Guerre et paix en Europe

Quand les missiles continuent à être à l’est et les pacifistes à l’Ouest

L'Europe et la Russie - ni en guerre, ni en paix. Foto: Kremlin.ru / Wikimedia Commons / CC-BY 3.0

(Par Alain Howiller) – L’anniversaire n’a pas été fêté et pourtant l’actualité aurait du rafraîchir la mémoire de l’opinion en lui rappelant ce discours d’une trop rare lucidité : c’était il y a un peu plus de 60 ans, le 17 Janvier 1995. François Mitterrand, bien que malade (il disparaîtra moins d’une année plus tard), s’adresse, à Strasbourg, aux députés du Parlement Européen : «Mesdames et Messieurs : le nationalisme, c’est la guerre: La guerre, ce n’est pas seulement le passé, cela peut aussi être notre avenir et c’est vous, Mesdames et Messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité, de cet avenir !…»

Debout, les parlementaires saluèrent d’une immense ovation cette péroraison : beaucoup d’entre eux se souvenaient d’un autre discours, celui que le Président français tint à Bonn, le 20 Janvier 1983, devant le Bundestag. C’est à cette occasion qu’il lança le fameux : «Les missiles sont à l’Est, les pacifistes à l’Ouest.» Une affirmation à laquelle l’interview de Vladimir Poutine donnera une brûlante actualité lorsque le président russe affirmera que l’invasion de la Crimée avait été préparée de longue date, que dès le début des opérations il avait installé des missiles sur le territoire et que… l’option nucléaire avait été retenue en cas de besoin : «Nous étions prêts à l’utiliser», a-t-il affirmé froidement !

Les dictateurs font ce qu’ils disent !… – Les dictateurs ne disent pas toujours ce qu’ils font, mais ils font toujours ce qu’ils disent ! Du reste le «propos poutinien» a trouvé une nouvelle et récente illustration, lorsque Michaël Wanin, ambassadeur de la Russie à Copenhague, publia un article dans lequel il mettait le Danemark en garde contre toute participation au bouclier anti-missiles mis en place par les Etats-Unis pour officiellement protéger l’Europe contre d’éventuels missiles venus d’Iran. Le bouclier agit à partir de navires, mais aussi de sites terrestres implantés en Pologne, Roumanie et Turquie. Le Danemark entendait mettre des navires-radars à la disposition du bouclier : «Cette participation exposera les navires danois au risque de devenir des cibles pour nos missiles nucléaires», a menacé l’Ambassadeur d’une Russie qui a toujours considéré que le bouclier était, en fait, dirigé contre elle !

Depuis 2000, la Russie ne cesse d’améliorer son armée et de l’équiper en matériel moderne, sans soulever, jusqu’à très récemment, d’inquiétudes particulières en Occident dont les responsables ont, notamment, accepté la participation (en 1994) de la Russie à la structure de coopération militaire créée par l’OTAN, son entrée (en 1996 : 4 mois après l’adhésion de… l’Ukraine !) au Conseil de l’Europe, son adhésion (en 1999) à la Charte de Sécurité Européenne ce qui est devenu, en 1995, l’Organisation pour la Sécurité en Europe (OSCE)… Après la Chute du Mur et l’explosion de l’URSS, les occidentaux -les européens en particulier- ont baissé les bras sur le plan de leur défense : ils étaient persuadés que la Russie était, en quelque sorte, sortie de l’Histoire et qu’elle était, comme l’Empire romain jadis, sur la voie de la décadence !

Quand la Russie se sent menacée ! – On ira jusqu’à proposer à la Russie d’adhérer au système anti-missiles dont on diminuera les ambitions pour ne pas… froisser Moscou : mais la Russie, qui n’a cessé de condamner le bouclier américain, aura la délicatesse de ne pas adhérer au système ! Et alors que Poutine ne cessera d’affirmer qu’avec l’adhésion, à l’Union Européenne voire à l’OTAN, de certains pays appartenant jadis à l’URSS, la Russie est encerclée et l’OTAN constitue une menace. L’Allemagne comme la France (avec la commande de deux navires d’avant-garde, les «Mistral») livrent des armes à Moscou, malgré l’invasion de la Géorgie. On ne prêtera guère attention au projet de Vladimir Poutine de constituer une «Union Euroasie» dans laquelle figurera la… Crimée (et accessoirement l’Ukraine !).

Peu de pays respecteront la demande de l’OTAN que les membres consacrent 2% de leur «Produit Intérieur Brut(PIB)» à la défense : la France s’en approchera avec 1,9 à 2%, mais l’Allemagne, bousculée par un Ministre des Finances qui ne cesse de faire différer les programmes d’investissements, ne dépassera guère 1,4%. Du coup, une armée archaïque et mal équipée fait l’objet des sarcasmes des médias tout au long de l’année dernière. Pour compléter un tableau -à peine à charge- relevons que Sigmar Gabriel, le Vice-Chancelier SPD, s’efforce de limiter les exportations d’armes tandis qu’une pétition avec 100.000 signatures demande que la constitution allemande interdise les exportations d’armes (voir eurojournalist.eu du 25.03.2015) et que la «Süddeutsche Zeitung» affirme, le 9 Octobre dernier : «L’Allemagne n’a pas besoin d’une industrie d’armement» («Deutschland braucht keine Rüstungsindustrie»). D’ailleurs, affirme le journal, ce secteur n’emploie que 200.000 salariés et représente 1% du PIB !

