Helmut Schmidt 1918 – 2015

«Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain» (Helmut Schmidt)

Toute une époque de l'histoire récente de l'Allemagne fédérale s'éteint avec Helmut Schmidt. Foto: Bundesarchiv B-145 Bild-F048646-0033 / Wegmann, Ludwig / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0 / montage Eurojournalist(e)

(Par Christophe Panzer) – L’Allemagne et Valéry Giscard d’Estaing sont en deuil. Hier s’en est allé dans la Cite-État hanséatique de Hambourg, un de ses plus célèbres enfants, l’ancien chancelier fédéral Helmut Schmidt. Il arriva au pouvoir après la chute de Willy Brandt – espionné au profit de la RDA par son plus proche collaborateur Günther Guillaume – en 1974, pour tomber à son tour en 1982 lorsque le FDP se retira de la coalition gouvernementale – en faisant démissionner ses quatre ministres qui allaient le redevenir aussitôt –, et fit cause commune avec la CDU/CSU pour porter le provincial Helmut Kohl au pouvoir.

Hormis la continuité du prénom, rien ne rassemblait les deux hommes. Schmidt méprisait tellement Kohl qu’il refusait de débattre avec lui à la télévision. Ce sera pourtant ce dernier qui aura une longévité gouvernementale supérieure, devenant par un caprice de l’Histoire le chancelier de l’Unité, grâce à la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989.

Les hommages s’empilent à la pelle, il n’empêche que la plupart des commentateurs s’accordent à trouver plutôt ratée cette période, il est vrai marquée par le premier choc pétrolier et la lutte avec la RAF/Rote Armee Fraktion1. Au crédit de Schmidt l’européen et de son amitié indéfectible avec le président français Giscard d’Estaing, la naissance du SME/Système monétaire européen, le fameux «serpent», qui fut une bande de régulation de la fluctuation des monnaies européennes. Celles-ci ne pouvaient plus être sauvagement dévaluées par l’un ou l’autre, mais il fallait dorénavant une rencontre des grands argentiers européens pour fixer les taux de dévaluation, inévitable pour la France et l’Italie, et ceux de la réévaluation du Deutsch Mark et du florin néerlandais. C’était le temps de la Communauté économique européenne à neuf membres, les six États fondateurs (France, RFA, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas) auxquels s’étaient ajoutés le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni le 1er janvier 1973. Helmut Schmidt vit encore arriver en tant que chancelier fédéral le dixième membre en 1981, la Grèce, qu’il fallait conforter dans la démocratie après la chute de la dictature des Colonels. François Mitterrand était alors devenu président de la République, mais bien que membres de l’Internationale socialiste tous deux, ils ne s’appréciaient guère.

Helmut Schmidt fit toute la Seconde Guerre mondiale dans la Wehrmacht. Brièvement envoyé sur le front de l’Est, ce que le Premier ministre israélien Menahem Begin lui reprocha jusqu’à le taxer de complice de la Shoah au même titre que tout le peuple allemand, il servit à partir de décembre 1944, au grade d’«Oberleutnant» dans l’artillerie sur le front de l’Ouest. Il est fait prisonnier par les Britanniques en avril 1945 dans la lande de Lunebourg et le reste jusqu’en août. Durant la guerre, il a été décoré de la Croix de fer.

De manière surprenante, il a fait cependant l’aveu de sa propre judéité à Giscard, qui le révéla dans son livre de mémoires, Le Pouvoir et la Vie, son père étant le fils adultérin d’un banquier juif. Officiellement d’obédience luthérienne, on ne peut le considérer comme ami d’Israël ; il n’y fit jamais de visite officielle et considérait de toute façon que la Shoah obérait toute possibilité de la République fédérale d’intervenir d’une voix forte sur la scène internationale, pour la raison qu’il s’agissait d’une tache morale indélébile dans l’histoire des Allemands.

Keynésien, il fut cependant le premier à prôner l’orthodoxie budgétaire, ce qu’on appela le «théorème de Schmidt» qui se résumait en maxime bien connue «les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain».

En tant que chancelier, la tâche la plus ardue peut-être de son mandat fut la lutte contre l’opposition extra-parlementaire, née des décombres de 1968 et du silence des parents envers leurs enfants sur leur rôle pendant la guerre. Andreas Baader, Ulrike Meinhof, Gudrun Ensslin et Jan-Karl Raspe furent les pires ennemis de la République fédérale, entraînés au maniement des armes dans les camps de l’Organisation de la libération de la Palestine, en Jordanie.

