Internes en médecine : dans les tourments de l’Europe des directives inappliquées

Ils font tourner nos hôpitaux dans toute l’Europe, et sont en première ligne face à la crise sanitaire depuis plus d’un an. Les internes en médecine montent au créneau.

1 suicide tous les 18 jours parmi les internes - il faut réagir ! Foto: © Védécé / © ISNI

(Marine Dumény) – Un suicide tous les 18 jours. L’ISNI rend son enquête (Intersyndicale Nationale des Internes), sur le temps de travail des internes en médecine. Et les conclusions de ce rapport sont sans appel. Qu’en est-il au niveau européen ? Réponse avec Nicolas Kitic, Vice-président de l’ISNI (Intersyndicale Nationale des Internes) et membre, pour cette dernière, de l’EJD (European Junior Doctors).

Nicolas Kitic, vous faites partie de l’Intersyndicale Nationale des Internes (ISNI) en France, et de l’European Junior Doctors (EJD) pour l’Europe. Quel est votre rôle au sein de ces structures ? 

Nicolas Kitic. Foto: privée

Nicolas Kitic. Foto: privée

 

Nicolas Kitic : Je suis interne en ophtalmologie à Paris, un des vice-présidents de l’ISNI (chargé des Relations internationales) et représentant à l’EJD, dont je fais partie du bureau.

Au sein de l’EJD, je suis « communications officer ». Je gère la communication, notamment sur les réseaux sociaux, et je suis également membre du bureau pour la France. Je discute donc des problèmes actuels en Europe pour voir quelles sont les problématiques communes aux internes à travers l’Europe. Nous essayons de sensibiliser les européens aux problèmes des internes à travers ces pays. Nous avions fait notamment du relais sur les réseaux pour la mobilisation des internes en Italie. C’est une action de sensibilisation.

En ce moment, l’ISNI présente les résultats de son enquête dans les médias, pour rappel quelles sont-elles ?

NK : En France, un interne se suicide tous les 18 jours. C’est une des conclusions marquantes de cette enquête. Il faut savoir que c’est un problème ancien. Ce n’est pas parce qu’il y a la Crise sanitaire avec la Covid-19 que nous en sommes là. Cette Crise n’a fait que mettre en exergue des problèmes déjà présents. Nous avons lancé cette enquête en 2017 pour évaluer le temps moyen de travail des internes. On arrive à un résultat de 58h. En sachant qu’une grande partie des internes travaille jusqu’à 100h par semaine, dont notamment les internes de chirurgie. A titre personnel, je travaille entre 60 et 70 h par semaine. Pour revenir sur ce chiffre d’un interne qui se suicide tous les 18 jours, en 2021 nous avons eu 5 suicides depuis le début de l’année. Dans une vidéo sortie le 29 avril, par Welcome to the Jungle, le Président de l’ISNI, Gaétan Casanova, relève à juste titre qu’il ne s’agit en aucun cas de personnes « fragiles » au préalable. Ce qui est souvent avancé par les doyens d’Université et les politiques comme raison. En vérité, ce sont des gens fragilisés par l’hôpital. On a de jeunes étudiants en médecine qui passent par deux concours extrêmement sélectifs et difficiles, qui connaissent la pression. Ils arrivent à l’Hôpital pour leur internat et sont là pour apprendre, pour aider, pour servir leur prochain… Ces gens-là, au lieu de les soutenir, le système de l’Hôpital les broie. Il y a un accablement des chefs, une déshumanisation qui font qu’au final, certains internes finissent par ne plus trouver d’autre solution que se donner la mort. C’est ça la vérité. Ils ne sont pas prédisposés au suicide, c’est le système qui est dysfonctionnel. Une des principales causes identifiées est le non-respect de la directive européenne du temps de travail.

Les salaires... Foto: © Aris Khelifi, Source - enquêtes EJD

Les salaires… Foto: © Aris Khelifi, Source – enquêtes EJD

 Cette directive européenne, quelle est-elle ?

NK : En 2003, la directive européenne limite à 48h par semaine le temps de travail dans les États membres. Or, il a fallu 12 ans pour qu’elle soit retranscrite dans le droit français, en 2015 ! Et elle n’est à ce jour pas appliquée. Ça montre à quel point il y a des défaillances puisque nous sommes, je le rappelle à 58h en moyenne pour les internes. Le gouvernement français n’a rien fait jusque-là pour le quantifier, ni même le rémunérer à sa juste valeur. Or, un interne en première année touche environ 1.500 euros. Ce n’est pas rien pour le commun des Français, évidemment. Mais être interne à Paris avec 1.500 euros, avec le logement, les transports et le coût de la vie, c’est peu…Cette rémunération et cette gestion du temps de travail par rapport au reste de l’Europe, elles se situent où ?

 

NK : 1.500 euros, c’est aussi peu par rapport à nos voisins européens. En Allemagne les internes ont une rémunération supérieure à 3.000 euros. Leur système est cependant un peu différent, ils restent dans le même service. Quant au temps de travail, il y a un problème dans de nombreux pays. En Belgique, les contrats entre l’hôpital et l’interne ont été changés et ne respectent absolument pas les conditions de travail. Un mouvement de grève nationale est en préparation. On a en commun des horaires effrénés et le non-respect de cette directive européenne. La vague de suicide du début d’année l’a mis en lumière.

Quels axes de résolution sont aujourd’hui avancés ?

NK : On a pensé au fait de badger, comme dans les pays scandinaves (ndlr ; à fins de comparaison : en Suède : 41,1 h (hebdomadaires), Norvège : 43,5 h et Finlande : 46 h. source : enquêtes EJD). Cependant, ce n’est pas à nous, internes, de travailler là-dessus, mais au gouvernement !

Nous avons déjà avancé plusieurs solutions et c’est maintenant aux autorités de nous donner les moyens de rendre compte de notre temps de travail et d’améliorer par-là nos conditions. Il y a aussi une valorisation du temps de travail à faire, par l’augmentation des salaires. De façon cohérente avec les heures travaillées. Les internes ne doivent pas continuer à être considérés comme une simple main d’œuvre de l’Hôpital.

Les horaires... Foto: © Aris Khelifi, Source - enquêtes EJD

Les horaires… Foto: © Aris Khelifi, Source – enquêtes EJD

 Par rapport à la directive européenne, est-ce que vous souhaitez un encadrement supplémentaire ?

NK : Pas du tout. La loi européenne est très bonne. Il suffit de l’appliquer. Les gouvernements doivent respecter la loi telle qu’elle est écrite.

L’EJD travaille sur une enquête européenne. Quel en est le sujet, et avez-vous des actualités à venir ?

NK : Effectivement, une enquête similaire à celle menée en France par l’ISNI sur le temps de travail. Elle circule auprès des différents pays. Et on va également préparer un article, écrit par Mathias Körner, président de l’EJD, sur la dégradation des conditions de travail des « Junior Doctors » avec de nombreux exemples. Nous reprendrons entre autres l’exemple de la campagne #ProtegeTonInterne et celui de la Belgique.

Un travail, à l’échelle européenne, qui sera à suivre !

Pour retrouver le dossier de presse de l’ISNI, c’est par ici !

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