Il y a vingt ans, l’OTAN bombardait la Serbie. De deux conséquences essentielles

Résolution de protéger, Moscou provocant et aux aguets

Croix russe un peu démantibulée Foto: Marc Chaudeur Eurojournalist.eu

(Marc Chaudeur) – Il y a 20 ans, le 23 mars 1999, l‘ OTAN décidait de bombarder le Kosovo… Un dossier très lourd, un essaim de problèmes non réglés, notamment celui d’une réglementation satisfaisante en matière de droit international, qui permettrait de réaliser enfin le rêve kantien d’une Paix perpétuelle autre que celle des cimetières. La conséquence la moins grave de cette intervention n’est pas le changement d’orientation de la Russie après 1999 et le rôle qu’elle joue aujourd’hui dans les Balkans, aux côtés de la Chine. Et les avancées sur les modes d’actions possibles de l’ONU.

L’intervention de l’OTAN en Serbie et au Kosovo faisait suite à l’ échec des négociations de Rambouillet et de l’Accord que les Serbes furieux ont refusé de signer, se sentant humiliés – ce qu’approuvait naguère Henry Kissinger, qui estimait que la présentation même de l’Accord espéré était scandaleuse. Ainsi donc, pas d’accord entre Serbes et Albanais sur une éventuelle autonomie relative.

Mais il y avait d’autres motifs, de fait très graves, aux 78 jours de bombardements par les forces de l’OTAN : l’un d’eux était le Massacre de Reçak (ou Raçak, en serbe) : 45 civils kosovars au moins abattus et suppliciés (décapités, etc) par des policiers serbes en uniforme, cagoulés et beuglant des chansons à boire. Avec la quasi supervision des observateurs de l’OSCE campés à 2 kms de là ! Et avant Reçak, le déplacement d’un million de Kosovars, et tous les autres crimes contre l’humanité serbes de cette guerre yougoslave qui s’est prolongée interminablement de 1991 à 1999 tandis que les instances du droit international laissaient faire, parfois (trop souvent) sous les yeux des observateurs militaires et judiciaires (comme à Srebrenica et en bien d’autres lieux maudits).

Une intervention inacceptable ? On se souvient des protestations indignées d’une certaine gauche, d’une droite certaine, de la frange chevènementiste et de la fange lepéniste, voici 20 ans. Et plus largement, de tous ceux qui estimaient (et estiment) que le principe de la souveraineté nationale prime sur tout, et qu’en termes contemporains, Bachar el Assad est donc le plus grand homme d’État de tous les temps, suivi dans ce palmarès grand-guignolesque par Mouamar Kadhafi et Slobodan Milošević. Au contraire, les autres pensent que cette intervention, douteuse par certains aspects en effet aux yeux du droit international lui-même (qui est censé régir les relations entre Etats, ne l’oublions pas…) s’imposait pour la défense de la population civile, gravement menacée. Depuis 20 ans, les juristes s’envoient à la figure des arguments en sens contraire, où des scuds tirés par des spécialistes du droit international détruisent ceux que lancent des spécialistes des droits de l’Homme, et réciproquement. Bientôt, il ne restera plus personne, et on pourra discuter tranquillement, libérés des nationalistes hargneux et des universalistes floconneux.

Quoi qu’il en soit, la Russie telle qu’on la connaît actuellement est largement née de ce mois de mars 1999. A l’époque, Boris Eltsine ne pouvait accepter, à son sens du moins, qu’une résolution du Conseil de Sécurité de l’ ONU décide d’un bombardement massif de la Serbie, son alliée. Mais sans doute la préoccupation du président, alias Smirnoff, se situait davantage du côté de la défense des intérêts russes que de celle de ses amis serbes. En effet, la Russie avait à faire en Tchétchénie, depuis le début des années 1990 ; et elle n’avait nulle envie que l’ONU fourre sa truffe dans ses affaires. C’est là un revirement essentiel, puisque Moscou avait joué jusque là un rôle utile et modéré d’intermédiaire entre les instances internationales, les Etats-Unis et la « Yougoslavie » (c’est-à dire en fait, la Serbie).

A ce moment là, Moscou a perdu son envie de jouer le jeu, puisqu’elle s’est sentie trompée. Et humiliée. On ne plaisante pas avec l’orgueil russe. L’OTAN est alors devenue une menace au yeux du Kremlin. Ce qui explique partiellement, à partir de 2008, ses interventions militaires en Géorgie, puis en Ukraine : elles n’ont pas seulement un caractère opportuniste et, potentiellement, expansionniste, mais elles sont d’abord un défi et un test, et conjointement, des réflexes de défense – aux yeux de Moscou, s’entend.

Pour ce qui est des Balkans, l’actuelle faiblesse relative de l’Union européenne s’ajoute à la défiance née en 1990, et ces deux raisons empêchent de fait un engagement plus franc et plus courageux dans ces pays. L’Union européenne, de manière complètement aberrante et dangereuse, considère très manifestement cette région comme une arrière-cour, au mieux comme un réservoir de main d’œuvre à bon marché. Et pendant ce temps, Russie et Chine et dans une certaine mesure non négligeable, Turquie en profitent et entrent comme un laguiole dans une motte de beurre. Vladimir Poutine a visité au moins 10 fois son ami un peu embarrassé Vučić à Belgrade en l’espace de quelques années.

En tout cas, la guerre yougoslave des années 1990 et les bombardements, certes eux-mêmes très meurtriers) mettent en évidence la nécessité de poser de vrais principes universels concrets pour déterminer comment agir face à des dirigeants qui violent de façon flagrante les normes des droits universels de l’Homme, et sans doute plus largement, face à des massacres perpétrés contre des populations civiles. Kofi Annan, qui a occupé le poste de Secrétaire général de l’ONU de 1997 à 2006, a posé une pierre très importante à l’édifice en établissant le concept de Responsabilité de protéger. On utilisé ce concept officiellement à partir de 2006 seulement, lors des opérations de maintien de la paix au Darfour (résolution 1706). C’était là une conséquence directe des grands massacres du Rwanda, de Bosnie et plus généralement, de la guerre yougoslave.

Il faut poursuivre la réflexion sur les apports des bombardement tragiques de 1999, et sans doute, être bien plus ambitieux encore qu’on ne l’est aujourd’hui dans la poursuite de la Paix, d’une paix solide et bien établie.

 

A lire : https://balkaninsight.com/

 

 

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