Industrie pharmaceutique vs. Santé Publique : conflits d’intérêts ?

En termes plus protocolaires : «La santé publique et les intérêts de l’industrie pharmaceutique : Comment garantir la primauté des intérêts de la santé publique?»

Dans les laboratoire pharmaceuthiques, on regarde davantage le profit à réaliser que le bien-être des patients. Foto: Root66 / Wikimedia Commons / CC-BY-SA 3.0

(Par Gervaise Thirion) – C’est l’intitulé exact du rapport de la commission des questions sociales, de la santé et du développement durable présenté lors de la quatrième partie de la session 2015 de l’Assemblée Parlementaire (APCE) du conseil de l’Europe (CoE), par Mme Maury Pasquier (Suisse).

Ce sujet épineux au regard des réactions passionnées, souvent hostiles qu’il suscite, fait régulièrement la «Une» des journaux sous l’apparence de règlements de compte ou de coups médiatiques (?).

A qui la parole alors ? Le profit avant tout ? – De plus en plus de voix, issues du «sérail» (médecins, pharmaciens, patients) s’élèvent pour réclamer l’éthique et la transparence en matière de santé, alors que les «affaires»se multiplient.

Le Conseil de l’Europe auquel on ne peut reprocher une médiatisation à outrance est dans son rôle en s’emparant du sujet et en menant une réflexion approfondie, dépassionnée, en vue de proposer une harmonisation des pratiques dans toute l’Europe.

Des millions de deniers publics sont en jeu et nous avons le privilège de bénéficier de systèmes de sécurité sociale qu’il est impératif de préserver en ces temps de contrainte budgétaire.

Le terrain est miné et l’ambition qu’ont les membres de la commission de parvenir à encadrer plus rigoureusement et de manière plus contraignante des pratiques frauduleuses relève du courage.

Deux grandes problématiques sont abordées pour cette «mise au clair» :
Interactions entre l’industrie pharmaceutique et les différents acteurs dans le domaine de la santé.

L’industrie pharmaceutique est l’un des secteurs économiques les plus puissants et les plus lucratifs au monde, créateur d’emplois et facteur de croissance et son rôle clé dans l’amélioration de la santé des populations par la recherche et le développement de nouveaux médicaments est indéniable. Voilà pour la face noble.

C’est la face moins noble qui intéresse nos parlementaires, ici comme nous tous. Largement illustrée par quelques scandales plus ou moins récents (l’hormone de croissance dans les années 90, l’affaire du médiator, entre autres… ) elle pose la question de la dérive initiée par une recherche du profit avant tout.

De tout temps l’industrie a travaillé de conserve avec trois types d’acteurs :

- Les professionnels de santé tout au long de leur carrière, dès le début de leurs études (université, formation continue sous formes de symposiums, séminaires… sponsorisés)
- Les autorités sanitaires auprès desquelles les laboratoires (de fabrication et non d’analyses médicales. Ne pas confondre !) Doivent déposer leurs dossiers pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament.
- Les associations de patients auxquels l’industrie apporte son soutien sous formes diverses : aide morale, financière, juridique…

Ces interactions omniprésentes sont légitimes, nécessaires, utiles tant qu’il s’agit de partenariats fondés sur des intérêts communs, des collaborations importantes pour l’innovation et la santé publique. Un lien d’intérêt n’est pas gênant en soi mais porte le risque de glisser vers le conflit d’intérêts. Alors ?

Quand y a-t-il conflit d’intérêt ?

- Quand les médecins se défendent d’être influencés par l’industrie alors qu’on assiste à des prescriptions irrationnelles de médicaments promus par les labos, via les «visiteurs médicaux».
- Quand la collaboration d’experts avec les autorités sanitaires fait l’objet de révélations et critiques récurrentes (certaines agences du médicament prodiguant leurs conseils à des labos pharmaceutiques sur la façon de présenter leurs dossiers. Même l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) aurait modifié certains critères afin de délivrer plus de vaccins contre le virus de la grippe H1N1). Souvenir bien vivant !
- Quand des associations de patients dépendent de l’industrie pour leur financement.