Ils théorisaient la lutte armée comme un vecteur d’un renforcement de l’État au détriment de la démocratie, conduisant celui-ci à un nouveau fascisme orwellien par la surveillance généralisée, les interdictions professionnelles, une quasi résurrection du nazisme à laquelle les terroristes de la RAF espéraient que répondrait le soulèvement général de la population allemande pour mettre à bas les structures de l’État honni.

La RAF pratiquait l’attentat, les enlèvements, les meurtres envers des personnages symboliques, exerçant d’importantes responsabilités au sein de la société comme le procureur général Siegfried Buback, le banquier Jürgen Ponto et finalement le patron des patrons allemands, Hans-Martin Schleyer, qui fut membre du parti nazi, et dont le visage apparaissait pratiquement tous les soirs à la télévision avec un carton indiquant le nombre de jours déjà passés en captivité, pour rassurer les autorités quant à sa survie. Les terroristes demandaient la libération des quatre chefs de la RAF, enfermés dans la prison spécialement construite de Stuttgart-Stammheim où se déroulait leur procès et où deux d’entre eux avaient déjà trouvé la mort, Holger Meins par grève de la faim, et Ulrike Meinhof par pendaison dans sa cellule. Les adeptes de la théorie du complot de l’époque prétendirent qu’«on» la suicida, alors que cette brillante intellectuelle avait été complètement détruite par l’isolement sensoriel, la torture acoustique, la lente dégradation des nerfs et la perte d’espoir.

C’est alors qu’un commando palestinien du nom de «Martyr Halimeh» détourna un Bœing de la Lufthansa qui assurait la liaison Palma de Majorque / Francfort avec 91 otages à bord et le fit atterrir à l’aéroport de Mogadiscio.

À titre de témoignage de l’époque, voilà le communiqué de la Rote Armee Fraktion1 envoyé à la presse :

«Nous avons laissé suffisamment de temps à Helmut Schmidt pour faire son choix entre la stratégie américaine d’anéantissement des mouvements de libération en Europe de l’Ouest / le Tiers-Monde et le désir du gouvernement fédéral de ne pas sacrifier le plus important magnat actuel de l’industrie-même pour cette stratégie impérialiste.

L’ultimatum de l’opération Kofr Kaddum du commando «Martyr Halimeh» et l’ultimatum du commando «Siegfried Hausner» de la RAF sont identiques.

L’ultimatum expire le 16 octobre 1977 à 8 h GMT.

Si à ce moment, les prisonniers demandés n’ont pas atteint leur destination, Hans-Martin Schleyer sera exécuté.

Après quarante jours d’emprisonnement de Schleyer, il n’y aura pas de prolongation de l’ultimatum ni d’autre prise de contact.

Tout atermoiement signifie la mort de Schleyer. (…)

Liberté par la lutte armée anti-impérialiste.»

Commando «Siegfried Hausner», RAF.

On connaît la fin de l’histoire. Le GSG 9, l’unité d’élite des services secrets allemands, s’envola pour Mogadiscio, première intervention officielle de l’armée allemande à l’extérieur du pays depuis la fin de la guerre, prit d’assaut l’avion et tua les terroristes. On retrouva le cadavre de Hans-Martin Schleyer dans le coffre d’une Mercedes à Mulhouse, et les terroristes de Stammheim se donnèrent la mort grâce à des armes sans doute introduites par leurs avocats, mais là encore les complotistes prétendent qu’ils ont été suicidés. On ne saura jamais le fin mot de l’histoire.

Voilà encore un extrait du communiqué de l’Opération Kofr Kaddum qui revient sur le meurtre des trois personnalités citées:

«Ponto, Schleyer et Buback sont de simples exemples de personnes qui ont bien servi l’ancien nazisme et qui exécutent pratiquement maintenant les buts des nouveaux nazis à Bonn et des sionistes à Tel-Aviv, tous deux localement et internationalement». Rhétorique typique des mouvements de libération des années 70 du XXe siècle.

Helmut Schmidt eut encore une longue vie après son départ de la chancellerie. Journaliste et écrivain, éditorialiste de la prestigieuse «Die Zeit», l’hebdomadaire hambourgeois coqueluche des milieux intellectuels où il faut au moins une table de cuisine pour déplier ses nombreux cahiers (on est loin du format «berlinois», comme s’il fallait que la cité libre maritime plus tournée vers l’Angleterre que vers la Prusse rigide se démarquât par sa richesse).

Et puis surtout ce fut un gros fumeur de cigarettes mentholées ! Il pouvait en allumer cinq en vingt minutes. Il adorait le tabac. Cela ne nous étonnerait pas qu’il soit mort en fumant une ultime cigarette, hier après-midi. Paix à son âme.

1 RAF, en français FAR/Fraction armée rouge

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