(2) Summer Best Of 2019 – Interview européenne : Pierre-Yves Le Borgn’

L'ancien député des Français à l'étranger donne sa lecture des différentes crises européennes et surprend par la publication de ses « 10 Tribunes pour l'Europe » (à télécharger en fin d'article).

Pierre-Yves Le Borgn', ancien député des Français à l'étranger, sur la situation actuelle en Europe. Foto: Lénaig Morvan Gloaguen

Cette interview avec l’ancien député pour les Français à l’étranger Pierre-Yves Le Borgn’ avait suscité un vif intérêt. Nos lecteurs et lectrices peuvent lire les tribunes de Pierre-Yves Le Borgn’ souvent sur Eurojournalist(e) et nous sommes heureux de pouvoir le compter parmi nos contributeurs et amis ! 

(KL) – Il était député pour les Français vivant à l’étranger et ce, dans une circonscription énorme, couvrant l’Allemagne, l’Europe Centrale et les Balkans. Il était également membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) et il a pu se rendre compte des réalités européennes sur le terrain. Dans notre interview, Pierre-Yves Le Borgn’ revient sur sa courte défaite lors de l’élection du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. Et ensuite, nous passons en revue les différentes crises européennes à l’aube de la prochaine élection Européenne.

Pierre-Yves Le Borgn’, il y a un an ce 24 janvier, vous perdiez pour 4 voix l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Comment avez-vous vécu cet échec et qu’êtes-vous devenu depuis ?

Pierre-Yves Le Borgn’ : J’ai un souvenir rude du 24 janvier 2018, découvrant tôt le matin du second tour l’appel du candidat slovène à voter pour la candidate bosnienne et assistant, sans pouvoir réagir, à sa distribution par les diplomates des deux pays aux membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe jusque dans l’Hémicycle, alors que le scrutin y était déjà ouvert. Je me suis battu toute la journée pour tenter de convaincre. J’avais joué franc jeu tout au long de la campagne, livrant comme jamais mon unité d’homme, de défenseur des droits et de candidat. Je suis resté fidèle à cette ligne jusqu’au bout, malgré cette alliance in extremis de concurrents que j’avais devancés à tous les scrutins intermédiaires. A l’arrivée, j’ai échoué tout près du but. C’est la vie. J’ai exprimé à Dunja Mijatović tous mes vœux de succès. Elle a l’expérience et le charisme pour accomplir au mieux le beau mandat de Commissaire aux droits de l’homme.

J’ai tourné la page. Je ne suis pas un « sore loser ». J’ai pris un semestre loin de tout, m’occupant des miens. La défaite expose à la solitude. Je suis passé d’une activité intense à plus d’activités du tout. C’est une épreuve en soi. Il n’y a plus de mails, plus d’appels téléphoniques. Les journées sont longues. J’ai essayé d’imaginer ce que pourrait être la suite. Après l’été, j’ai commencé à enseigner à l’Ecole de Droit de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. J’y ai mis en place un atelier juridique consacré au changement climatique et aux droits de l’homme. Puis j’ai rejoint en fin d’année comme senior advisor deux cabinets de conseil, l’un à Paris et l’autre à Berlin. Peu à peu, la vie a repris ainsi. J’ai retrouvé l’envie d’écrire, publiant des tribunes sur l’Europe dans les médias français et franco-allemands. J’ai donné quelques conférences et interventions sur les droits de l’homme, en particulier sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme.

Justement, revenons sur vos tribunes. L’une d’entre elles, consacrée au patrimoine culturel de l’Europe, a été publiée sur notre site en décembre dernier. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans ce travail d’écriture et pourquoi publiez-vous aujourd’hui un recueil de ces contributions, intitulé « Dix Tribunes pour l’Europe » (à télécharger par le lien en fin d’article) ?

PYLB : J’avais écrit une tribune en septembre sans penser à une série. Ce sont les réactions à cette première tribune, positives et encourageantes, qui m’y ont conduit. Mon idée était de raconter l’Europe, de partager, d’alimenter le débat parce que je ressens depuis longtemps que les fondamentaux mêmes du projet européen sont, si ce n’est oubliés, à tout le moins négligés. C’est une grande erreur de croire l’Europe acquise. L’Europe souffre d’être insuffisamment expliquée, présentée et justifiée. C’est pour cela que je me suis concentré sur l’identité européenne, les frontières de l’Europe, le récit européen, le multilatéralisme et la paix par le droit, la place des régions, la souveraineté européenne ou bien encore la valeur du compromis. L’Europe doit retrouver le lien citoyen. C’est une question de légitimité de l’aventure engagée depuis le Congrès de La Haye. J’ai inscrit mes réflexions et propositions dans ce sillon. Ce petit livret gratuit et accessible en ligne en est l’expression.

