(Spécial été 2022) – « Iel », un questionnement linguistique et sociétal (2/2)

Et comment écrirez-vous demain ? Foto: Elise Arfeuille / Eurojournalist(e)

Elise Arfeuille a fait un stage chez Eurojournalist(e) en fin de l’hiver dernier. Ses deux articles sur le pronom “iel” avaient suscité de nombreuses réactions. C’est pour cette raison que nous les publions encore une fois aujourd’hui !

(Elise Arfeuille) – Au mois d’octobre dernier, le Petit Robert a ajouté le pronom « iel » sur son format numérique. Après avoir parlé du phénomène linguistique dont il faisait l’objet, on peut s’interroger sur les phénomènes sociétaux dont il relève.

La langue est un moyen de représentation du genre. Aujourd’hui, dans son usage courant, cette représentation dans la langue française, ne correspond plus forcément à la diversité actuelle des individus. Selon Julie Neveu, linguiste et maîtresse de conférences à la Sorbonne, la langue agit comme un découpage des genres, qui, de façon majoritaire, ne décrit que le masculin ou le féminin. Le pronom « iel » est une façon d’inclure une diversité de communautés, qui jusqu’alors ne se sentaient pas représentée.

C’est dans la communauté LGBT, le terme « Iel » a commencé à se diffuser. Aujourd’hui, le Petit Robert a remarqué que ce terme pouvait revenir de façon ponctuelle dans les usages de la langue et a donc décidé de le faire inscrire sur sa version numérique, pour signifier qu’il a pris en compte, d’une certaine façon, ces changements sociétaux qui peuvent s’opérer.

On pourrait, de la même façon, mentionner des mots comme « féminicide » ou « homophobie », qui sont entrés également depuis peu de temps, dans les pages du dictionnaire. Ils décrivent une réalité qui existe bien avant qu’elle ne soit nommée, mais leur définition permet de mettre des mots sur ces formes de crimes et de discriminations. Leur emploi dans la langue et leur présence dans le dictionnaire, témoigne d’une prise de conscience envers la réalité qu’ils décrivent, à savoir : les féminicides existent et nous sommes capables aujourd’hui de les nommer. Sous un angle plus juridique, le Sénat a ainsi voté en ce sens, dans le code pénal, la discrimination envers les personnes transgenres, ce qui signifie donc bien le poids des mots et leur implication dans le débat sociétal français. Ils donnent du poids et du sens aux propos, pour leur donner une valeur officielle, pour les faire vivre.

« Décembre » (nom anonyme) est membre de la communauté LBTQIA+. Voir le pronom « Iel » dans les pages du Petit Robert, a une forte portée symbolique : « Je suis non-binaire et j’utilise le pronom « iel » et l’inclusif à l’écrit (…). Pour moi, c’est extrêmement important que le pronom ait été ajouté au Petit Robert (…), il n’y avait pas de manière « officielle » de me désigner dans la langue française (…). J’espère (…) que cela permettra de faire prendre conscience à d’autres personnes de notre existence. Actuellement, la non-binarité n’existe pas en droit français, donc pour demander de changer mon prénom à l’état civil, cela reste compliqué (…). »

« Décembre » explique que : « le sexe est non binaire ». En France, en effet, environ 200 enfants sur 800 000 naissances par ans, seraient intersexes, c’est-à-dire n’étant nés ni hommes, ni femmes, de par leur appareil génital, ce qui ne permet pas de trancher sur la question, d’un point de vue purement biologique. Un témoignage très poignant sur le sujet est à redécouvrir sur FranceTV.

C’est un pourcentage certes très restreint de la population qui pourrait donc se sentir concerné. Cependant, en dehors de ce fait scientifique, il est de plus en plus fréquent que des personnes ne se sentent plus représentées par les pronoms « il » ou « elle », qu’il s’agisse d’un fait biologique ou non. Car la question du genre n’est pas une question biologique, mais de construction identitaire, entre autres. Il s’avère que l’on peut se définir autrement que par l’attribution biologique que l’on nous a donnée à la naissance. Les raisons peuvent être variées, certains estimant même que l’attribution d’un genre bien définie, ne devrait pas avoir lieu, car cela peut être un marqueur social stigmatisant, objet de préjugés envers une catégorie, hommes, femmes, ou autre. C’est pour cela que le genre neutre permettrait d’affirmer réellement cette forme d’égalité.

« Peu importe, après tout », dit « Décembre », « j’existe maintenant et ça devrait être la seule chose qui compte », malgré « l’impression que pour la majorité de la population, je n’existe juste pas, et ce n’est vraiment pas agréable (…). Je trouve ça très violent, parce que ça veut quand même dire qu’on ne devrait pas pouvoir désigner les personnes non-binaires, comme si on préférait nous invisibiliser ».

Pour beaucoup, cela reste toujours difficile à concevoir. Le problème de la grammaire et de la fluidité de la langue, quant à ces nouvelles considérations linguistiques, sont effectives et mériteraient d’être discutées. Cela relève alors d’une question d’emploi, qui nécessite de réfléchir ensemble sur ce qu’il conviendrait de faire, afin d’adopter un usage de la langue le plus adéquat possible.

Le simple ajout d’un pronom dans un dictionnaire aura fait couler beaucoup d’encre. Mais il a permis de développer des raisonnements linguistiques et grammaticaux à son sujet. Le débat actuel sur l’écriture inclusive serait ainsi un exemple précis des modulations de la langue française et de sa vivacité. Car, qu’on le veuille ou non, la langue française fait partie de façon intrinsèque, des problématiques sociétales, qui s’opèrent en elle.

Victor Hugo disait à ce sujet : « La langue française n’est point fixée et ne se fixera pas. », car « Une langue ne se fixe pas. » (Préface de Cromwell).

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