H1N1-1918 vs Covid-2019 : morbide parallélisme

Comme la grippe dite espagnole, la Covid-19 nous prive de têtes.

Le Soldat de Naples, métaphore espagnole de la grippe de 1918. Foto: Lorenzo Aguirre / Wikimedia Commons / PD

(Jean-Marc Claus) – Edgar Morin l’avait écrit dans la partie autobiographique de son récent ouvrage intitulé « Changeons de voie – les leçons du coronavirus » : il est une victime collatérale de la grippe improprement nommée espagnole qui, venant d’Asie et passant par l’Amérique du Nord, déferla sur l’Europe en 1918. L’Espagne, alors non engagée dans la Première Guerre Mondiale, était le seul pays à communiquer des données à propos de cette pandémie, d’où le nom qui lui fut attribué. Cette pathologie grippale due à une souche H1N1 qui toucha du quart à la moitié de la population mondiale et lui coûta de 50 à 100 millions de vies humaines, est aujourd’hui continuellement appelée à la barre du tribunal des polémistes stériles, afin de témoigner en faveur ou défaveur de la gravité de l’actuelle pandémie de Covid-19. A ceci près que la médecine ayant grandement progressé et le monde ayant radicalement changé, les comparaisons restent hasardeuses.

Par contre, comme la pandémie de Covid-19, la grippe dite espagnole a, en son temps, aussi cruellement touché le monde de la culture. La Catalogne, qui enregistra à elle seule 10% des décès du pays, perdit de nombreux intellectuels. Infiniment moins connus que Gustav Klimt (1862-1918), Edmond Rostand (1868-1918), Max Weber (1864-1920) et Guillaume Apollinaire (1880-1918), tous fauchés par la pandémie grippale, il y eut en Catalogne notamment la romancière et poétesse féministe Dolors Monserdà i Vidal de Macià (1845-1919), ainsi que l’écrivain et journaliste Miquel dels Sants Oliver i Tolrà (1864-1920) qui fut directeur du quotidien « La Vanguardia ». Ce ne sont là que deux personnes talentueuses sur la longue liste de celles décimées par la maladie. S’y ajoutent parmi tant d’autres, l’architecte Josep Amargós i Samaranch (1849-1918) ayant pris une part importante aux travaux d’aménagement de l’Exposition Universelle de Barcelone de 1888, la pianiste et compositrice féministe Maria Lluïsa Ponsa i Bassas (1875-1919) qui créa l’Institut Musical de Barcelone.

Figure même au nombre des victimes de la grippe dite espagnole, un poète et banquier nommé Agustí Valls i Vicens (1860-1920). Totalement inconnu de l’autre côté des Pyrénées, il n’est autre que le frère de l’arrière-grand-père d’un certain Manuel Valls qui, après avoir été gentiment lâché par Emmanuel Macron en 2017, a essayé sans succès de se refaire une santé politique à Barcelone deux ans plus tard. La liste est très longue et elle ne compte pas que des artistes, car cette pandémie emporta aussi des scientifiques, des entrepreneurs, des politiques comme le rapportait « La Vangardia » fin Octobre. Ce qui nous renvoie à la non-encore définitive énumération des intellectuels victimes de la Covid-19, dont pour ne citer qu’eux, l’immense écrivain Luis Sepúlveda (1949-2020), la psychanalyste Marguerite Derrida (1832-2020), veuve de Jacques Derrida (1930-2004), le philosophe communiste Lucien Sève (1926-2020), le chanteur et saxophoniste Manu Dibango (1933-2020), l’opposant au franquisme Chato Galante (1948-2020), le journaliste vaticaniste Henri Tincq (1945-2020), l’historien des religions Jacques Le Brun (1931-2020), le neurochirurgien Jesùs Vaquero (1950-2020), la militante socialiste África Lorente Castillo (1954-2020).

L’une comme l’autre, les deux pandémies privent le monde de nombreux talents, ainsi que la société d’une matière grise aujourd’hui en voie de raréfaction. Si ces catastrophes sont d’abord épouvantablement sanitaires, elles ont non seulement un volet terriblement économique, mais aussi un caractère monstrueusement débilitant pour l’espèce humaine.

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