A l’ombre des «Prix Nobel de la paix !» – Les historiens retiendront sans doute du climat de notre époque que Barak Obama comme l’Union Européenne seront récompensés, chacun, par un «Prix Nobel de la Paix», distinction -et c’est sans doute heureux- qui n’incite pas aux postures bellicistes ! On n’en peut pas moins s’interroger sur l’effet que certaines déclarations d’Obama ont pu avoir sur Poutine. Le président américain a d’abord prévenu que, désormais, les priorités le porteront vers l’Asie : que l’Europe prenne en mains sa propre défense, sans compter trop sur les USA : du reste, il fait évacuer les derniers chars US stationnés en Allemagne ! Ce «dégagement» annoncé a-t-il été intégré par Poutine ? En refusant, en dernière minute, d’intervenir en Syrie, a-t-il envoyé, là encore, un «message de faiblesse» au président russe ?

Finalement, l’agression russe en Crimée et en Ukraine, l’arrogance, le mépris de Vladimir Poutine (sous prétexte qu’il était à une cérémonie protocolaire, il fera attendre plusieurs heures la chancelière allemande !) dessillera les yeux des occidentaux, des européens notamment. Le symbole porteur en sera cette interview de Jean Claude Juncker où il dit : «Nous ne sommes pas vraiment pris au sérieux… (il nous faut)… une armée commune à tous les Européens qui ferait comprendre à la Russie que nous sommes sérieux quand il s ‘agit de défendre les valeurs de l’Union Européenne!… Une telle armée nous aiderait à mettre au point une politique étrangère et de sécurité commune.» Cette perspective d’armée européenne dont l’ancien Ministre allemand de la défense Thomas de Maizière ne voulait pas entendre parler, trouve une oreille attentive (mais à quel horizon ?) chez son successeur Ursula von der Leyen : «Notre avenir en tant qu’Européens», réagit-elle, «passera, un jour, par une armée européenne. Ce ne sera pas à court terme… Mes enfants peut-être pas, mais mes petits enfants connaîtront les Etats-Unis d’Europe avec leur propre armée !»

L’Ukraine et le réveil de l’Europe ! – En attendant, elle a décidé de moderniser l’armée, de créer un nouveau bataillon de blindés en Basse-Saxe, d’arrêter le ferraillage et la mise à la retraite de chars, d’augmenter de 8 milliards le budget de la défense (33 milliards, montant équivalent à peu près au budget français) et d’approcher puis de dépasser, durant les prochaines années, les 2% de PIB préconisés par les spécialistes de l’OTAN. Le budget français sera, malgré les problèmes de déficit, «sanctuarisé», préservé au niveau actuel : le nombre de militaires qui devait diminuer de 24.000 persones, ne régressera que de 18.500, les chars «Leclerc» seront modernisés à hauteur de 330 millions d’euros, la force de dissuasion nucléaire sera modernisée pour en garantir la crédibilité.

«Le contexte international n’autorise aucune faiblesse, le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé», a souligné François Hollande qui a eu l’occasion d’y insister lors du Conseil des Ministres franco-allemand qui a eu lieu ce Mardi 31 Mars, à Berlin. Jean-Yves Le Drian, le Ministre français de la défense, a déjà eu l’occasion de préciser : «L’Europe fait face à une multitude de défis et de menaces… (face à ces défis)…la France continuera à y prendre sa part, mais seulement une part. Nous attendons que nos partenaires soient également au rendez-vous….» L’Allemagne a, semble-t-il, répondu «présent» !

A Prague : «Amis, go home !» – Revenant sur ses déclarations, Barak Obama a décidé de transférer 800 chars en Europe, d’augmenter la visibilité des troupes US le long de la frontière à l’Est de l’Europe, pour rassurer notamment les Pays Baltes, un convoi de véhicules militaires américains (plus de 500 soldats et plus d’une vingtaine de véhicules blindés) après des manoeuvres a quitté l’Estonie pour regagner, en ayant longé à 300 mètres la frontière russe (!) l’Allemagne en traversant l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque pour finir à Vilseck, en Bavière. Face aux Russes, la Lituanie a rétabli le service militaire obligatoire. En cette période qui n’est ni la guerre, ni la paix, les budgets militaires partent à la hausse et ont fait jouer les muscles.

L’Union Européenne a décidé de freiner son extension vers l’Est et les Pays Baltes redoutent que Moscou ne manipule leurs minorités russophones. Hier, personne n’a voulu mourir pour Danzig, aujourd’hui personne ne veut mourir pour Kiev, mais la situation présente des risques parfois inattendus : le convoi militaire US n’a pas pu traverser… Prague en raison de la manifestation réunie aux cris de «Amis, go home !»

Partout dans le monde, les dépenses militaires augmentent (en Chine 130 milliards de dollars ont été dépensés en 2014 soit +12,2% par rapport à 2013 !) et les ventes d’armes, prolifèrent : l’Allemagne et la France sont respectivement quatrième et cinquième exportateur d’armes derrières la Chine (3ème), la Russie (seconde) et les Etats-Unis (premiers). Les équilibres de la peur peuvent être fragiles, surtout si on se réfère à la vieille locution latine : «si vis pacem, para bellum !» (si tu veux la paix, prépare la guerre !)

 

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