C’est un exercice de transparence inhabituel dans la vie publique. Pourquoi le faites-vous ?

PYLB : Je ne suis plus dans la vie publique. Je l’ai été. Lorsque j’étais député, de même d’ailleurs que durant ma campagne de candidat Commissaire aux droits de l’homme, je partageais toutes mes interventions sur mon blog et mes comptes Facebook et Twitter. J’ai l’obsession du compte-rendu et j’ai toujours fonctionné à livre ouvert. J’ai la conviction qu’il faut expliquer ses choix, entendre les réactions et, toujours, tenter de convaincre. C’est mon vieux fond rocardien. Tenter de convaincre, c’est aussi accepter d’être convaincu et donc d’évoluer. Je revendique cela aussi. La politique et l’action publique crèvent d’afficher des certitudes, une incapacité d’écoute et un fonctionnement vertical. C’est cela qui mine en ce moment la vie démocratique de nos pays, nourrissant de nombreux mouvements de révolte, au risque que ceux-ci dérapent dans la violence et la haine. Il y a un besoin, une attente immense de participation citoyenne dans de nombreux pays d’Europe. Il faut non seulement l’entendre, mais y apporter des réponses.

Pensez-vous que ces mouvements, comme les gilets jaunes en France, constituent une menace pour l’Europe ?

PYLB : Je vois ces mouvements avant toute chose comme des appels à l’aide. Ils mettent le doigt sur les carences de nos pratiques politiques. Je suis profondément attaché à la démocratie représentative et je me méfie des pratiques référendaires, sans doute parce que j’en crains la tentation plébiscitaire. Pour autant, la démocratie représentative va mal lorsque le Parlement, dans sa composition, reflète de moins en moins la réalité sociologique et démographique d’un pays. Ou lorsqu’il est soumis à l’exécutif, au point de s’autolimiter et de ne plus vraiment débattre. Il faut inventer, en soutien à la démocratie représentative, diverses formes de démocratie participative en amont des projets et des décisions, au plan global comme local. Pourquoi pas des assemblées de citoyens ? Il faut aussi réhabiliter le rôle des corps intermédiaires comme les associations, les ONG ou les syndicats. Ce sont des pratiques de respiration démocratique nécessaires à l’Etat de droit et à l’efficacité de l’action publique. Tous nos Etats en ont besoin. Et donc aussi l’Europe.

L’immense taille de votre circonscription en tant que député des Français de l’étranger vous a donné une vue unique sur les réalités de l’Europe d’aujourd’hui. Au regard des difficultés actuelles de l’Union européenne comme du Conseil de l’Europe, pensez-vous que l’Europe pourra être pérennisée ?

PYLB : C’est vrai que mon mandat de député des Français d’Allemagne, d’Europe Centrale et des Balkans m’a permis d’approcher de près les défis pour l’Europe. Le déplacement que j’avais fait au début 2016 sur la route des Balkans restera pour moi l’un des souvenirs les plus difficiles. Comme aussi une soirée d’hiver à Calais, au pire de la crise des réfugiés. Ou une réunion rude au Parlement tchèque sur l’accueil des réfugiés. L’Europe est un projet humaniste. Elle survivra si elle sait s’en souvenir. Tout commence par les valeurs et les droits. C’est l’Europe du Conseil de l’Europe et de la Cour européenne des droits de l’homme. La base, c’est cette appartenance-là. C’est pour cela que j’étais un rapporteur intransigeant sur l’exécution des arrêts de la Cour. C’est pour cela aussi que je voulais être Commissaire. Puis il y a l’Union Européenne, le marché unique et les libertés de circulation. C’est le second niveau. Le troisième, encore largement à construire, est la zone Euro, qui doit devenir un espace économiquement, socialement et environnementalement intégré.

La crise européenne est là et bien là. Commençons par le Brexit. Quel est pour vous le plus probable scénario ? Et le scénario idéal ?

PYLB : Le Brexit est une tragédie. Dans une société marquée par la relégation sociale – et cela n’est pas sans évoquer la France aussi – il y a des arguments démagogiques et mensongers qui portent. C’est ainsi que le Brexit s’est imposé. Reste, plus de deux années après le référendum de juin 2016, que l’on découvre qu’il est impossible de « désimbriquer » une économie nationale du marché unique dans lequel elle était intégrée depuis près de 50 ans. Et qu’une sortie de l’union douanière a des conséquences sur la frontière en Irlande. Tout cela était pourtant prévisible. Le scénario probable serait le report de la date du 29 mars pour le Brexit afin de tenter de trouver un accord acceptable par le Parlement britannique. Mais cela voudrait dire alors que les Britanniques éliraient des députés européens en sursis le 26 mai. Le scénario idéal, ce serait un second référendum, considérant que la sortie sans accord de l’Union et la catastrophe économique et sociale qui s’en suivrait n’était en rien la question posée en juin 2016.

