Hausse des frais d’inscription aux Arts et Métiers ou la négation d’une identité

Les étudiants de l’École Nationale Supérieure des Arts et Métiers (ENSAM), école publique d'ingénieurs, sont en colère. En cause, l'annonce, jeudi 25 mars, d'une augmentation de leurs frais d'inscription.

Les étudiants du campus de Cluny déposent leur "biaude" (blouse grise remise dès l'arrivée pour gommer les différences sociales entre les étudiants). Ils protestent ainsi contre la perte des valeurs de l'école que représenterait cette hausse des droits d'inscription. Foto: UE ENSAM

(Marine Dumény) – De 601€ à 2500-3500€. Soit une multiplication par 5 de leurs frais d’inscription. Voilà ce contre quoi s’élèvent les étudiants de cette école d’ingénieurs, âgée de près de 250 ans. Si l’ancienneté de cette institution est à relever, c’est que son histoire rentre en ligne de compte dans la mobilisation actuelle.

Jérémi Guérin, étudiant en troisième année et responsable communication de l’Union des Elèves (UE) des Arts et Métiers raconte : « L’école est fondée en 1780 par le duc de la Rochefoucault. Elle avait pour mission de former de futurs jeunes talents de l’industrie en répondant aux enjeux sociétaux de l’époque. Sa particularité était sa population. Il s’agissait d’orphelins et de pupilles de la nation. Un véritable ascenseur social ! ».

Arts et Métiers, la diversité en ADN – Encore aujourd’hui, l’accessibilité des Arts et Métiers fait partie de son ADN. Les « Gadz’Arts » (ndlr : « gars – et filles- des arts ») sont attachés à cette « diversité des profils, dans les origines et classes sociales », explique Jérémi Guérin. D’ailleurs, leur célèbre traditionnelle blouse grise est le rappel de cet attachement au monde ouvrier et de l’effacement au sein de l’école, des disparités de provenances des étudiants.

De nos jours, près de 25% des élèves y sont boursiers, et les programmes tels que OPTIM ou les « Cordées de la réussite » continuent de draguer une vaste diversité sociale. L’affectation sur les différents campus, elle-même, tend à favoriser l’aspect social de l’école puisqu’elle se fait non seulement sur le classement au concours, mais également à partir du facteur géographique, réduisant ainsi les coûts primaires pour les élèves. Les-dits élèves voient la diversification dans leurs cursus. Issus d’universités, de classes préparatoires, de BTS,… « Nous apprenons les uns des autres grâce à cette multiplicité de profils », appuie Jérémi Guérin.

Une augmentation décriée – « Nous faisons face à une remise en question de l’accessibilité. L’école nous a présenté cette augmentation comme allant de pair avec le projet d’evolutive learning factories (ndlr: une numérisation des Travaux Pratiques et un accès aux équipements d’autres campus). Ce projet, nous le suivons avec attention et bienveillance depuis ses débuts. Bien qu’intéressant, il est encore loin d’être abouti. Ses bases sont définies, mais pas sa structure. Dans ces conditions, il ne peut justifier une telle augmentation », expose le responsable communication de l’Union des Elèves (UE).

D’après les dernières annonces sorties, l’augmentation impressionnante des frais d’inscription, « ne financerait en plus qu’une faible partie du projet ». Pour la SOCE (Société des anciens élèves) et les élèves, « l’accès à l’enseignement supérieur ne devrait pas avoir à dépendre d’une origine sociale ». Les anciens élèves multiplient les témoignages sur les réseaux sociaux, allant dans le même sens : ils ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui sans l’opportunité offerte par cette école. Si certains bénéficient de bourses, et seraient exonérés de ce montant exorbitant, il existe des situations (isolement familial, aide des parents impossible etc.) non prises en compte dans ces calculs et qui excluraient d’office des étudiants précaires ou à la situation financière instable.

Foto: UE ENSAM

Foto: UE ENSAM

Le BNEI (Bureau National des Elèves Ingénieurs) soutient également l’Union des Elèves des Arts et Métiers dans un communiqué à venir. Maëlle Darnis, qui en est la vice-présidente représentation, indique que l’association présente « la même position qu’en 2018 lors des augmentations à Centrale (ndlr: grande école d’ingénieur). Cette augmentation, c’est la confirmation du désengagement de l’Etat. Et réduire l’ouverture sociale. D’autant que 94% des élèves ingénieurs sont engagés dans les 6 mois après la fin de leur cursus et remboursent, via ses impôts, son coût d’étude très rapidement (leur salaire moyen étant de 35 000€ en sortie d’école). Il s’agit donc pour l’Etat d’un investissement, et ces augmentations reviennent à finalement payer deux fois des frais de scolarité. Il n’y a aucun intérêt pour les écoles à agir de la sorte, juste pour ‘s’aligner’ sur leurs consœurs et concurrentes, puisqu’en termes de compétitivité, cela ne leur apporte rien, si ce n’est de réserver leur enseignement à ceux en ayant les moyens ».

Un contexte pour le moins mal choisi – L’annonce de cette augmentation tombe dans une période de détresse de la communauté étudiante. Entre conditions d’études et aspects financiers, les élèves des Arts et Métiers ne sont « pas exempts des difficultés actuelles », rappelle Jérémi Guérin, lui-même boursier. L’UE avait d’ailleurs ouvert, en partenariat avec la SOCE, l’école et la FSEF (Fondation Santé des Étudiants de France), un dispositif téléphonique d’écoute « EVA » (écoute – veille – accompagnement) pour pallier la détresse psychologique et sociale de leurs camarades. Les lignes en sont depuis jeudi quasi-saturées.

En outre, le 10 mars dernier, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, avait fait savoir qu’elle gèlerait une nouvelle fois les frais d’inscription. « Aujourd’hui, la décision est entre les mains de la ministre. Nous entendons qu’elle est consciente des difficultés actuelles, et espérons qu’elle sera sensible à notre situation », déclare l’élève ingénieur.

Et de poursuivre : « si on se place dans un schéma selon lequel les écoles d’ingénieurs doivent augmenter leurs frais, alors les gens issus de classes sociales basses n’y auront plus accès. Ils devront arrêter leurs études, alors qu’ils auraient eu les capacités d’entrer chez nous, et de faire rayonner l’école. On ne devrait pas verrouiller un système d’éducation sur des critères financiers ».

Par son histoire, ses dispositifs et ses engagements, l’École Nationale Supérieure des Arts et Métiers est un modèle d’innovation et d’équité sociale depuis sa construction. Augmenter ses frais d’inscription, s’apparente à une volonté d’élitisme et renie totalement l’identité même de cette institution.

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