé contre les conflits sanglants, qui soit pour les peuples une garantie de sécurité et de liberté, qui soit promesse de bien-être et de postérité pour les nations membres. […] La paix, c’est plus que l’absence de guerre, c’est même plus que la réconciliation et la bonne entente ; la paix, c’est la coopération et la confiance entre les peuples. L’Europe, c’est le chemin que nous devons suivre. ».

Guérir la politique, un tout petit livre de format de 12 x 9 cm, donc moins qu’un A6, comptant à peine 32 pages, mais balayant 13 thématiques avec de nombreuses citations, qu’il serait dommage de faire passer aux oubliettes de l’Histoire et au pilon de la littérature politique.

Robert Schuman – Guérir la politique
Pensées choisies par Pierre Lefèvre
Beauchesne Éditeur – 2011 – ISBN 978-2-7010-1600-9 – 32 pages – 4€

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