Les gouvernements français et italien sont en train de créer un fossé dangereux entre les deux pays. Emmanuel Macron s’en est pris au gouvernement italien lors de la crise des ports fermés aux bateaux de sauvetage des réfugiés. Di Maio et Salvini proposent un soutien actif aux « gilets jaunes » et se rendent ainsi coupables d’une ingérence dans la politique française. Comment sortir de cette crise franco-italienne, qui menace de se communiquer aux populations où l’on entend de plus en plus d’hostilité les uns envers les autres ?

PYLB : Les désaccords font partie de la vie internationale, l’invective et l’ingérence dans les affaires d’un autre Etat, a fortiori partenaire, beaucoup moins. Il faut arriver à se parler calmement, à accepter d’être d’accord de ne pas être d’accord et à trouver une solution. Objectivement, pendant des années, les Etats de l’Union européenne ont regardé l’Italie affronter seule l’arrivée de réfugiés par la mer sans beaucoup bouger. Le ressentiment italien s’explique dans ce contexte. Au-delà, les solutions mises en œuvre par le Ministre Salvini sont détestables au regard du droit. Lorsque s’y ajoutent le mépris du même Ministre pour la démocratie, la tentation xénophobe et l’instrumentalisation des difficultés de l’Etat partenaire, cela devient intolérable. Il faut retrouver la raison et pour cela, il faut se parler et se voir. A Rome ou à Paris, au plus haut sommet des deux Etats et pas seulement par Ambassadeurs interposés. De même qu’il faut que les sociétés civiles et le monde de l’entreprise des deux pays se mobilisent publiquement pour crier « halte au feu ».

Comment lisez-vous le nouveau Traité d’Aix-la-Chapelle entre la France et l’Allemagne ? Pensez-vous qu’il puisse avoir un impact sur la future évolution européenne ?

PYLB : Je vois ce Traité comme une étape importante dans la relation franco-allemande et l’engagement de nos deux pays pour l’Europe. Le Traité de l’Elysée de 1963 était un texte de réconciliation. Le Traité d’Aix-la-Chapelle place la relation franco-allemande dans une perspective de convergence économique, sociale et internationale. J’en suis heureux. Je vois le Traité comme un outil de leadership pour l’Europe au regard des enjeux du XXIème siècle comme le climat, l’environnement, l’intelligence artificielle ou les migrations. Pour autant, il y a quelque chose d’immatériel qu’aucun Traité, celui-là ou un autre, ne peut capturer : c’est l’état d’esprit et la volonté. C’est désormais aux deux gouvernements et aux deux parlements de faire montre de leur engagement concret sur la base du Traité d’Aix-la-Chapelle. Si la volonté est au rendez-vous, alors ce Traité sera utile pour la poursuite du projet européen. La sortie probable du Royaume-Uni de l’Union renforce les responsabilités de la relation franco-allemande pour l’Europe, arithmétiquement et plus encore politiquement.

Vous conservez la foi européenne, cet échange le montre. Avez-vous un avenir politique ?

PYLB : Très franchement, je n’en sais rien. Il m’est arrivé quelques misères électorales entre 2017 et 2018. J’ai pris du champ par rapport à l’action partisane. J’ai envie d’Europe. J’ai envie de contribuer, d’aider. Par les idées. Peut-être aussi par l’action. Je suis libre. On ressort d’une traversée du désert un peu changé et certainement aussi bien couturé. Mais on en ressort plus fort également. C’est mon état d’esprit. Aujourd’hui, je me consacre à mes missions de conseil, à mes cours et à l’écriture. Je ne sais de quoi demain sera fait. Je repense souvent à mes années à Strasbourg, à ces échanges passionnants avec des parlementaires de tous les pays au Palais de l’Europe, à la volonté de construire la paix par le droit. Cela me manque. Le Conseil de l’Europe, la Cour, la Commission de Venise sont des lieux dont le travail et l’engagement m’enthousiasment comme au premier jour. J’en suis toujours l’actualité. Quand on aime Strasbourg, on n’en part jamais vraiment.

Pierre-Yves Le Borgn’, merci pour cet entretien !

Pour télécharger les « Dix Tribunes pour l’Europe », cliquez sur le lien suivant !

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