Il existe déjà une panoplie de règles, de codes de bonne pratique, élaborés par l’industrie elle-même qui désormais veut se montrer soucieuse d’établir la transparence. Qu’elle s’engage dans la voie d’une éthique exigeante est tout à fait louable. Doit-on faire confiance à la seule autorégulation ? Sans caractère contraignant, on peut ranger l’affaire au rayon des vœux pieux…

Mme Maury Pasquier, la rapporteuse, propose quelques pistes pour une meilleure prévention et gestion des conflits d’intérêts parmi lesquelles celle qui semble la plus intéressante est l’instauration d’une contribution obligatoire sur les activités de promotion. (Ceci existe déjà en Italie).

Bonne idée ! Quand on sait que le budget destiné à la promotion est nettement supérieur (plus du double) à celui de la recherche. Eh oui – cela permettrait de dégager des fonds importants pour financer des formations spécifiques destinées aux prescripteurs ou les associations de patients, entre autres.

L’industrie pharmaceutique aggrave sérieusement son cas. – En second lieu : la recherche et développement de médicaments. Le domaine où le modèle de la recherche en tant qu’activité innovante, indispensable, onéreuse commence à avoir du plomb dans l’aile.

Le point principal auquel s’attaque la rapporteuse est le système des brevets qu’elle juge totalement inefficace.

Brièvement, il s’agit pour les entreprises pharmaceutiques d’avoir le monopole (la «propriété intellectuelle») pour une molécule, pendant une durée limitée (15 à 20 ans) et d’en fixer librement le prix. Passé ce temps, le relais est pris par les médicaments génériques.

En conséquence, on assiste à un certain nombre d’effets pervers :

Une envolée des prix  tirés du chapeau» (un médicament contre l’hépatite C à 13667 euros la boite !). On peine à imaginer ce qui justifie un tel tarif tant que l’industrie maintient une réelle opacité en matière de coûts de recherche… Les molécules anticancéreuses sont en première ligne pour leur coût exorbitant. Remboursés à 100% par la Sécurité Sociale ! Les producteurs le savent. Comment ?

En revanche les traitements contre les maladies rares, les maladies pédiatriques ou celles qui sévissent dans les pays en développement (Ebola) ne semblent pas faire l’objet d’autant d’attention en matière de recherche. Pas assez rentables sans doute.

Chaque année des dizaines de «nouveaux» médicaments arrivent sur le marché… combien d’entre eux présentent un réel avantage thérapeutique et répondent à de vrais besoins ? (2% seulement des 1345 nouveaux médicaments mis sur le marché en 13 ans. Selon la revue Prescrire.)

On pourrait donner encore beaucoup d’exemples de ces manœuvres utilisées par l’industrie pharmaceutique pour augmenter ses profits… jusqu’à la nausée.

Quid du rôle de plus en plus important que joue désormais la recherche publique «appliquée» dans l’élaboration de nouvelles molécules répondant à de réels besoin de santé ?

Quid également de médicaments dont le prix augmente de 5500% (de 13 à 750 dollars après le rachat de la société par un fond d’investissement) ?

Quid des ententes entre sociétés afin d’éviter le passage aux génériques ?

Quid du pantouflage ?

Quid des maladies «créées» pour développer le marché ?

Il faut imposer aux entreprises pharmaceutiques une transparence absolue sur les coûts réels de la recherche et adopter une politique plus stricte d’autorisation de mise sur le marché en introduisant des critères de «valeur thérapeutique ajoutée» ou une «clause de besoin».

Le débat à l’issue du rapport fut solidement argumenté, avec des parlementaires de la grande Europe des 47, toutes divergences et réticences confondues, a été conclus par l’adoption des résolutions à 90%.

Alors, on le fait ? – Tous ont salué le travail effectué sur le terrain, à Genève, à Londres à la rencontre des différents acteurs concernés (représentants de l’OMS, de la Fédération Internationale de l’Industrie du médicament, d’Agences du Médicament, d’ONG, d’associations de patients…).

Mme Maury Pasquier a tenu à préciser qu’elle avait abandonné à contrecœur le sujet des essais cliniques qui mérite un rapport à part entière (non-respect des principes éthiques, résultats dissimulés ou manipulés… ).

Un vaste chantier – replacer l’Humain au centre du débat… En place de l’argent…

Gervaise Thirion est biologiste et directrice de laboratoire qui vient de rejoindre le comité de rédaction d’Eurojournalist(e) comme experte pour le domaine de la santé et de la recherche. Bienvenue à bord, Gervaise !

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